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Le prix de la ménopause au travail

Considérée comme l’entrée dans le vieillissement, la ménopause reste l’un des tabous les plus tenaces dans le monde du travail. Stigmatisé, ce bouleversement intime du corps des femmes rejaillit sur la société toute entière et sur l’économie – qui en paie la facture. Un bon calcul ?

Le Women’s Forum, grand-messe au féminin du leadership et du business, inscrivait à son programme il y a deux ans une table ronde qui posait le sujet : « No country for old women ». Autrement dit : pas de salut pour les vieilles au sein de l’entreprise. C’était bien la première fois que les hormones avaient le droit de cité parmi les leaders du monde des affaires ! Un signal faible qu’il fallait décrypter dans un contexte d’une « grande démission » pas encore annoncée.
En plus du « statut » de senior à partir de 45 ans en entreprise, les femmes subissent une discrimination supplémentaire. A l’âge de la ménopause, se combine le sexisme institutionnalisé qui pose question : comment faire avec des symptômes qui nous disqualifient automatiquement en terme de productivité, de légitimité ? Un stéréotype de genre qui s’énonce ainsi : les transformations physiologiques et physiques qui ont un impact sur le corps des femmes rendent leurs compétences obsolètes… Aussi simple que ça ? Un raccourci sans nuance qui oublie qu’à l’heure des crises, l’expertise et la transmission des savoir-faire reste le meilleur rempart contre les bouleversements qui traversent cette société post-Covid.

L’Angleterre, fer de lance de la ménopause au travail


Prompte à se défaire des liens européens, l’Angleterre expérimente depuis plusieurs années, toujours avec le pragmatisme qui la caractérise, l’impact de cette invisibilisation des femmes de 45 ans et +. Non pas par philanthropie – parce que mettre à l’écart les femmes en raison de leurs hormones à un coût. Précurseure, la chaîne britannique Channel4 initie dès 2019 une politique de management «Menopause friendly». Au programme : des informations auprès de la hiérarchie et l’accompagnement des salariées. «Une femme sur dix interrogée pour Channel4 et ayant travaillé pendant la ménopause a déclaré avoir quitté son emploi en raison des symptômes, tandis que 14% avaient réduit leurs horaires et que 14% étaient passées à temps partiel. Imaginez que ces femmes aient obtenu l'aide dont elles avaient besoin (…)», indique The Guardian à la veille de la Journée mondiale de la Ménopause (18 octobre).
Selon l’autrice et réalisatrice Kate Muir, il se profile une «économie de la ménopause». Le départ massif de cette génération fragilise les entreprises. Tanuj Kapilashrami, directrice des ressources humaines de Standard Chartered Bank, a publié une vaste enquête au sein des services financiers de son groupe en octobre 2021. Le résultat est édifiant. Au total : 128 000 femmes, soit une employée sur dix, qui travaillent dans le secteur des services financiers sont actuellement en période de ménopause. La moitié des femmes interrogées affirment qu’elles seraient moins enclines à postuler pour une promotion et un quart d’entre elles envisageraient de quitter leur travail en prenant leur retraite ou en optant pour une reconversion.
Il ne s’agit plus d’une saignée des talents mais d’une hémorragie dont les conséquences sont multiples. L’étude de la banque britannique les a listées : absence de transmission des savoirs et des expertises, perte de la culture d’entreprise, charge de travail en hausse pour le personnel restant, augmentation des coûts et limitation de la croissance…
A l’heure où la génération Z refuse les plans de carrière à plus de trois ans au sein d’une même entreprise et où la pénurie de compétence est un enjeu majeur, on s’interroge sur la réticence des RH à recruter au-delà de 45 ans des femmes expertes.
Sophie Dancourt