De l’info, des cultures et la culture de l’info

Le lancement d’un journal est toujours une belle aventure. Un moment exceptionnel. Une fois mis à l’eau, il arrive qu’il tangue, qu’il s’agite. Quand la mer est calme, on se dit que ça doit venir des voiles. Après quelques ajustements et parce qu’aux Cent Plumes on met un point d’honneur à prendre le temps de travailler correctement, votre n° 2 est arrivé à bon port ! Nous y parlons de l’Iran et du soulèvement de son peuple. De la force des Iraniennes qui luttent pour leur liberté au péril de leur vie – les cheveux au vent – et de celles qui se les coupent à coups de ciseaux éloquents. Bien sûr, nous mentionnons les hommes qui les soutiennent.
Chaque mois, nous rappelons la situation de notre confrère détenu au Mali: Olivier Dubois, qui en est à son 18e mois de détention. Il reste le seul otage journaliste français connu à ce jour. Qu’il revienne vite. Nous vous racontons aussi comment Ibiza, un collectif au nom solaire, a gâché le goûter versaillais de Darmanin. C’est malin… Dans cette édition d’octobre, nous traitons de la lutte contre le cancer du sein, d’autisme, de langage et de musique, d’images, de journalisme, de philosophie et de lecture, nous vous parlons de l’Afrique, des enfants, de gens qui vivent parmi nous mais hors du monde, d’eau de fleur d’oranger, de handicap, de justice et d’injustice, de lanceurs d’alerte, de cinéma et de maltraitance de jeunes filles par des religieuses, de théâtre direction l’Italie, de sorcellerie… le tout, saupoudré d’écoféminisme. Et bien relevé.
Comme un fruit savoureux, Les Cent Plumes se coupe en deux. Dans notre journal, vous trouverez des informations du pays et celles internationales, enrichies des cultures du monde, et aussi des infos du métier. Vous y croiserez notre amie Simone, un prénom qui se promène l’air de rien un peu partout ici et là. Pour le plaisir et pour l’hommage.
La rédaction espère que ce numéro vous séduira autant qu’elle a pris plaisir à le penser et à le réaliser gracieusement pour vous. Et, on l’espère, avec grâce.
Vous avez des questions ou vous désirez faire partager vos réflexions ? Merci de nous envoyer un mail à lescentplumes@gmail.com de nous contacter sur Twitter @lescentplumes ou sur Insta @les100plumes. Peut-être préparons-nous une rubrique Courrier pour vous donner la parole à vous aussi, allez savoir?… Pour finir, nous avons le plaisir de vous annoncer une collaboration régulière avec le média des quinqua J’ai piscine avec Simone. Egalement une aventure musicale avec la webradio Station Simone, qui diffuse notre playlist du mois définie selon nos sujets.
Ce n’est pas tout: ce numéro annonce évidemment la marche féministe et nationale du 19 novembre, organisée par le collectif Nous Toutes – pour lutter contre les viols et les violences sexuelles et sexistes. L’occasion de rappeler le hashtag toujours d’actualité pour avoir les moyens de lutter efficacement contre le viol, ce crime: #nousVoulonsUnMilliard
En attendant cet argent, bonne lecture à vous !

Claudine Cordani
fondatrice des Cent Plumes

Les Cent Plumes a signé la charte: «Un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique».

Flambée de violence pour la liberté en Iran

Dans le numéro précédent, nous évoquions l’odeur du jasmin qui planait dans l’air. Nous étions loin de nous douter du soulèvement du peuple iranien après le féminicide de la jeune Masha Amini. J’ai interviewé deux Iraniennes : Shaghayegh Norouzi, co-fondatricee du #MeToo iranien, et Maral Bolouri, artiste qui vit en France sous le statut de réfugiée politique. Rencontres.

L’histoire de Masha Amini, 22 ans, battue et tuée parce qu’une mèche de cheveux s’est échappée de son hidjab, fait le tour du monde depuis plus d’un mois. Le sort de la jeune iranienne n’est pas seulement un fait divers – il représente aussi la menace qui pèse sur toutes les femmes d’un pays à la merci du fondamentalisme islamique parmi les plus rigoureux.
Cependant, quelque chose est en train de changer en Iran. Depuis que la disparition tragique de Masha a été annoncée, depuis que les informations sur son arrestation et les raisons absurdes qui l’ont rendue possible sont devenues publiques, les femmes iraniennes sont descendues dans la rue en masse, pour dire stop au joug imposé par la police morale qui sème la terreur au pays des ayatollahs. Elles y ont été rejointes par les Iraniens, qui luttent à leurs côtés.
« Je n’ai jamais vu autant de gens descendre dans la rue pour manifester », s’enthousiasme l’actrice et réalisatrice iranienne Shaghayegh Norouzi, co-fondatrice du mouvement #MeToo dans le pays islamique, depuis toujours debout pour les droits de femmes et contre le « patriarcat d’État ».
« Presque toutes les villes sont concernées. A ce jour, des centaines de personnes ont été tuées par la police. Il est probable que le nombre de victimes augmente encore mais les citoyen.ne.s résistent et cherchent de nouvelles tactiques pour faire barrage aux accusations de la police. Elles et ils n’ont pas peur. Lorsque une de mes amies est descendue dans la rue après avoir posté un message sur Internet qui critiquait le gouvernement et les religieux, je lui ai demandé pourquoi elle ne mettait pas de filtres sur sa voix, pourquoi elle ne se protégeait pas. Elle m’a répondu qu’elle mettrait aussi son nom, qu’elle ne craignait plus rien, qu’il était temps de relever la tête ! »


Repérer les « rebelles vestimentaires », la mission de la police des mœurs iranienne
La police morale iranienne, celle-là même qui a arrêté et causé la mort de Masha Amini, se dote désormais de technologies sophistiquées pour identifier les manifestant.e.s et pouvoir identifier les femmes qui défient les règles vestimentaires islamiques.
« L’Iran est un pays où des budgets énormes sont dépensés pour financer une police qui peut vous arrêter si vous montrez une mèche de cheveux ou si votre jupe ne couvre pas toute la cheville. Ils ont développé des systèmes de reconnaissance faciale pour voir si une même personne enfreint plusieurs fois les règles. Pour ce type d’initiative, il ne semble pas y avoir de limites économiques… Par contre, dès qu’il s’agit de protéger les femmes, l’État n’investit pas un sou : il n’y a presque rien pour financer des programmes contre les violences qu’elles subissent. Il n’y a presque rien pour prévenir les agressions sexuelles – qui sont extrêmement fréquentes dans le pays. »

Quand l’inversion de la culpabilité sert la culture du viol dans un silence religieux

« “S’ils te violent, si tu te fais harceler, c’est forcement parce que tu as fait quelque chose de mal : donc, c’est de ta faute.” Il faut comprendre que le raisonnement des ultra-religieux est celui-ci : si vous vous habillez comme le définissent les lois islamiques, si vous vous comportez en observant chaque détail du code religieux, il n’y a aucune raison pour que vous soyez agressée. Évidemment, la réalité est très loin de ce raisonnement simpliste. Pour cette raison, nous avons décidé avec d’autres filles il y a quelques années de lancer le mouvement #MeToo ici aussi : nous voulions combattre cette gigantesque hypocrisie institutionnalisée », explique Shaghayegh.
A ceux qui lui demandent si elle n’a pas peur, si la police morale ne la considère pas comme une cible, l’actrice répond franchement : « Toutes les femmes en Iran peuvent être des cibles de la police morale. Vous quittez la maison et vous pouvez être arrêtée sans même savoir pourquoi. De nouveaux détails sont toujours ajoutés à la liste interminable des règles. Vous sortez et vous ne savez pas si vous rentrerez chez vous, vous ne savez pas si vous serez emprisonné.e ou peut-être tué.e… comme c’est arrivé à Masha. Actuellement, il y a une dizaine de femmes en prison en Iran qui encourent dix ans de prison pour ne pas avoir bien porté le hidjab. Dix ans!… Elles ont la vingtaine et vont passer leur jeunesse dans une cellule. Leur vie sera gâchée. »

Les réseaux sociaux ont permis cette révolution, l’opinion publique et la solidarité internationale ont fait le reste

Depuis le debut des manifestations, Internet n’est pas facilement accessible – et les réseaux sociaux sont plus que jamais sous le contrôle des autorités.
« Si cette révolution a été possible, c’est grâce aussi à l’énorme solidarité provenant du monde entier grâce aux réseaux sociaux. Depuis trois ans, date de l’explosion du mouvement #MeToo, les autres mouvances féministes du monde entier ont acquis une nouvelle force. La réaction des femmes iraniennes a été alimentée par une opinion publique internationale qui a exprimé une grande indignation face au cas de Masha Amini. »
Si la condamnation pour le meurtre de la jeune Iranienne et pour les dérives de la police morale fait l’unanimité sur notre planète, les considérations sur le voile islamique comme « liberté de choix » demeurent en Occident, notamment dans les mouvements féministes intersectionnels. Qu’en pensez-vous depuis l’Iran ? « Ici les femmes défient la mort pour se libérer de ce symbole d’oppression, mais je respecte l’idée de liberté de choix », acquiesce Shaghayegh. « Cependant, nous devons approfondir un peu la discussion et nous demander ce qui se cache derrière cette “liberté de choix”. Les femmes qui choisissent de porter le voile peuvent-elles aimer qui elles veulent ? Peuvent-elles aller où elles veulent ? Peuvent-elles exercer le métier qu’elles veulent et qui les rend financièrement indépendantes ? Je pense que tout cela doit être considéré avant d’employer le mot liberté ».
Depuis quelques années, Shaghayegh Norouzi vit entre l’Iran et Barcelone. « J’ai plusieurs projets dans le monde du cinéma, mais je suis aujourd’hui avant tout engagée pour défendre les droits des femmes dans mon pays », explique-t-elle. « Et puis, être actrice en Iran, ça veut dire que devant la caméra tu ne peux pas montrer ta bouche, tu ne peux pas t’allonger, tu ne peux pas bouger tes jambes d’une certaine manière, tu ne peux rien faire qui évoque même de très loin la séduction ou la sphère sexuelle. Derrière la caméra, cependant, les hommes qui travaillent avec vous n’hésitent pas à vous harceler. Être une actrice en Iran signifie cela. Par conséquent, je préfère partir. »

Le système institutionnel, à tous les niveaux, est gangrené par la corruption »

Maral Bolouri est une artiste peintre et performeuse réfugiée en France à l’Atelier des artistes en Exil, une structure qui accueille des artistes persécutés pour leurs œuvres par des régimes totalitaires à travers le monde. Ses créations font partie des collections permanentes de la Banque mondiale, mais ces reconnaissances ne l’ont pas épargnée des critiques et de la censure en Iran, son pays d’origine.
Dans sa série de portraits intitulée Destiny (Sarnevesht en farsi qui, en persan, signifie littéralement « écrit sur le front »), Maral aborde des questions telles que la liberté d’expression, la liberté de genre, les droits de l’homme. Il va sans dire que ses projets artistiques ne suscitent pas l’enthousiasme d’une grande partie de l’élite culturelle iranienne, qui la considère comme une “subversive”. « Mon travail était régulièrement remis en question car je me permettais de mettre en lumière certains aspects négatifs de la société iranienne », raconte-t-elle. « Le système institutionnel, à tous les niveaux, est gangrené par la corruption. Le patriarcat et ses lois strictes affectent énormément la vie quotidienne – surtout le développement de la culture et de l’art. »
Maral dénonce l’hégémonie d’une élite entièrement masculine qui existe dans le monde culturel iranien, et qui se s’octroie le droit de décider qui a la légitimité et qui ne l’a pas.
« Même la soi-disant “aile modérée” des intellectuels est hostile aux femmes et à leurs droits. Les femmes, queer et les minorités en général, sont seules en Iran. » Une situation qui ne date certainement pas d’aujourd’hui.

Organiser la manipulation de masse en cultivant l’ignorance

« Après la révolution khomeiniste [1979] », se souvient Maral Bolouri, « l’Iran se trouve plongé dans une période désastreuse. Depuis, le gouvernement exerce une pression incroyable sur la population. Le contrôle des personnes commence dès l’école primaire. Je me souviens par exemple que je ne pouvais pas porter de chaussettes de couleur quand j’allais en classe. Et que lorsque nous étions invités à un événement familial, un anniversaire par exemple, ma mère mettait les vêtements de fête dans son sac et se changeait en arrivant. Dans la rue, les femmes doivent sortir couvertes et en tenue pudique, pour ne pas attirer l’attention des gardiens de la morale islamique.» Les conséquences sociales et psychologiques de ce contrôle, en particulier pour les femmes, ont été et restent dévastatrices.
« Il y a une réelle volonté de la part du gouvernement de maintenir la population dans l’ignorance généralisée de certains événements historiques, aussi bien du passé – je pense à la Shoah – que des événements plus récents, comme le soutien à Bachar al-Assad dans la guerre en Syrie », poursuit l’artiste. « On ne peut pas vraiment parler de beaucoup de sujets. La population a ainsi une version déformée et partielle de ce qui se passe dans le monde. »
« Quand je voyais les manifestations contre Salman Rushdie, par exemple, je me rendais compte que les gens descendus dans la rue étaient totalement exploités par la propagande. L’histoire était absurde, ce n’est qu’un roman : une œuvre de création. Je suis convaincue que la plupart de ceux qui manifestaient pour demander la condamnation à mort de l’écrivain n’avaient en réalité jamais lu son livre, et ne savait même pas de quoi ils parlaient », commente-t-elle.
« Quand la police morale vous arrête, parfois vous ne connaissez pas la raison », s’indigne Maral. « Vous pouvez simplement faire du shopping et ne plus jamais rentrer chez vous. Cela génère un véritable traumatisme collectif chez les gens : un stress continu. Les gens n’osent plus s’exprimer et l’autocensure est de mise. » Les choses vont-elles changer ?
« Je ne peux pas le dire avec certitude, mais l’ampleur des protestations donne de l’espoir. Les Iraniennes, aujourd’hui, ne sont pas seules. »
Eva Morletto
correspondante italienne en France
Photo de Tiphaine Blot

Défi D’Elles à NY : des foulées roses pour une bonne cause

En ce mois d’Octobre rose dédié à la lutte contre le cancer du sein, une équipe de marathoniennes de Défi D’Elles va courir outre-Atlantique. Au Marathon de New York, elles seront vingt dans les starting-blocks le 6 novembre. Un nouveau défi entre prévention, dépassement de soi et manière de souffrir avec celles qui souffrent.

Dire qu’elles seront vingt femmes ne serait pas tout à fait exact. Elles seront dix-neuf et un… homme. Le projet est né il y a cinq ans : s’envoler pour New York et courir le Marathon au nom de la prévention du cancer du sein, ce 6 novembre. Une folie !
A l’origine de ce programme, Christelle Gauzet, créatrice des raids sportifs Défi D’Elles qui rassemblent des centaines de femmes unies dans le sport. Ces raids se déroulent au profit de Keep a Breast (Gardes tes seins), une association qui prône le dépistage par l’autopalpation. Chaque année, se sont 5% des cancers du sein qui sont repérés par des femmes de tout âge après cette pratique.
Au total, ce sont encore 3 000 femmes de moins de quarante ans qui sont détectées ainsi. Le compteur s’affole lorsque l’on sait qu’en France une femme sur huit devra affronter ce type de cancer. Côté féminin, le cancer du sein reste la première cause de mortalité par cancer. En 2020, plus de 12 000 de ces combattantes n’ont pas survécu… Glaçant.
Alors il est urgent. Urgent de faire savoir qu’une femme qui connaît sa poitrine, qui pratique l’autopalpation a davantage de chance de déceler une anomalie et d’être prise en charge rapidement. Et de guérir. C’est le cas d’Aischa, fidèle des raids, sensibilisée aux discours sur l’autopalpation depuis des années. C’est elle-même qui a découvert « cette grosseur » avant d’être confirmée par le diagnostic : cancer du sein triple négatif. Le traitement a pu démarrer en toute urgence.
Alors l’idée a germé d’exporter octobre rose, en novembre, sur le sol américain. Et de rappeler que « la prévention est le début de la guérison ».
En 2018, elles étaient cinq sur la ligne de départ avec, à la main, des portraits de quarante-deux patientes de la chirurgienne Amélie Gesson-Paute, spécialisée dans la reconstruction mammaire à Bordeaux, qu’elles brandissaient à chaque kilomètre.
Parmi ces portraits, les milliers de supporters ont pu voir celui de Malika, atteinte du gène cancéreux et opérée par cette chirurgienne, qui est également vice-présidente de Keep a Breast. Après un premier cancer, Malika, infirmière de profession, choisissait l’ablation de son second sein en prévention d’un probable autre cancer.

Laure Manaudou : « Courir ce Marathon a pour moi une saveur plus particulière, pas seulement parce que c’est mon premier mais, parce que je cours pour Keep a Breast. Et que c’est important pour moi de sensibiliser les femmes »

Après un report de trois ans – covid oblige – Malika sera sur la ligne de départ. Le groupe du Marathon s’est renforcé, avec dix-sept coureuses et deux accompagnatrices parmi lesquelles Valérie Fignon. Le mécène qui souhaite rester anonyme sera également de la course, encouragé par la présence de sa femme, il souhaite joindre ses forces et efforts aux futures marathoniennes. Lui qui soutient les raids Défi D’Elles et Keep a Breast depuis quatre ans se dit admiratif de voir « ces femmes jeunes et moins jeunes relever des défis et faire du dépassement de soi un principe de vie enthousiasmant ».
Il est l’un des plus fervent soutien d’Octobre rose et de la prévention. Alors il donne l’exemple, s’entraîne trois fois par semaine pour franchir, le 6 novembre, la ligne d’arrivée avec toutes ses coéquipières motivées comme lui. Parmi elles, la championne olympique de natation Laure Manaudou, qui s’investit dans cette aventure bien loin de sa discipline : « Courir ce Marathon a pour moi une saveur plus particulière, pas seulement parce que c’est mon premier mais, parce que je cours pour Keep a Breast. Et que c’est important pour moi de sensibiliser les femmes. » Pour Malika aussi ce marathon a une saveur particulière. Premier « 42 kilomètres » également pour elle, avec la perspective d’être accompagnée par un groupe de femmes rencontrées à l’époque de son cancer. Mais à travers les raids et le dépassement de soi, ce qui l’intéresse, ce sont les échanges avec les autres malades qui vivent plus ou moins bien leur maladie : « Nous partageons les émotions par lesquelles nous sommes passées, nous nous donnons des conseils pour passer le cap des mauvais moments. »
Alors qu’elles se nomment Aurélie, Céline, Emilie, Gaëlle, Laure, Ly, Malika, Paola, Valérie et les autres… de toutes générations et de toutes professions, toutes sont convaincues des bienfaits du sport pour lutter contre les maladies. Et feront de leur mieux pour que le cancer du sein ne soit plus une telle menace.
Valérie Trierweiler

Comment le collectif Ibiza a piégé Darmanin

C’est l’histoire d’un tour en trois temps qu’a joué le collectif Ibiza au ministre de l’Intérieur, à Versailles, le 24 septembre dernier. Comme vous le verrez, ça ne s’est pas trop bien passé pour Gérald Darmanin. Ça change…

Il faisait doux et ensoleillé le 24 septembre dernier du côté de Versailles, lieu de la royale résidence de plusieurs rois de France. Le collectif Ibiza avait tout prévu pour son action pacifique, sauf des parapluies : et pour cause, le temps était au beau fixe. D’ailleurs, pas mal de monde avait le sourire en cette fin d’été annoncée. Surtout les dizaines de membres d’Ibiza qui avaient tout prévu pour réserver un accueil de choix à Gérald Darmanin, l’actuel ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer. Mais c’est à se demander s’il possède le sens de l’humour. En effet, l’homme politique français a menacé de porter plainte contre le collectif – comme tout le monde a pu le voir sur les réseaux sociaux. L’histoire de ce tour que lui a joué le collectif a du lui faire froid dans le dos voire donné des sueurs froides. Je vous raconte le pourquoi du comment de cette opération de non-séduction – sous le signe de la contestation – qui s’est déroulée en trois phases. Action !
C’est à 16 heures qu’est arrivé le ministre de l’Intérieur pour soutenir le ministre délégué en charge de la Transition numérique Jean-Noël Barrot (Modem), dans le cadre de l’élection législative partielle dans les Yvelines. Cela s’est confirmé depuis, les clés du château étaient bien gardées : Jean-Noël Barrot a été réélu sans surprise avec 71,67 % des suffrages contre 28,33 % pour son adversaire Maïté Carrive-Bedouani (Nupes). Le député a ainsi gagné son billet retour pour l’Assemblée nationale.

Une ambiance bon enfant sous le signe du Roi-Soleil, exactement

Le collectif Ibiza était venu en force ce samedi, à l’heure du goûter. Il faut dire que, de leur côté, l’ambiance était plutôt bon enfant. En plus du temps ensoleillé, il y avait pas mal de bénévoles anonymes dispersé.e.s dans les rangs. Leur mission ? En accomplir une en trois étapes. Opération réussie.
Phase 1. Les groupes sur place, l’un d’eux s’est manifesté dès l’arrivée de Darmanin par des mines enjouées, des applaudissements, des exclamations de joie… Le ministre, l’air ravi d’avoir été attendu avec tant de ferveur, donnait alors l’impression d’humer l’air du temps et de profiter pleinement de ce moment. C’est vrai : comme accueil, c’était plutôt du genre royal ! En plus, il faisait beau au pays de la lignée des rois Louis. Alors pourquoi bouder son plaisir ? Sur les images enregistrées par le collectif, on pouvait vérifier que cet homme du gouvernement savourait l’instant présent. Il avait raison : le quatre-heures, c’est sacré. Le voilà en confiance. D’autres militant.e.s étaient présent.e.s lorsqu’il a intercédé, quelques instants plus tard, en faveur de Jean-Noël Barrot. Pendant leurs allocutions sous les barnums de location, le collectif en a profité pour s’offrir une séance photo. C’était la phase 2. Il faisait toujours beau. Mais le temps qui s’annonçait allait bientôt gâter ce charmant goûter versaillais.

Un « Calmez-vous madame, ça va bien se passer » qui ne passe pas

L’événement terminé, tout le monde s’était dispersé. Sollicité pour une photo-souvenir, Darmanin a accepté de poser tout sourire avec un jeune homme de 23 ans qui avait l’air ravi lui aussi. Ce que le ministre ignorait, c’est que Hugo portait sous sa chemise un tee-shirt blanc avec l’inscription en noir « Ça va bien se passer » et dessous « Darmanin, l’impunité en marche. » Sauf que, visiblement, ça n’est pas passé pas du tout : Darmanin a grimacé puis menacé. C’était la fin de la blague. Pourtant, il avait bien dit textuellement à la journaliste Apolline de Malherbe le 8 février dernier sur le plateau de BFMTV : « Calmez-vous madame, ça va bien se passer. » Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Enfin, pour celles et ceux qui l’ont découvert ici, le collectif Ibiza est une structure indépendante de plus de 300 bénévoles qui s’est constituée en janvier 2022. Les membres qui le composent se relaient pour mener des actions de contestation non-violentes, originales et rigolotes en rapport avec leur éthique. Elles et ils sont issu.e.s de divers courants militants et/ou politiques. Si vous souhaitez rejoindre ce mouvement ou en savoir davantage, dans les deux cas, vous le trouverez facilement sur les RS sous le nom @collectifibiza. Vous verrez : ça va bien se passer ;)
Claudine Cordani

Godard, le paradoxe et l’Europe en crise

Entre rhétorique et philosophie, voici comment Jean-Luc Godard, légende du cinéma français, proposait de régler la crise financière grecque d’une façon implacable : « Quand la loi n’est pas juste, la justice passe avant la loi. »

En 2010, Jean-Luc Godard* présente Film Socialisme en Angleterre. Son film est découpé en trois parties et la dernière a pour titre Quo vadis Europa ? L’Europe et ses origines antiques, les rendez-vous manqués… Et Godard de conclure : « Quand la loi n’est pas juste, la justice passe avant la loi. »
À cette occasion – nous sommes en pleine crise financière, une situation qui plombe la Grèce vis-à-vis de ses partenaires européens –, Godard donne une interview au Guardian :
« Les Grecs nous ont donné la logique. C’est Aristote qui est à l’origine du grand “donc” (le principe de causalité aristotlicien), comme dans “je ne t’aime plus, donc...” ou “je t’ai trouvé au lit avec un autre homme, donc…”. On utilise ce mot des millions de fois pour prendre nos décisions les plus importantes. Il serait peut-être temps de commencer à le payer. Si on payait 10 euros à la Grèce chaque fois qu’on utilise le mot “donc”, la crise serait finie en un jour et les Grecs n’auraient pas à vendre le Parthénon [en photo] aux Allemands. Nous avons les outils technologiques pour traquer tous ces “donc” sur Google. On peut même les facturer sur iPhone. Chaque fois qu’Angela Merkel dit aux Grecs : “Nous vous avons prêté plein d’argent, donc vous devez rembourser avec les intérêts”, elle devrait donc commencer par leur payer des royalties. »
Et Godard de rire derrière ses lunettes… Il était bien sûr contre le concept capitaliste et bourgeois du copyright. Même âgé, l’enfant terrible du cinéma n’avait rien perdu de son génie du paradoxe ni de l’art de jouer (et de tourner) à contre-courant.
Bruno Domercq

Né en 1930 à Paris, cet artiste complet du cinéma s’est éteint à Rolle (Suisse) le 13 septembre 2022.

(Légende photo) Situé à Athènes, capitale grecque, le Parthénon est un temple initialement construit et dédié à la gloire de la déesse Athéna Polias et de la démocratie athénienne.

Les monstres de vos placards

Il est douloureux pour une personne handicapée de se sentir écartée de la vie en société alors qu’elle n’y est pour rien. Ceci est mon plaidoyer pour une réelle inclusion. Pour une société enfin prête à reconnaître et à accueillir en sa cité les différents profils des gens et à s’en accommoder. Nous, personnes handicapées, nous nous accommodons bien à la vie…

Chaque année avec le Téléthon, vous découvrez l’existence des handicapé.e.s. C’est quand même bien triste pour ces pauvres enfants… Vous versez une larme, vous filez éventuellement 10€ (défiscalisés, c’est intéressant !) et vous nous oubliez le reste de l’année. Si vous êtes perspicace, peut-être vous étonnez-vous de ne voir des personnes handicapées qu’une seule fois par an à la télé et pas dans nos rues, ni à l’école ou au travail… Dommage, votre réflexion ne va pas plus loin.
Et pourtant, si vous vous demandez pourquoi on ne voit pas plus d’handicapé.e.s au quotidien, la réponse est plutôt simple : c’est parce qu’une majorité d’entre nous est parquée dans des centres spécialisés dès le plus jeune âge. Non seulement ces derniers n’ont pas d’obligations vis-à-vis des programmes scolaires mais, en plus, les maltraitances y sont nombreuses et documentées. J’ai le souvenir de ces camarades myopathes me racontant qu’ils devaient se coucher avant 19 heures, qu’on les douchait seulement tous les quinze jours, et que de nombreux cours n'étaient pas assurés… Le résultat ? Des jeunes qui n’arrivent pas au bout de leur scolarité, qui ne trouvent pas de travail, qui ne se mêlent jamais à la collectivité. En réalité, nous sommes des fantômes dans la société : nous sommes les monstres de vos placards.
Et je vous le demande, si vous, valides, et nous, handicapé.e.s, ne nous fréquentons pas dans un cadre scolaire, à quelle occasion pourrions-nous nous côtoyer ? Rappelez-vous, où avez-vous rencontré vos meilleur.e.s ami.e.s ? A l’école, au lycée, à l’université, non ? Combien parmi elles et eux sont handicapé.e.s ?
Alors vous vous dites que la situation est forcément différente aujourd’hui. En effet, depuis 2005, l’accès à une « scolarité ordinaire » est inscrite dans la loi. Cependant, l’institution rechigne encore à scolariser les enfants handicapé.e.s en milieu dit « ordinaire », avec les autres enfants. Les établissements spécialisés sont nombreux et le rectorat a encore tendance à y diriger les élèves handicapé.e.s. Professeure depuis plus de treize ans, je n’ai rencontré qu’une élève en fauteuil roulant dans les établissements où j’ai travaillé. Souvent je me suis demandé : « Où sont les autres ? » La réponse, je l’ai eue rapidement : ces élèves sont envoyé.e.s dans un collège-lycée du département, établissement fonctionnant en étroite collaboration avec un institut médico-éducatif (IME) juste en face. J’y ai enseigné un an. Les bâtiments sont vétustes, les couloirs étroits et les ascenseurs souvent en panne. Le midi, les élèves handicapé.e.s mangent à l’IME mais pas avec leurs camarades pour des raisons « pratiques ». Les emplois du temps sont rarement complets. Cela est souvent décidé de manière arbitraire avec pour motif officiel d’éviter de fatiguer ces élèves. Moi j’appelle ça un ghetto, pas une école.

Nous, personnes handicapées, sommes déterminées à trouver notre place dans la société et à la défendre

Cela devrait scandaliser, mais beaucoup s’en accommodent. Imaginez qu’un jour l’un.e de ces enfants handicapé.e.s intègre votre classe, si vous êtes enseignant, ou la classe de votre enfant, si vous êtes parent. Que se passerait-il à ce moment-là dans votre tête ? Vous pourriez juger cela tout à fait naturel, mais peut-être auriez-vous peur ou peut-être seriez-vous hostile à cette intégration : et si l’enfant avait trop besoin d’aide, et si ses camarades en pâtissaient ?
Certains prétendent que l’intégration d’un.e élève handicapé.e au sein d’une classe ordinaire est actuellement impossible. « Comment pouvons-nous adapter nos enseignements à ces élèves alors que nos classes sont surchargées ? », arguent-ils, et de nous ressortir le cliché éculé de l’enfant handicapé.e en crise, impossible à canaliser. D’après eux, l’intégration en milieu ordinaire serait une souffrance pour ces enfants. Ils ne prennent pas le temps de lire les témoignages de maltraitance en milieu ségrégué, ils ne veulent pas voir les nombreux exemples d’intégration réussie. Ils ne comprennent pas que cela rendra tous les enfants meilleurs, valides comme handicapé.e.s, et que la société a tout à y gagner.
Ces gens prennent le problème à l’envers. Au lieu de réclamer plus de moyens, de faire baisser les effectifs dans les classes, de proposer un accompagnement des élèves handicapé.e.s qui en ont besoin, ils répondent purement et simplement par la ségrégation, l’exclusion d’enfants de toute vie scolaire, et donc sociale. Ils n’ont pas d’autre solution que de cacher le problème pour ne pas avoir à s’en préoccuper. 
Aujourd’hui, j’ai envie de leur dire – de vous dire à toutes et à tous – que nous ne voulons plus être les monstres de vos placards. Que nous avons notre place dans cette société et que nous sommes déterminé.e.s à l’obtenir et à la garder.
Sushina Lagouje

Le viol, cette culture française

Six minutes, c’est le délai qui sépare chaque viol ou tentative de viol d’un.e autre – au XXIe siècle en France. Pour vous faire une idée, cela représente environ 94 000 femmes victimes chaque année de ce crime pour lequel seulement 732 condamnations pour viol ont été prononcées en 2020 par la justice française.

(Source : Fondation des Femmes, octobre 2022, d’après l’enquête « cadre de vie » menée par l’Insee, l’ONDRP et le SSMSI.)

Hors le monde

Sur les quais du métro, il découvre en grand les critiques dithyrambiques des affiches qui annoncent la sortie du prochain blockbuster. Au cinéma, où il ne foutra pas les pieds. De toute façon, il n’est pas gourmand de pop-corn. Un peu… il soupire.
Il s’arrête plus loin pour contempler la vitrine d’une grande librairie où mille voyages de papier vous invitent. Il aime les livres mais se contentera d’en garder, en vagues souvenirs, leurs simples couvertures. Il y voit son reflet. Se recoiffe comme si c’était nécessaire. C’est la cohue littéraire. Il sifflote.
Il plisse les yeux à la vue des terrasses des bars parisiens bondées en ce septembre clément et son brouhaha de rentrée. Des verres s’entrechoquent à coups de rires aux éclats saluant les souvenirs des vacances mortes. On compare son bronzage par-ci. On évoque ses voyages par-là. Un résident du quartier le reconnaît et l’invite à se joindre à eux. Il décline. Il n’a aucune vacances à raconter. Il bredouille une excuse pour se défausser. Il ne veut pas se lester d’une charge mentale inutile. Il a de toute façon le cuir tanné. Il souffle.

Les odeurs des cuisines des restaurants parfument les alentours

Il a le ventre qui grouille, aussi. Les odeurs des cuisines des restaurants parfument les alentours. Il devine tel ou tel plat en préparation. Il fut cuisinier jadis. Il jette un œil aux panneaux extérieurs affichant le menu du jour. Il ne s’est pas trompé. Au regard des prix annoncés, de nouveau il siffle.
Il veut profiter un peu de la clémence du temps en cet été baissant et se poser en ce joli parc au gazon qui a repris des forces après une sécheresse passagère. Il opte pour le parc Villemin, où flottent les odeurs d’algues du canal Saint-Martin flottent. Ça pique-nique en famille en ce samedi. Le cul dans les fines herbes, il observe les ballons des enfants qui jouent joyeusement tandis que les parents s’affairent, sur couverture bienvenue, à étaler les victuailles préparées à la maison ou, désolation, les merdes à emporter qui sont vendues dans la grosse distribution et dont les déchets viendront s’amonceler autour de poubelles à moitié vides. L’incivisme est aussi de rentrée. Il soupire.

Il faut consommer pour chier, il commande un demi citron

Il lui faut pisser et chier. La sanisette du parc invite. Ou pas. Elle est bloquée pour d’obscures raisons. Il peut pisser derrière un arbre ou entre deux voitures. Mais chier ? Il se rend Chez Prune, un bar non loin du parc. Il faut y consommer pour chier. Comme il est à la bière depuis un bon moment, il commande un demi citron, un « twist » comme ils disent avec l’accent du barman snobinard qui connaît son métier. Il va chier. Et enquille son godet, délesté. En payant, trop cher pour ce que c’est, il laisse un léger pourboire par réflexe. Quittant les lieux, il s’entend mugir in capite (dans la tête).
Il est bientôt temps que ce jour finisse. Tandis que le parc Villemin ferme, le canal Saint-Martin s’emplit de fêtards. Il se pose sur un banc étrangement vide pour se rouler un clope. Des jeunes l’abordent pour lui taxer du tabac. Il tend sa blague. On lui demande des filtres qu’il n’a pas. Il fume à l’ancienne. Les gamins se permettent de râler. Petits cons. Ils ont de quoi picoler mais pas de quoi fumer. Il remballe sa blague et quitte les lieux pour un ailleurs. Pour un il-ne-sait-où. Il rumine.
Il se rend, non par hasard, à la rue Marie-et-Louise. Le mardi soir, le Bistro des oies est fermé. Il profite donc de son petit muret pour s’y poser. En ce début de soirée, il peut entendre, malgré le bruit des terrasses du bar Le Bichat, des vieilles retraitées se disputer le contenu des poubelles de la supérette du coin sous l’œil goguenard et défoncé des clochards du quartier. Il les connaît. Les évite le soir. Les clochards. La misère. La rue. En lui il fulmine.

Les films qu’il ne verra jamais, les vacances qu’il n’a pas vécues

Il a de quoi. Un flacon de mauvais whisky, de la bière légère, sa blague de tabac et un peu d’herbe locale filée par un ami qu’il ne voit que trop rarement. Il attend son heure. La nuit pleine. Quand les terrasses se rangeront, il pourra enfin vivre pleinement son moment. Il s’y prépare déjà en sortant ses carnets et ses crayons. Ne restera alors, au loin, que les bruits des talons des gens qui rentrent tard. Chez eux. A l’abri. Pour lui, ce sera le moment d’écrire en fumant et en buvant en toute quiétude, réfléchissant aux films qu’il ne verra jamais, aux livres qu’il n’a pas lus, aux vacances qu’il n’a pas vécues, à toutes les terrasses qu’il n’a pas fréquentées, aux pique-niques manqués, à ses enfants et à leur ballon qui lui manquent, aux fêtes éphémères au bord du canal… et à son bronzage de cuir tanné, involontaire. Il oublie qu’il a faim. Il sourit.
A la lueur jaunâtre des réverbères, donc, il griffonne sa journée. Comme pour remplir les manques. Les loupés. Se repaître du rien. Taquiner le vide. Seule la nuit lui appartient. Plus tard dans la nuit, à l’abri du monde, il fera grésiller sa petite radio histoire de vérifier que le monde continue à tourner sans lui. Même si les nouvelles sont mauvaises, d’en faire partie il sera en joie.
De ses carnets, il se dit qu’il en résultera peut-être quelque chose un jour. Il griffe sa dernière ligne d’encre sur le papier… et il s’endort. Hors le monde.

Ervé @Croisepattes

Qui je suis
Sur Twitter j’écris sous le pseudonyme @Croisepattes. Je me suis renommé Ervé et je suis écrivain. Même si je vis toujours à la rue, je continue d’écrire en transmettant mon expérience d’une personne qui a vécu et qui vit encore au ras du sol. Originaire des Hauts-de-France, je suis aujourd’hui un Francilien nomade. J’ai 50 ans.

5 Questions à…
Armelle Vautrot

Elle a bâti son parcours professionnel en suivant son fil personnel : l’engagement envers les plus vulnérables. Rencontre et partage avec Armelle Vautrot, professionnelle du soin pluridisciplinaire qui nous parle, entre autres, de réhabilitation psychosociale.

1) Vous dites adorer votre travail : quel est-il ?
C’est aider et accompagner ceux qui en ont besoin (en particulier les plus vulnérables), dans l’éducation comme dans la santé, c’est développer des compétences et de l’autonomie chez ceux qui éprouvent des besoins particuliers, à tout âge, c’est aussi les accompagner dans la responsabilisation (dont l’empowerment) et l’épanouissement personnel. Pour cela, j’utilise dans la médiation relationnelle les pratiques artistiques : écriture, musique, contes, danse et théâtre comme porte d’entrée vers l’expression et la connaissance de soi. Aussi bien dans l’enseignement qu’en thérapie.
Mon travail est de fédérer le collectif à partir du singulier en favorisant la collaboration et le partage des savoirs (expérientiel, théorique et scientifique, clinique). Je m’informe, je me forme encore et toujours, en recherche permanente de nouveaux acquis, en ébullition, et en conservant une part d’autocritique sur ma pratique et sur mes connaissances pour ne jamais rester prisonnière de certitudes. Quand on me dit que j’étais « autrefois » musicienne ou professeure, je réponds que je le suis toujours, car je n’ai pas cessé de pratiquer un métier pour un autre, je tisse une activité professionnelle pluridisciplinaire forte de toutes les autres en restant toujours au service de l’humain.
Mon travail actuel réunit tout ce que j’ai pu faire. Il me permet de pratiquer tout ce que j’aime et de me mettre au service des autres : l’engagement est le fil rouge de ma vie.

2- Citez-moi cinq raisons pour lesquelles vous pratiquez votre activité…
Raison 1 : l’engagement au service des autres et surtout des plus vulnérables. Je travaille sur le handicap, sur les violences faites aux femmes, je suis active dans des associations comme Planète Autisme et Un maillon manquant. Et puis mon activité me permet d’être en accord avec mes convictions et mon éthique.
Raison 2 : la richesse et le renouvellement des pratiques. Il existe énormément de possibilités en matière de thérapie et des recherches ont lieu dans le monde entier, où de nouvelles approches se développent. Les sciences humaines commencent à entrer dans les pratiques médicales, notamment par le biais de l’éthique du soin (care).
Raison 3 : l’émulation intellectuelle et cognitive. J’apprends de l’université, donc de la recherche, mais j’apprends énormément aussi des patients, de leurs expériences, de leurs ressentis, de leur évolution. J’éprouve une profonde gratitude pour chaque personne qui s’assoit en face de moi, car c’est un partage et une transmission bilatérale.
Raison 4 : la diversité. J’exerce plusieurs activités différentes et ma semaine s’organise de manière qu’il y ait les jours de consultation, les jours d’écriture, les jours de formation (que je donne ou que je reçois) et les pratiques artistiques (danse, écriture, musique).
Raison 5 : la liberté. C’est un luxe que je chéris : j’ai travaillé longtemps pour d’importantes institutions (Education nationale, enseignement supérieur et secteur de la recherche), et le poids administratif et les contraintes logistiques y nuisent souvent à la créativité et freinent l’innovation. Comme j’ai toujours été une boulimique de travail et une passionnée, je peux maintenant gérer cela librement.

3) Vous m’avez parlé de thérapie « intégrative » et de « psychologie humaniste »…
En effet. Certains exercent la thérapie selon un dogme. Ils ne pratiquent par exemple que la psychanalyse, que les thérapies comportementales et cognifives (TCC), ou ne jurent que par les médicaments dans le soin psychique. Mais la temporalité de chaque patient.e lui appartient. Il est important de sortir des dogmes et d’accueillir les besoins de chacun.e pour y répondre le mieux possible. C’est là que la pratique clinique devient intégrative : quand elle adapte le cadre, l’ouvre, le malaxe, le pétrit, le casse pour le recréer.
J’y suis particulièrement sensible, car ma formation est pluridisciplinaire : diplômes obtenus en faculté de lettres, en sciences humaines, en sciences de la santé, en faculté de médecine. J’y ai ajouté des certifications spécifiques, enrichies de formations professionnelles variées : EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), art-thérapie, mindfulness, psychologie positive, hypnose éricksonienne et TCC (troubles anxieux, trauma). De fait, je peux faire du sur-mesure en convoquant des outils très différents. Je cherche toujours comment faire avancer et progresser chaque personne, en respectant son rythme et ses contraintes.
La psychologie humaniste est héritée de Carl Rogers. Cela induit de s’appuyer sur le potentiel de chacun, de chercher avec lui les ressources dont il dispose, de les activer et de les développer pour plus d’autonomie. C’est finalement le fondement de l’empowerment en santé mentale. Cela participe pour moi de la réhabilitation psychosociale : chaque patient.e a sa place dans la société, quelle que soit sa problématique (transitoire ou pérenne). Il faut juste l’accompagner pour que la personne trouve cette place et qu’elle lui offre le bien-être et l’épanouissement auxquels chaque personne a droit. La psychologie humaniste est un levier puissant dans mes deux spécialités : le trauma et l’autisme.

4) Quel a été votre parcours professionnel et personnel ?
J’ai été une élève « à profil particulier » comme on dit. J’ai été diagnostiquée HP (on disait alors « enfant précoce ») en maternelle : résultats scolaires très performants, mais vulnérabilités émotionnelles patentes. J’ai appris la musique en apprenant à lire, encouragée par mes parents, qui me permettaient de me « nourrir » intellectuellement.
J’ai eu mon bac en avance. En même temps, je passais un concours en flûte traversière et en musique de chambre en conservatoire, je jouais dans un orchestre et je décrochais mon diplôme d’éducation musicale. Puis je suis entrée à l’université, tout en poursuivant la musique et en l’enseignant. J’ai ajouté à ma formation le chant lyrique et le chant choral, appris en conservatoire jusqu’à plus de 30 ans. Après des études de lettres à la Sorbonne, je me suis spécialisée en sciences du langage. J’ai travaillé sur des auteurs vivants (Philippe Djian, Daniel Pennac, Yves Simon) et sur l’implicite dans le discours. J’ai réussi deux concours de l’enseignement : le concours de recrutement de professeurs des écoles et le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré. J’ai enseigné en école primaire, collège et lycée. A 27 ans, j’ai été recrutée à l’université pour y enseigner en licence, master, et en formation des enseignants. Sur un plan personnel, j’ai eu deux enfants, que j’ai très vite dû élever seule. Si ça a un peu compliqué les choses, ça m’a fait développer un solide sens de l’organisation et une grande efficacité dans mon travail. J’ai publié dès 2002 en édition scolaire et parascolaire, puis j’ai été nommée directrice de collection chez Bordas. C’est beaucoup de travail, effectué pour ma part quand les enfants étaient couchés, quand j’étais en vacances ou le week-end. Lors de mon entrée dans la quarantaine, j’ai ressenti un besoin de renouveau. J’ai écrit là-dessus, d’ailleurs (Enfin 40 ans !, Les supers pouvoirs de la femme quadra).
Aujourd’hui, je poursuis l’écriture avec un ouvrage par an, en psychologie. Le prochain sort à la fin de ce mois d’octobre. J’ai la chance de trouver chaque fois des éditeurs qui me suivent dans mes projets. Là aussi je ressens une immense gratitude pour ces aventures partagées.
J’ai quitté la région parisienne pour la Drôme, puis j’ai atterri en Ardèche. J’y ai démarré de nouvelles études tout en travaillant. Puis, après les attentats de 2015, j’ai commencé une recherche universitaire sur l’expression du traumatisme. Ce travail m’a fait rencontrer des rescapé.e.s du Bataclan, dont Fred Dewilde, avec qui j’ai écrit Dessine-moi un trauma – Trouver la voie de la résilience après le Bataclan.
Depuis, je ne quitte plus l’université ! J’entreprends chaque année un diplôme universitaire (DU) différent et hors des sciences humaines, en faculté de médecine et en sciences de la santé. Je m’investis beaucoup également dans Planète Autisme et je crée des approches innovantes en habiletés psychosociales grâce à la médiation artistique relationnelle. Avec tout type de public : des enfants, des adolescent.e.s, de jeunes adultes, autistes avec ou sans déficience.

5) Quels sont vos projets dans les cinq mois à venir ?
J’ai créé mon organisme de formation et édition avant l’été : Phare (Psychologie, humanisme, aidance, recherche, éducation). Il a obtenu la certification Qualiopi, qui garantit la qualité des prestations et permet aux participants de prétendre à un financement. Je développe des formations courtes, pragmatiques et pluridisciplinaires. Un.e professionnel.le du soin travaille en binôme avec un.e professionnel.le d’une discipline convoquée dans la médiation artistique relationnelle. Je développe aussi un format « Un jour + Une heure » sur des thématiques féminines et féministes : l’empowerment des femmes neuroatypiques, la reconversion au féminin par exemple.
Les formations reposent sur l’hybridation du public pour permettre la convergence des savoirs (expérientiel, théorique et scientifique, clinique) : y participent des professionnels (santé, éducation, social, arts), des aidants, des personnes concernées par la question. Dans les cinq mois qui viennent, je propose des formations sur l’approche psychocorporelle, en décembre dans la Drôme, également la pratique du dessin et de l’écriture, début 2023 dans la même région. Entre autres.
Je suis très fière du site Phare, qui a été créé par une équipe 100 % féminine et créative. C’est une très belle collaboration qui se prolonge, puisque j’ai demandé à Anne Laffont, la graphiste, de devenir l’illustratrice des « P’tits Cahiers du Phare ».
Le premier (Mes Emotions et moi) est sorti fin juillet, le deuxième (Mon Corps et moi) est édité à la Toussaint, le troisième (L’Autisme et moi) paraîtra en janvier 2023. J’en achève d’ailleurs en ce moment l’écriture.
Dans ces cahiers, je suis thérapeute, autrice, compositrice et interprète. J’ai créé un support numérique en réalité augmentée pour chaque cahier, afin d’ajouter des documents sonores. La collection « Les P’tits Cahiers », un outil interactif, pour les enfants et les adolescents mais aussi pour tout adulte qui accompagne des jeunes (professionnels, parents, grands-parents). Du côté de l’écriture personnelle, je travaille actuellement sur deux ouvrages : un sur l’autisme au féminin, et l’autre sur le trauma à partir de la recherche que je mène depuis 2018. Début 2023, je vais poursuivre ma formation HandiDanse auprès de l’académie Avio et de la Fédération HandiDanse adaptée inclusive pour développer cette pratique professionnelle, qui a commencé cette année avec les ateliers Dans ma bulle*. Pour finir, j’espère que ces prochains mois me réserveront de belles rencontres et plein d’imprévus : c’est ce qui me permet de me sentir en vie et de poursuivre mon engagement dans le collectif.
Propos recueillis par Claudine Cordani

(lien) www.phareformationedition.fr

(lien) * Les ateliers « Dans ma bulle » ont été créés en septembre 2022 pour l’école de danse Quentin Gremillet avec la danseuse Françoise Koll.

Le prix de la ménopause au travail

Considérée comme l’entrée dans le vieillissement, la ménopause reste l’un des tabous les plus tenaces dans le monde du travail. Stigmatisé, ce bouleversement intime du corps des femmes rejaillit sur la société toute entière et sur l’économie – qui en paie la facture. Un bon calcul ?

Le Women’s Forum, grand-messe au féminin du leadership et du business, inscrivait à son programme il y a deux ans une table ronde qui posait le sujet : « No country for old women ». Autrement dit : pas de salut pour les vieilles au sein de l’entreprise. C’était bien la première fois que les hormones avaient le droit de cité parmi les leaders du monde des affaires ! Un signal faible qu’il fallait décrypter dans un contexte d’une « grande démission » pas encore annoncée.
En plus du « statut » de senior à partir de 45 ans en entreprise, les femmes subissent une discrimination supplémentaire. A l’âge de la ménopause, se combine le sexisme institutionnalisé qui pose question : comment faire avec des symptômes qui nous disqualifient automatiquement en terme de productivité, de légitimité ? Un stéréotype de genre qui s’énonce ainsi : les transformations physiologiques et physiques qui ont un impact sur le corps des femmes rendent leurs compétences obsolètes… Aussi simple que ça ? Un raccourci sans nuance qui oublie qu’à l’heure des crises, l’expertise et la transmission des savoir-faire reste le meilleur rempart contre les bouleversements qui traversent cette société post-Covid.

L’Angleterre, fer de lance de la ménopause au travail

Prompte à se défaire des liens européens, l’Angleterre expérimente depuis plusieurs années, toujours avec le pragmatisme qui la caractérise, l’impact de cette invisibilisation des femmes de 45 ans et +. Non pas par philanthropie – parce que mettre à l’écart les femmes en raison de leurs hormones à un coût. Précurseure, la chaîne britannique Channel4 initie dès 2019 une politique de management «Menopause friendly». Au programme : des informations auprès de la hiérarchie et l’accompagnement des salariées. «Une femme sur dix interrogée pour Channel4 et ayant travaillé pendant la ménopause a déclaré avoir quitté son emploi en raison des symptômes, tandis que 14% avaient réduit leurs horaires et que 14% étaient passées à temps partiel. Imaginez que ces femmes aient obtenu l'aide dont elles avaient besoin (…)», indique The Guardian à la veille de la Journée mondiale de la Ménopause (18 octobre).
Selon l’autrice et réalisatrice Kate Muir, il se profile une «économie de la ménopause». Le départ massif de cette génération fragilise les entreprises. Tanuj Kapilashrami, directrice des ressources humaines de Standard Chartered Bank, a publié une vaste enquête au sein des services financiers de son groupe en octobre 2021. Le résultat est édifiant. Au total : 128 000 femmes, soit une employée sur dix, qui travaillent dans le secteur des services financiers sont actuellement en période de ménopause. La moitié des femmes interrogées affirment qu’elles seraient moins enclines à postuler pour une promotion et un quart d’entre elles envisageraient de quitter leur travail en prenant leur retraite ou en optant pour une reconversion.
Il ne s’agit plus d’une saignée des talents mais d’une hémorragie dont les conséquences sont multiples. L’étude de la banque britannique les a listées : absence de transmission des savoirs et des expertises, perte de la culture d’entreprise, charge de travail en hausse pour le personnel restant, augmentation des coûts et limitation de la croissance…
A l’heure où la génération Z refuse les plans de carrière à plus de trois ans au sein d’une même entreprise et où la pénurie de compétence est un enjeu majeur, on s’interroge sur la réticence des RH à recruter au-delà de 45 ans des femmes expertes.
Sophie Dancourt

Simone

Le 28 octobre, on célèbre les Simone comme les Simon. Prénom d’origine hébraïque devenu rare, il signifie « qui est exaucé.e ». En France, Simone apparaît pour la première fois à l’état-civil en 1900. Le prénom rencontre un vif succès puisqu’en 1921, 7 246 bébés sont ainsi dénommées. Dès les années 1930, il perd de sa cote pour quasi disparaître des pièces d’identité. En 2020, le prénom Simone est attribué à 35 filles seulement.
Mais comment évoquer ce prénom sans penser à nos Simone célèbres ? Comme, par exemple, Simone Ansquer (écrivaine née en 1960), Simone de Beauvoir (philosophe, journaliste et romancière, 1908-1986), Simone Renant (actrice et photographe, 1911-2004), ou encore Simone Signoret (actrice et écrivaine, 1921-1985) ? Evidemment, on n’oubliera pas Simone Veil (personnalité politique, magistrate et avocate, 1927-2017) à qui on doit la dépénalisation de l'avortement en France, loi qui porte son nom. IVG : merci Simone !

(Source : parents.fr)

Cultures

Mauvaises Filles

Le film d’Emérance Dubas raconte une histoire de la maltraitance en France, subie par des générations de femmes en devenir par d’autres femmes sous emprise d’un dogme religieux. Cela s’est passé à Angers et ailleurs, chez les religieuses du monastère général Notre-Dame-de-Charité du Bon Pasteur. En salles dès le 23 novembre, Mauvaises Filles révèle la violence subie par des milliers d’adolescentes jusqu’au début des années 1980.

« Aujourd’hui, je me guéris. Tout doucement. Je suis contente que vous soyez passée parce qu’il restera des traces de cette vie de chien. » La dernière phrase du film Mauvaises Filles, prononcée en voix off par l’une des victimes du Bon Pasteur, glace le sang. Elle est adressée à Emerance Dubas, autrice-réalisatrice de 53 ans d’origine angevine.
Après avoir réalisé des documentaires en relation avec les arts*, c’est sa rencontre avec l’historienne Véronique Blanchard** qui va faire naître chez elle l’envie d’en savoir plus sur ce pan historique de l’histoire des femmes d’après la Seconde Guerre mondiale. Quand la réalisatrice découvre l’histoire de cette institution, elle comprend combien de générations ont été sacrifiées sur l’autel de la bienséance, faisant fi des personnalités de ces jeunes filles. Emérance Dubas commence à travailler sur son projet en 2015 et débute le tournage à l’été 2019. Et quand on lui demande comment Mauvaises Filles a été accueilli, la réalisatrice confie : « Avant #MeToo, c’est un projet qui n’intéressait personne ». Ainsi, il est intéressant de constater que c’est l’émergence du mouvement qui va initier l’intérêt pour ce film dans le milieu du documentaire et aider à sa diffusion.

Emérance Dubas a privilégié la parole des femmes, pas celle des religieuses

Elles sont cinq femmes à témoigner. La sixième, persuadée que c’était le bon moment pour en parler, n’a pas été en mesure de le faire et a annulé sa participation. Parce que le temps, même s’il peut se mesurer, ne se dompte pas. La réalisatrice a fait le choix de donner la parole à édith, Éveline, Fabienne, Marie-Christine et Michèle. A aucun moment, elle n’a souhaité ni envisagé de rencontrer des religieuses protagonistes de cette congrégation. Ni d’autres. émérance voulait restituer leur vie à ces cinq femmes témoins et aujourd’hui âgées et « les mettre dans la lumière afin que leur parole soit entendue ». Enfin. Le pari est gagné : cela se voit et cela l’entend pendant toute la durée du film : une heure dix.
Chacune des protagonistes se raconte tour à tour à l’écran. Pour bien restituer l’ambiance qui régnait dans ces lieux au Bon Pasteur, on est embarqué.e à Bourges dans une visite guidée par deux d’entre elles. Là, on apprend que quand les adolescentes étaient « punies », elles étaient mises à l’isolement. Abandonné aujourd’hui, le lieu délabré a conservé les traces indélébiles de ces mauvais traitements. Sur les murs crayeux de la pièce dédiée, on peut lire plusieurs fois l’inscription « Bouclée le… » assortie d’un prénom et d’une date et, plus loin, la sororité s’afficher avec un « Courage ! » Il y a des barreaux aux fenêtres. Comme en prison. Et si un membre de leur famille venait les voir à cette période, les rencontres se faisaient dans ce qui était appelé le « parloir ». Comme dans une prison qui ne dit pas son nom, car les familles n’en étaient pas informées. C’était une incarcération officieuse, celle-ci religieusement régie selon la volonté de femmes de foi dont les sévices n’étaient supervisés par personne. Pas vues, pas prises.
D’une façon générale, les jeunes filles étaient écartées de ce qu’il se passait en dehors de leur monastère. Par exemple, elles avaient l’interdiction de regarder par les fenêtres. Et pour bien s’assurer que l’intérieur ne soit pas visible de l’extérieur, les dortoirs avaient été peints dans un bleu profond pour créer et se fondre dans obscurité. Ni vues ni reconnues. Quand elles n’étaient pas à l’isolement, leur quotidien était moins dur mais restait extrêmement pénible : pas de lieu à soi pour se poser tranquillement et pouvoir réfléchir, pas de moment de calme, aucun répit dans la somme des tâches à accomplir – sans oublier les messes quotidiennes à ne rater sous aucun prétexte, y compris et surtout le dimanche ! Zéro considération et pas de repos.

A leur sortie du Bon-Pasteur, la découverte d’un monde de désillusions

Malheureusement, le documentaire d’Emérance Dubas montre que le calvaire de ces générations de jeunes filles ne s’arrête pas lorsqu’elles quittent l’institution. Surnommées « les filles du Bon-Pasteur » à l’extérieur des enceintes religieuses, elles étaient l’objet de moqueries, d’insultes et de sous-entendus glauques. Leurs sorties étaient attendues par des hommes de peu de foi (proxénètes, violeurs…), qui poursuivaient l’avilissement initié par les religieuses sur les adolescentes. L’une d’elles raconte d’ailleurs qu’à sa sortie, et pendant un an, elle a été utilisée comme un objet sexuel – évoquant rapidement les tournantes subies. Une autre dit de cette période « On ne s’intéressait pas à nous, on était des objets autrefois : on n’était pas grand-chose, les enfants comme nous… » Alors, comment parler de maison de redressement alors que tout dans ce parcours n’avait qu’une finalité : casser en deux des jeunes femmes pour mieux les exploiter ?
Violée à maintes reprises, une autre des femmes interviewées relate avoir dû avorter de façon clandestine. Mais cela se passe mal et elle commence à se vider de son sang. Elle décide de rester au lit et confie à la caméra : « A ce moment-là, j’ai accepté de mourir, je pensais que je n’avais de valeur pour personne, que je n’étais rien ». C’est un voisin qui va donner l’alerte et la sauver. Croyant que tout ce qu’elle avait vécu était inhérent à son parcours, elle a cru être longtemps LA source du problème. Vers la fin du documentaire, on entend sa voix dans un message téléphonique laissé à la réalisatrice. Elle y évoque les conséquences du manque relationnel avec le monde extérieur, celui des adultes, qui a constitué un handicap dans sa vie. Message dans lequel elle raconte qu’elle s’est posé la question de savoir comment trouver sa place et où puiser l’énergie d’aimer et d’être aimée, de travailler… D’exister.
Evoquant sa maternité, l’une d’elles confie également : « Les enfants en ont pâti parce qu’on ne les a pas aimé.e.s comme on aurait dû les aimer. On les aimait bien, mais on n’avait rien à leur donner “en plus” parce que nous on n’avait rien reçu. Et, ça, c’est terrible pour eux. »

Une histoire de complicité entre l’Eglise et l’Etat qui s’est poursuivie après 1905

Pour la réalisatrice, la situation de ces « mauvaises filles » démontre bien le déni sociétal organisé et maintenu – à tous les niveaux – sur la situation de ces adolescentes qualifiées d’« en perdition » par la société. Le documentaire met en lumière une certaine organisation qui, avec la complicité de l’Eglise et de l’Etat, a permis de faire travailler durant des décennies des générations de filles dont le travail et la main d’œuvre ne coûtaient rien et pouvaient rapporter gros. Pourtant, c’est en 1905 qu’a été promulguée la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat en France. Soit quelques décennies auparavant.
L’abolition de l’autorité paternelle est prononcée, quant à elle, en 1958. Mais ce sont des mères qui, comme celle de Michèle, demandent à faire placer leur fille jugée « trop impertinente ». Ces maisons de correction ont perduré en France jusque dans les années 1980. Il y avait des établissement laïcs pour les « mauvais garçons » et des instituts religieux pour les « mauvaises filles ».
Questionnée sur le comportement des religieuses du Bon Pasteur, la réalisatrice pense qu’« elles ne savaient pas comment s’occuper de ces jeunes filles aux parcours difficiles et qu’elles n’avaient pas été formées pour ça », précisant qu’« elles étaient elles-mêmes sous l’emprise d’un dogme religieux ». Qui, nous le savons, ne traite pas de façon égale les hommes et les femmes. Pour Emérance, ces religieuses reproduisaient les techniques patriarcales de soumission qu’on retrouve dans les situations de violences : avilissement, punition, dénigrement, main-mise psychologique, maltraitances, isolement…
Voici bien la preuve – par cinq, comme le nombre des femmes qui ont témoigné – que les « mauvaises filles » ne sont pas forcément celles qu’on croit. N’allez pas voir ce film : courez-y.
Claudine Cordani

L’Impressionnisme, éloge de la mode (co-écrit avec Anne Andreu, 2012) et Poupées de lumière, portrait de Michel Nedjar (2008). Emérance Dubas est lauréate de la bourse Brouillon d’un rêve (Scam) pour son documentaire Mauvaises Filles.

** Historienne et chercheuse française, Véronique Blanchard est la responsable du centre d’exposition « Enfants en justice - XIX-XXe siècles ». Situé à Savigny-sur-Orge, le lieu existe depuis 2001. Un sujet qui a fait l’objet de sa thèse d’histoire, soutenue en 2016 : « Mauvaises filles » : portraits de la déviance féminine juvénile (1945-1958). Simultanément, le livre Mauvaises Filles, incorrigibles et rebelles sort chez Textuel. L’ouvrage couvre la période 1840-2000 et est co-écrit avec l’historien David Niget.

La Place, c’est la classe !

Pour Les Cent Plumes, octobre a été idéal pour accueillir deux bonnes nouvelles arrivées le même jour : le 6 du mois. La première vient d’Algérie avec La Place. C’est le nom de la nouvelle revue féministe créée par deux militantes du Hirak : Maya Ouabadi et Saadia Gacem.
La Place, c’est aussi le titre du livre d’Annie Ernaux qui lui a fait remporter le prix Renaudot en 1984. La «transfugivité», comme l’écrivaine la nomme elle-même, avait déjà trouvé là une jolie place. Pour son œuvre puissante, féministe et universelle publiée depuis 1974, lui a été décerné le prix Nobel de littérature. Ainsi, Annie Ernaux est la première autrice française à recevoir LA récompense. Il était temps. suite
Avec Courrier international, Le Monde, 6 oct.

Toutes les histoires sont vraies

« Le récit est là, comme la vie. » La petite phrase du philosophe Roland Barthes nous revient en tête après avoir lu Toutes les histoires sont vraies, le premier roman du journaliste Guy Birenbaum.

À l’origine de son livre, une révolte intérieure contre les rumeurs, les tromperies et autres calomnies professées sans aucune retenue dès le premier micro tendu ou la moindre caméra braquée, avant d’être démultipliées sur la toile, où d’autres, anonymes cette fois, auraient à cœur joie d’amplifier la fable… Sanitaire d’abord, complotiste ensuite, doutant de tout et de tous, au mépris des faits.
Aux fabulateurs stériles et à l’ère de la post-vérité, Guy Birenbaum oppose l’art de conter voire de se raconter. Roman autobiographique ou autobiographie romancée, Toutes les histoires sont vraies joue de l’ambiguïté et de la porosité des genres. La voix narrative remonte le temps et les âges d’un « il », dont les traits épousent curieusement ceux de l’auteur tout en s’en tenant à bonne distance. Pas de « je » gonflé d’orgueil mais un soi devenu personnage aux mille vies : adolescent potache ou maître de conférences, blogueur ou consultant politique, éditeur ou moniteur de tennis.
À travers une série de textes éclectiques, le lecteur découvre les « mythologies » fondatrices du personnage et reconstitue le puzzle de toute une vie. Le romancier feuillette ses souvenirs, les revisite et les met en perspective comme on le ferait d’une collection d’instantanés. L’écriture, agile et intimiste, saisit sur le vif des tranches de vie patinées d’humour, de tendresse ou de nostalgie.

Un roman qui vient nourrir un besoin d’expériences collectives

Pour Guy Birenbaum, la vérité se cache au cœur des expériences, car c’est dans leur richesse et leur complexité que le monde prend consistance. Du réel, donc. Toutes les histoires sont vraies est un retour aux sources, une reconquête de soi par la régénération du souvenir et la rectification critique. Dans le va-et-vient chronologique, le mouvement de l’écriture tente de saisir un être mouvant marqué par les lieux, les objets et les rencontres. Le parti pris du romancier est clair : son personnage est la somme des vécus hétéroclites qui se mêlent en lui et se réactivent au gré des nombreuses synchronicités de l’existence.
Guy Birenbaum l’a bien compris : maîtriser l’art du récit permet, si ce n’est de triompher du monde, au moins de lui donner corps et de le comprendre. La fragmentation romanesque se mue en un rassurant faisceau racinaire, vaste conjuration contre l’injuste déracinement auquel l’Histoire soumit sa famille. Il tisse les franges merveilleuses d’une égide protectrice, capable de tenir à distance le mensonge. C’est sa grand-mère, Rywka, qui s’endort debout contre le radiateur. C’est sa mère, Tauba, et ses expressions yiddish. Ce sont les plages normandes, qu’il arpente entre deux matchs de tennis. Ce sont ses chiens et tous les siens. Dans ce monde recomposé empreint de poésie et de malice, les usines fabriquent des nuages et les chevaux prennent le métro.
Le roman ne comble pas seulement un désir de fiction : il vient également nourrir un besoin d’expériences collectives. La subjectivité du récit s’efface derrière une langue universelle, celle de l’espièglerie d’une jeunesse menée tambour battant dans les années 1980-90. En ce temps, Guy Birenbaum partage cette énergie transgressive et bon enfant des premiers émois amoureux et des complicités adolescentes, à l’heure des vidéoclubs, des cabines téléphoniques et des Who qui chantent à la radio.

Une quête d’authenticité qui questionne valeurs et motivations profondes

Le romancier croque aussi les caractères. Plus que la vérité finalement, c’est l’authenticité qu’il recherche, sans crainte de montrer ses personnages sous leur plus mauvais jour. Esprits fantasques et personnages grotesques étoilent les pages de son livre et découvrent le meilleur comme le pire de l’humanité. Pour Guy Birenbaum il n’y a plus de héros : mais des hommes pétris de contradictions. Il revient ainsi sans fards sur ses rencontres manquées, par faute de mots à opposer à la détresse ou à la folie humaine, et se retourne sur ses petits et ses grands travers, comme sa facilité jadis, à se plier à la tyrannie du bon mot.
Surgit alors une vision tranchante d’un monde où le verbe se voile pour fracasser. La mise en cause de la parole, du « ON » contre le « OFF », révèle toute la discordance des discours préparés, agencés, maquillés. Toute leur violence aussi. Celle du monde médiatique qui scénarise le simulacre de l’information et du débat d’idées, à l’abri du confort aseptisé d’un studio. Celle du monde professionnel, dont les ineptes anglicismes ou le français ouaté composent une langue managériale, à la sauce « start-up nation », source de souffrances et d’humiliation pour celles et ceux qui, sans réseau ou privé.e.s d’emploi, se retrouvent fatalement déclassé.e.s, invalidé.e.s… hors champ.
Dès lors, derrière l’apparent vagabondage mémoriel, Guy Birenbaum nous renvoie à notre propre loyauté. Son roman questionne notre alignement sur nos valeurs, nous poussant à nous demander : à qui vont nos allégeances ultimes ?
La Fille Karamazov


Toutes les histoires sont vraies
Guy Birenbaum
Les Editions Braquage
Sortie : septembre 2022
280 pages
22 €

Viendra le temps du feu

Le dernier-né des ouvrages de Wendy Delorme est un roman choral, véritable dystopie qui allie le féminisme et l’écologie. Viendra le temps du feu raconte un sombre monde vivant dans le souvenir de celui d’avant. Il y est question de jeunesse décimée, de procréation à la chaîne et de presse sous contrôle… mais aussi de jeunes esprits libres et rebellés contre l’Etat liberticide.

Trois décennies plus tôt, le monde dans lequel évoluent les personnages de ce roman a été l’objet de profondes modifications liées au changement climatique. Il y a eu des morts, beaucoup. «Le Grand Deuil national, la perte de nos jeunes, reste commémoré chaque premier du mois pour ne pas qu'on oublie la raison pour laquelle le Pacte fut voté. Cinq minutes de silence dans tout le territoire, les yeux levés au ciel. Le temps de se rappeler qu'on est de celles et ceux qui vivent sur des terres que l'on peut cultiver, près d'une eau qu'on peut boire. Que dans notre système chacun reçoit son dû, qu'on ne manque de rien pourvu qu'on contribue. »
Le Pacte National a donc été adopté. Avec un objectif clair : repeupler le territoire. Désormais, les habitants doivent s'organiser par paire, et engendrer le plus possible c'est le «Grand Repeuplement ». On nomme les jeunes parents des «contributeurs ». La maternité est valorisée et devient signe d’appartenance à la société, un marqueur d’inclusion «Les mères (…) se doivent d’exhiber dès leur première contribution les bras ronds, ventre plein et hanches évasées de celles qui ont mis bas.»

Devenue propagande, la presse est désormais sous le contrôle de l’État

Louise et Raphaël sont nés «à l'intérieur », dans cette société liberticide. Malgré le poids de la société et les injonctions, malgré leurs impétueux 25 ans, malgré les examens gynécologiques à répétition : ils n'ont toujours pas procréé. Ces deux jeunes gens s'aiment d'un amour inconditionnel mais ils ne veulent ni l'un ni l'autre avoir d'enfant. En tout cas, pas dans cette société-là. Alors ils trichent, ils mentent à la société, à tout le monde.
Eve, Rosa et Grâce, elles, sont des sœurs de cœur qui se sont rencontrées après avoir fui la société alors que, depuis le Pacte, les frontières sont fermées. Refusant cette vie programmée, cette dictature de la pensée, elles se sont rebellées contre les violences faites aux jeunes qui manifestaient pour le climat. Elles ont refusé le patriarcat, le colonialisme, etc. Ensemble, elles ont fui. Ensemble, elles ont vécu dans la forêt, en ont tiré des connaissances, du savoir-faire, ont découvent ce que la nature avait à leur offrir… jusqu'à ce que le gouvernement en décide autrement. Elles ont été traquées sans fin. Alors, elles ont fui de nouveau.
Dans la société que nous décrit Wendy Delorme, les libertés individuelles sont bafouées. La presse est sous le contrôle de l'État qui l’utilise pour sa propagande. Les livres du monde «d'avant » sont prohibés : «Ce sont eux qui ont dit que les livres rendent triste, les livres nous rappellent comment c’était avant, les livres tuent nos jeunes. Il faut les interdire et en faire de nouveaux des plus divertissants, des qui n’étreignent pas le cœur d’une trop grande, d’une immensité nostalgie d’un monde qui n’est plus, que je ne connaîtra pas, que je n’ai pas connu. »

Ce roman évoque trois livres : La Servante écarlate, Fahrenheit 451 et 1984

Découvrant de vieux ouvrages d’un monde perdu, Louise constate : «Je comprends maintenant pourquoi beaucoup de livres, quand ma mère était jeune, ont été retirés du commerce officiel et des lieux dédiés, comme des bibliothèques de particuliers. (…) Pourquoi les voies de presse, d’édition, les écrans, le réseau, sont tous supervisés par la Régie centrale des Discours et Données. Si tout le monde savait comment c’était avant, notre réalité serait insupportable. »
Sous bien des aspects, ce roman évoque La Servante écarlate, de Margaret Atwood, pour le rapport à la maternité et la perte des droits des femmes, Fahrenheit 451 (Ray Bradbury) pour la manipulation et le contrôle des esprits ou encore 1984, œuvre de George Orwell, pour un système sociétal liberticide. Une vision sombre de notre futur me direz-vous ? Eh bien, oui et non.
Bien sûr, le propos est sombre mais Wendy Delorme nous offre ici une réflexion sur le pouvoir des mots, ceux qui pansent et ceux qui permettent de supporter l’inacceptable. En même temps, avec ce roman, l’écrivaine donne la parole à des minorités : celles et ceux qui ne renoncent pas à leurs convictions. Enfin, que d’espoir et de lumière dans ces mots de Raphaël : «Mère, il y a un ailleurs, un autre monde possible, je le crois, je le sais. Personne ne devrait selon la loi des autres vivre une vie emmurée.» En effet.
Corinne Gili
@quatriemedecouverture

Viendra le temps du feu
Editions Cambourakis, collection «Sorcières»
Sortie : juillet 2021
200 pages
12 €

Le Satellite de l’Amande

C’est en 1972 que Françoise d’Eaubonne a l’idée d’écrire un space-opéra qui imaginerait une société sans hommes survenue à la suite d’une violente et sanglante guerre des sexes. Le Satellite de l’Amande est le premier tome de cette œuvre à découvrir.

Françoise d’ Eaubonne (1920-2005) est une figure des lettres et de la politique : résistante, communiste, militante anti-colonialiste, elle est aussi féministe depuis l’enfance. A 10 ans, elle distribue des tracts dans les boîtes aux lettres, proclamant l’égalité des sexes, et à la sortie du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, en 1949, elle s’est aussitôt enflammée !
Mai 68 la plonge dans l’action alors qu’elle est déjà deux fois grand-mère. En 1970, elle rejoint le Mouvement de libération des femmes (MLF). Françoise d’Eaubonne crée l’année suivante avec un groupe de lesbiennes et quelques gays, dont Guy Hocquenghem*, le Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), alors qu’elle n’est pas lesbienne elle-même.
En avril 1972, elle se rend avec quelques militants du Fhar à San Remo, où doit se dérouler un colloque psychiatrique sur le thème de l’homosexualité, vu comme une pathologie qu’il faudrait traiter. Elle est accompagnée de son amant, Marc Payen, qui a trente ans de moins qu’elle et qui veille sur elle comme le lait sur le feu. Après avoir tenté de saboter le colloque, leur périple rocambolesque se poursuit à Rome, où Françoise d’Eaubonne commence à réfléchir à ce qui deviendra son livre le plus emblématique, Le Féminisme ou la Mort, qui paraîtra en 1974. Elle commence aussi, raconte-t-elle dans ses carnets intimes, à brosser l’intrigue de la Saga des Bergères, finalement dénommée La Trilogie du Losange.

Un roman qui raconte un voyage exploratoire sur le satellite de l’Amande, du nom d’un soleil en forme de vulve

Cette épopée qui se veut délirante et mal pensante commence par la fin avec Le Satellite de l’Amande, édité pour la première fois en 1975 aux toutes jeunes éditions Des femmes créées par Antoinette Fouque et d’autres membres du MLF. Le roman se déroule à la fin du XXIe siècle et raconte un voyage exploratoire sur le satellite de l’Amande, ainsi dénommé parce qu’il tourne autour du soleil Amande, en forme de vulve (tout comme l’emblème de la bien nommée société du losange). Une précédente expédition a mal tourné, et l’héroïne du roman, Ariane, tente de découvrir ce qui a pu se passer. Sa marche exploratoire la conduit dans les méandres mystérieux des pleins et des creux de cet astre. Chaque anfractuosité, chaque mouvement donne l’impression étrange d’avoir affaire à un être vivant. Lorsqu’un membre géant finit par se dresser sous ses yeux, Ariane finit par nourrir des soupçons sur la société du Losange. Pourquoi, comment les hommes en ont-ils disparu ? Ce sera le sujet du tome II, Les Bergères de l’apocalypse, qui prendra la forme d’une enquête historique et politique, remettant en cause cette société entièrement constituée de femmes, dont l’apparente perfection écologique et politique cache de sombres tyrannies. Je vous en parle le mois prochain. Enfin, Le dernier tome de cette trilogie, Un Bonheur viril, à paraître le 10 novembre 2022, reviendra sur la genèse de ce désastre.
Elise Thiébaut

* En septembre 2020, la mairie de Paris fait retirer une plaque qui honorait la mémoire de l’écrivain Guy Hocquenghem (1946-1988), qui a fait l’apologie de ce qu’on nommait à l’époque pédophilie. L’écrivain était l’ami d’un autre écrivain : le pédocriminel Gabriel Matzneff.
Le Satellite de l’Amande, tome I de La Trilogie du Losange
Françoise d’Eaubonne

éditions des femmes-Antoinette Fouque
Sortie : 1975
192 pages - 15 €

La Bambouseraie

[expo] Située à Générargues, dans le Gard (30), la Bambouseraie en Cévennes est un des jardins de France parmi les plus réputés dans son genre. Ce site réunit plus de 1 000 variétés de bambous, d’arbres et de plantes. Unique en Europe, ce coin asiatique inspire chaque année bon nombre d’artistes contemporains. Faites vite, des œuvres éphémères sont à découvrir avant le 13 novembre prochain dans le cadre de l’exposition Art & Nature !
La Bambouseraie en Cévennes est engagée dans la réduction de son impact sur l’environnement. Comme pour d’autres lieux à ciel ouvert et respectueux du vivant qui nous entoure, une visite dans un tel lieu peut permettre de réfléchir à notre rapport à la nature et, plus généralement, à notre rapport au vivant. D’ailleurs, vos compagnons à quatre pattes sont les bienvenus, à condition d’être tenus en laisse.
Pour en savoir plus : www.labambouseraie.fr

7e Rencontre annuelle des lanceurs d’alerte

Les 11, 12 et au 13 novembre prochains se tiendra la très attendue Rencontre annuelle des lanceurs d’alerte à la MSH, Paris Nord (La Plaine Saint-Denis, 93). Pour cette 7e édition, la question centrale est « Sommes-nous entrés dans une période où il est nécessaire de résister face à l’inaction ? » Et les organisateurs de nous rappeler qu’alerter n’est pas une opinion mais un acte de citoyenneté. Il sera bien sûr question du sort réservé à Julian Assange – en présence de sa compagne Stella Morris Assange –, des mouvements de résistance citoyenne, de la libération de la parole dans les affaires de violences sexuelles, de viol et de harcèlement dans tous les domaines (culture, milieux et partis politiques, sport, représentants de l’ordre et de la loi...) Seront présent.e.s : des actrices et des acteurs du monde de l’alerte, des autrices et des auteurs, des journalistes, des chercheuses et des chercheurs, des universitaires, des lanceuses et des lanceurs d’alerte. Comme d’habitude, une large place sera laissée aux livres selon le slogan « Délivrez l’alerte, des livres et l’alerte ». 
Pour découvrir le programme : https://lanceurs-alerte.fr

Impunité

Sujet incontournable, la culture du viol a fait elle aussi sa rentrée littéraire. Avec son livre, la journaliste Hélène Devynck porte la parole des victimes de Patrick Poivre d’Arvor, 75 ans. Impunité est un livre qui raconte sa propre histoire et qui retentit comme un cri du cœur lancé contre une injustice de la justice : la prescription.

Au départ, Florence Porcel a pris la parole. Courageusement. Puis il y a eu Mediapart : une émission, des témoignages, des révélations… Glaçant : des femmes, jeunes ou plus âgées, unies, soudées face à la colère, face à la peur et à la douleur sont venues s’exprimer. Elles sont venues raconter l’enfer PPDA face caméra. Certaines ne se connaissaient pas avant l’émission. Issues de milieux socio-culturels différents, de régions diverses, elles avaient ce jour-là et ont encore aujourd’hui beaucoup en commun. Toutes sont victimes d’un bourreau, un même bourreau. Cet homme, nous le connaissons toutes et tous puisqu’il s’est invité en toute impunité dans notre salon durant des années en présentant le JT, regardant les gens les yeux dans les yeux. Le journal de 20 Heures est un rendez-vous quotidien suivi par dix millions environ de téléspectatrices et de téléspectateurs.
Mais voici désormais venu un autre temps, celui du livre Impunité, poignant témoignage littéraire cinglant, grinçant et émouvant de la journaliste Hélène Devynck paru le mois dernier, en septembre.
Dans le livre, elle raconte une année de l’«affaire Patrick Poivre d’Arvor». Un an d’errances et de combats. Un an de d’espoirs et de déceptions. Hélène Devynck y relate bien sûr son histoire, également celle des autres plaignantes. Toutes ces femmes ont eu le courage de raconter les faits – les crimes – en pointant du doigt le journaliste comme étant leur violeur. C’est avec ses mots à elle qu’Hélène Devynck donne la parole à toutes ces victimes en leur conférant également une légitimité, une respectabilité – que peut-être certaines pensaient avoir perdue. Il n’en est rien, parce que toutes ces femmes sont dignes. Ce sont les mots de la journaliste, ce sont leurs histoires à toutes, uniques, singulières et bouleversantes qu’elle nous donne à entendre. Et oui, parfois, ces mots font mal.

Un récit commun qui sonne comme un plaidoyer pour faire lever la prescription

Hélène Devynck donne la parole à ses «sœurs de misère ». Sont tour à tour évoqués: l’état de sidération au moment des faits, le sentiment de la honte qui les a assaillies et les stratégies qu’elles ont pu mettre en place pour survive à «ça». Ce sont ces sommes d’individualités qui se sont trouvées, comprises et qui, ainsi, ont pu rompre avec leur solitude en se reconnaissant entre elles.
Avec Impunité, Hélène Devynck propose «une lettre, un hommage». Elle a cherché aussi à «montrer l'étoffe dans laquelle se tisse l'impunité». Ainsi, l’autrice et journaliste s’interroge sur la responsabilité de TF1* et tout un «système criminel » où beaucoup de personnes savaient exactement ce qui se tramait. Toute une organisation criminelle qui, à défaut de soutenir a – au minimum – fermé les yeux sur l’insupportable vérité qu’il aurait pourtant fallu dénoncer. Une participation muette et criante de déni. Heureusement, certaines autres femmes ont pu être protégées : il leur a été déconseillé de se retrouver et/ou de rester seule avec le journaliste. Cependant, jamais rien n’a été mis en place ni organisé pour contrer le comportement violent et criminel de cette «star du JT». Jamais. Ainsi, récusant la notion de «prédateur », la journaliste et autrice de préciser : «Je n'ai pas été violée par un animal – mais par un homme superbement intégré à la communauté». Cela en dit long sur l’ambiance de l’époque qui régnait chez TF1…

«La menace de la diffamation pèse sur chacun de mes mots»

Dans Impunité, Hélène Devynck aborde la question de la prescription des faits. Ainsi, quand elle écrit : «Je ne peux pas prouver que Patrick Poivre d'Arvor m'a violée. Je ne le pourrai jamais. Les faits sont prescrits. Ils ne seront jamais jugés.» Mais comment ne pas avoir envie de hurler en lisant ça ?! N’en déplaise à Madame Badinter si elle tombe sur ces lignes : les délais pour porter plainte pour viols ne devraient pas être limités dans le temps. Oui, exactement, car ceux-ci ne devraient pas être atteints par la prescription.
En effet, toute victime doit pouvoir prendre le temps dont elle ou il a besoin pour, d’abord, se maintenir en vie, sortir de l’état imminent de trauma puis, avec le temps, pourvoir démarrer son propre chemin vers la résilience, la période de reconstruction Et à son rythme. Un temps qui peut être long, très long. C’est selon.
Si c’est une Hélène Devynck résignée qui évoque la prescription des faits, c’est la même Hélène en colère qui raconte les plaintes pour diffamation exercées par Patrick Poivre d’Arvor que, décidément, rien ne semble arrêter… Même à 75 ans. A ce sujet, la journaliste écrit : «La menace de la diffamation pèse sur chacun de mes mots». Retraité, en effet, il est. Mais toujours actif, apparemment.
Au milieu de toute cette colère, de toutes ces peurs, de tous ces espoirs déçus, on entrevoit une lueur d’espoir chez toutes ces femmes réunies dans ce livre. L’espoir que la parole se libère pour elles comme pour d’autres victimes. Au travers des témoignages, on entend l’espoir que leur message accompagne et vienne soutenir d’autres femmes. C’est aussi ça, la sororité.
Mais comment ne pas avoir l’idée un peu folle que la société enlève enfin ses œillères pour se pencher enfin sur la question de la prescription ? Parce que, oui, les choses pourraient changer. Elles pourraient même évoluer en faveur du droit de toutes les victimes de viol en France à reconnaître le temps long de la «reconstruction» et leur laisser celui de porter plainte. Oui, la société pourrait enfin s’en charger – en toute « punité ».
Corinne Gili
@quatriemedecouverture

* Le groupe de médias français TF1 a employé PPDA, Nicolas Hulot, Gérard Louvin, Jean-Claude Bourdin…


Impunité
Hélène Devynck
Editions du Seuil
Sortie : septembre 2022
272 pages
19 €

Allô ! C’est pour un dernier mot  d’Aurore Ponsonnet

Parce qu'il n'y a pas que des légumes oubliés, mais
aussi des verbes et des mots, j'en déterre quelques-uns
pour vous. Une belle occasion
de cultiver ensemble notre connaissance de
la langue française.
Ce mois-ci : peler

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Peler

Spéciale dédicace aux personnes « en situation de sobriété subie » (communément appelées « les pauvres ») :

La Cigale ayant climatisé tout l’été
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Elle alla crier : « Je me pèle le cul »
À la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Un radiateur pour subsister.
Vous vous pelez le cul ? Je m’en tape.
Enfilez donc un col roulé !

Un peu d'étymologie
Le verbe peler, issu du bas latin pilare, dérivé de pilus (qui a donné poil) a d’abord signifié « enlever les poils ». Dans l’expression familière « trois pelés et un tondu », on fait allusion aux chauves qui n’ont plus un poil sur le caillou. Tiens, à ce propos, quand on est « à poil », on n’est pas « velu », mais « tout nu »… Le verbe peler a perdu son sens premier. Il a été rapproché de l’ancien français pel (peau). Peler, désormais, c’est « enlever la peau » (tandis qu’épiler c’est « enlever les poils », on y revient). Si allumer les radiateurs vous coûte la peau du cul, alors vous vous pèlerez… le cul (ce mot se retrouve dans moult expressions), vous direz : « Boudiou, on pèle par ici ! »… Cela ne signifiera pas que vous allez vous enlever la peau des fesses, mais que vous avez froid (se peler est ici utilisé par allusion à l'action du froid sur la peau). Ainsi, vous aurez la peau ansérine (c’est-à-dire la chair de poule). La solution ? Sobriété… et col roulé !
Aurore Ponsonnet