← Retour Publié le

La grossophobie, c’est gonflant !

Enzo Poultreniez est secrétaire général du groupe Les Ecologistes pour la Région Auvergne-Rhône-Alpes. C’est aussi un homme engagé contre la grossophobie, qui a récemment été cyberharcelé sur Twitter. Coup de gueule.

« T’es gros. Tu consommes trop. Ferme-la et montre l’exemple en arrêtant de bouffer comme un porc ! T’es obèse mec : ferme ta gueule sur la surconsommation. » Je me doutais bien que la pêche aux trolls serait bonne en partageant sur Twitter les remarques de la députée Sandrine Rousseau (Nupes-EELV) sur la consommation de viande à outrance (notamment par les hommes) et sur son impact sur le climat… Je m’attendais moins à ce que la majorité des messages soient des attaques grossophobes, visant à contester ma légitimité à parler et à exprimer un point de vue. J’ignorais que l’obésité se soignait par le mutisme…

Mais est-ce réellement une surprise ? La qualité du débat politique nous a habitué·e.s à l’utilisation du 36e et Ultime Stratagème décrit par Arthur Schopenhauer [1] dans son essai philosophique L’Art d’avoir toujours raison : « Faire glisser les arguments sur un terrain personnel et devenir grossier, voire insultant ».

Ce qu’il développe d’ailleurs dans sa citation : « Si l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants, blessants et grossiers. Être désobligeant, cela consiste à quitter l’objet de la querelle (puisqu’on a perdu la partie) pour passer à l’adversaire, et à l’attaquer d’une manière ou d’une autre dans ce qu’il est […] »

C’est sur notre rapport au corps et aux stigmates qu’il peut porter qu’il devient impératif de s’interroger

Trop souvent répandu, ce stratagème rhétorique a fait enfler les fantasmes grossophobes, associant l’obésité à une absence totale de volonté, d’autocontrôle. Pire : prétextant qu’une personne grosse est une masse informe, dépourvue de volonté de puissance… une sous-personne en somme. Un estomac sur pattes. Dès lors, sa bouche n’est bonne qu’à ingurgiter frénétiquement des aliments riches en calories et, surtout pas – jamais – à s’exprimer. Je ne suis malheureusement pas un cas isolé.

En octobre 2014, le journaliste belge Tom Van De Weghe enflamme Twitter. Il se permet de remettre en cause la légitimité de Maggie De Block [2], tout juste nommée ministre de la Santé : « La Belgique a une ministre de la Santé publique obèse. Cette critique sera jugée inopportune mais qu'en est-il de sa crédibilité ? ». Heureusement et quelques jours plus tard, un sondage indiquait qu’une grande majorité de Belges soutenaient sa nomination.

Cependant, la question que je me pose reste de savoir si de tels commentaires auraient été tenus pour une femme ou un homme politique qui aurait une addiction au tabac, à l’alcool, aux jeux, au sexe ou à je ne sais quelle autre chose encore. Sans doute pas ou sans doute moins.

Derrière cette grossophobie crasse, c’est sur notre rapport au corps et aux stigmates qu’il peut porter qu’il devient impératif de s’interroger. En attendant, nous prenons de la place : la nôtre. Plus largement, j’ai un dernier message aux grosses et aux gros de tous pays : faites-vous respecter, ouvrez-la !

Enzo Poultreniez

[1] Philosophe allemand (1788-1860).
[2] Maggie De Block a témoigné pour la première fois sur son obésité via le média belge RTBF.