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Impunité

Sujet incontournable, la culture du viol a fait elle aussi sa rentrée littéraire. Avec son livre, la journaliste Hélène Devynck porte la parole des victimes de Patrick Poivre d’Arvor, 75 ans. Impunité est un livre qui raconte sa propre histoire et qui retentit comme un cri du cœur lancé contre une injustice de la justice : la prescription.

Au départ, Florence Porcel a pris la parole. Courageusement. Puis il y a eu Mediapart : une émission, des témoignages, des révélations… Glaçant : des femmes, jeunes ou plus âgées, unies, soudées face à la colère, face à la peur et à la douleur sont venues s’exprimer. Elles sont venues raconter l’enfer PPDA face caméra. Certaines ne se connaissaient pas avant l’émission. Issues de milieux socio-culturels différents, de régions diverses, elles avaient ce jour-là et ont encore aujourd’hui beaucoup en commun. Toutes sont victimes d’un bourreau, un même bourreau. Cet homme, nous le connaissons toutes et tous puisqu’il s’est invité en toute impunité dans notre salon durant des années en présentant le JT, regardant les gens les yeux dans les yeux. Le journal de 20 Heures est un rendez-vous quotidien suivi par dix millions environ de téléspectatrices et de téléspectateurs.
Mais voici désormais venu un autre temps, celui du livre Impunité, poignant témoignage littéraire cinglant, grinçant et émouvant de la journaliste Hélène Devynck paru le mois dernier, en septembre.
Dans le livre, elle raconte une année de l’«affaire Patrick Poivre d’Arvor». Un an d’errances et de combats. Un an de d’espoirs et de déceptions. Hélène Devynck y relate bien sûr son histoire, également celle des autres plaignantes. Toutes ces femmes ont eu le courage de raconter les faits – les crimes – en pointant du doigt le journaliste comme étant leur violeur. C’est avec ses mots à elle qu’Hélène Devynck donne la parole à toutes ces victimes en leur conférant également une légitimité, une respectabilité – que peut-être certaines pensaient avoir perdue. Il n’en est rien, parce que toutes ces femmes sont dignes. Ce sont les mots de la journaliste, ce sont leurs histoires à toutes, uniques, singulières et bouleversantes qu’elle nous donne à entendre. Et oui, parfois, ces mots font mal.

Un récit commun qui sonne comme un plaidoyer pour faire lever la prescription


Hélène Devynck donne la parole à ses «sœurs de misère ». Sont tour à tour évoqués: l’état de sidération au moment des faits, le sentiment de la honte qui les a assaillies et les stratégies qu’elles ont pu mettre en place pour survive à «ça». Ce sont ces sommes d’individualités qui se sont trouvées, comprises et qui, ainsi, ont pu rompre avec leur solitude en se reconnaissant entre elles.
Avec Impunité, Hélène Devynck propose «une lettre, un hommage». Elle a cherché aussi à «montrer l'étoffe dans laquelle se tisse l'impunité». Ainsi, l’autrice et journaliste s’interroge sur la responsabilité de TF1* et tout un «système criminel » où beaucoup de personnes savaient exactement ce qui se tramait. Toute une organisation criminelle qui, à défaut de soutenir a – au minimum – fermé les yeux sur l’insupportable vérité qu’il aurait pourtant fallu dénoncer. Une participation muette et criante de déni. Heureusement, certaines autres femmes ont pu être protégées : il leur a été déconseillé de se retrouver et/ou de rester seule avec le journaliste. Cependant, jamais rien n’a été mis en place ni organisé pour contrer le comportement violent et criminel de cette «star du JT». Jamais. Ainsi, récusant la notion de «prédateur », la journaliste et autrice de préciser : «Je n'ai pas été violée par un animal – mais par un homme superbement intégré à la communauté». Cela en dit long sur l’ambiance de l’époque qui régnait chez TF1…

«La menace de la diffamation pèse sur chacun de mes mots»


Dans Impunité, Hélène Devynck aborde la question de la prescription des faits. Ainsi, quand elle écrit : «Je ne peux pas prouver que Patrick Poivre d'Arvor m'a violée. Je ne le pourrai jamais. Les faits sont prescrits. Ils ne seront jamais jugés.» Mais comment ne pas avoir envie de hurler en lisant ça ?! N’en déplaise à Madame Badinter si elle tombe sur ces lignes : les délais pour porter plainte pour viols ne devraient pas être limités dans le temps. Oui, exactement, car ceux-ci ne devraient pas être atteints par la prescription.
En effet, toute victime doit pouvoir prendre le temps dont elle ou il a besoin pour, d’abord, se maintenir en vie, sortir de l’état imminent de trauma puis, avec le temps, pourvoir démarrer son propre chemin vers la résilience, la période de reconstruction Et à son rythme. Un temps qui peut être long, très long. C’est selon.
Si c’est une Hélène Devynck résignée qui évoque la prescription des faits, c’est la même Hélène en colère qui raconte les plaintes pour diffamation exercées par Patrick Poivre d’Arvor que, décidément, rien ne semble arrêter… Même à 75 ans. A ce sujet, la journaliste écrit : «La menace de la diffamation pèse sur chacun de mes mots». Retraité, en effet, il est. Mais toujours actif, apparemment.
Au milieu de toute cette colère, de toutes ces peurs, de tous ces espoirs déçus, on entrevoit une lueur d’espoir chez toutes ces femmes réunies dans ce livre. L’espoir que la parole se libère pour elles comme pour d’autres victimes. Au travers des témoignages, on entend l’espoir que leur message accompagne et vienne soutenir d’autres femmes. C’est aussi ça, la sororité.
Mais comment ne pas avoir l’idée un peu folle que la société enlève enfin ses œillères pour se pencher enfin sur la question de la prescription ? Parce que, oui, les choses pourraient changer. Elles pourraient même évoluer en faveur du droit de toutes les victimes de viol en France à reconnaître le temps long de la «reconstruction» et leur laisser celui de porter plainte. Oui, la société pourrait enfin s’en charger – en toute « punité ».
Corinne Gili
@quatriemedecouverture

* Le groupe de médias français TF1 a employé PPDA, Nicolas Hulot, Gérard Louvin, Jean-Claude Bourdin…


Impunité
Hélène Devynck
Editions du Seuil
Sortie : septembre 2022
272 pages
19 €