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Toutes les histoires sont vraies

« Le récit est là, comme la vie. » La petite phrase du philosophe Roland Barthes nous revient en tête après avoir lu Toutes les histoires sont vraies, le premier roman du journaliste Guy Birenbaum.

À l’origine de son livre, une révolte intérieure contre les rumeurs, les tromperies et autres calomnies professées sans aucune retenue dès le premier micro tendu ou la moindre caméra braquée, avant d’être démultipliées sur la toile, où d’autres, anonymes cette fois, auraient à cœur joie d’amplifier la fable… Sanitaire d’abord, complotiste ensuite, doutant de tout et de tous, au mépris des faits.
Aux fabulateurs stériles et à l’ère de la post-vérité, Guy Birenbaum oppose l’art de conter voire de se raconter. Roman autobiographique ou autobiographie romancée, Toutes les histoires sont vraies joue de l’ambiguïté et de la porosité des genres. La voix narrative remonte le temps et les âges d’un « il », dont les traits épousent curieusement ceux de l’auteur tout en s’en tenant à bonne distance. Pas de « je » gonflé d’orgueil mais un soi devenu personnage aux mille vies : adolescent potache ou maître de conférences, blogueur ou consultant politique, éditeur ou moniteur de tennis.
À travers une série de textes éclectiques, le lecteur découvre les « mythologies » fondatrices du personnage et reconstitue le puzzle de toute une vie. Le romancier feuillette ses souvenirs, les revisite et les met en perspective comme on le ferait d’une collection d’instantanés. L’écriture, agile et intimiste, saisit sur le vif des tranches de vie patinées d’humour, de tendresse ou de nostalgie.

Un roman qui vient nourrir un besoin d’expériences collectives


Pour Guy Birenbaum, la vérité se cache au cœur des expériences, car c’est dans leur richesse et leur complexité que le monde prend consistance. Du réel, donc. Toutes les histoires sont vraies est un retour aux sources, une reconquête de soi par la régénération du souvenir et la rectification critique. Dans le va-et-vient chronologique, le mouvement de l’écriture tente de saisir un être mouvant marqué par les lieux, les objets et les rencontres. Le parti pris du romancier est clair : son personnage est la somme des vécus hétéroclites qui se mêlent en lui et se réactivent au gré des nombreuses synchronicités de l’existence.
Guy Birenbaum l’a bien compris : maîtriser l’art du récit permet, si ce n’est de triompher du monde, au moins de lui donner corps et de le comprendre. La fragmentation romanesque se mue en un rassurant faisceau racinaire, vaste conjuration contre l’injuste déracinement auquel l’Histoire soumit sa famille. Il tisse les franges merveilleuses d’une égide protectrice, capable de tenir à distance le mensonge. C’est sa grand-mère, Rywka, qui s’endort debout contre le radiateur. C’est sa mère, Tauba, et ses expressions yiddish. Ce sont les plages normandes, qu’il arpente entre deux matchs de tennis. Ce sont ses chiens et tous les siens. Dans ce monde recomposé empreint de poésie et de malice, les usines fabriquent des nuages et les chevaux prennent le métro.
Le roman ne comble pas seulement un désir de fiction : il vient également nourrir un besoin d’expériences collectives. La subjectivité du récit s’efface derrière une langue universelle, celle de l’espièglerie d’une jeunesse menée tambour battant dans les années 1980-90. En ce temps, Guy Birenbaum partage cette énergie transgressive et bon enfant des premiers émois amoureux et des complicités adolescentes, à l’heure des vidéoclubs, des cabines téléphoniques et des Who qui chantent à la radio.

Une quête d’authenticité qui questionne valeurs et motivations profondes


Le romancier croque aussi les caractères. Plus que la vérité finalement, c’est l’authenticité qu’il recherche, sans crainte de montrer ses personnages sous leur plus mauvais jour. Esprits fantasques et personnages grotesques étoilent les pages de son livre et découvrent le meilleur comme le pire de l’humanité. Pour Guy Birenbaum il n’y a plus de héros : mais des hommes pétris de contradictions. Il revient ainsi sans fards sur ses rencontres manquées, par faute de mots à opposer à la détresse ou à la folie humaine, et se retourne sur ses petits et ses grands travers, comme sa facilité jadis, à se plier à la tyrannie du bon mot.
Surgit alors une vision tranchante d’un monde où le verbe se voile pour fracasser. La mise en cause de la parole, du « ON » contre le « OFF », révèle toute la discordance des discours préparés, agencés, maquillés. Toute leur violence aussi. Celle du monde médiatique qui scénarise le simulacre de l’information et du débat d’idées, à l’abri du confort aseptisé d’un studio. Celle du monde professionnel, dont les ineptes anglicismes ou le français ouaté composent une langue managériale, à la sauce « start-up nation », source de souffrances et d’humiliation pour celles et ceux qui, sans réseau ou privé.e.s d’emploi, se retrouvent fatalement déclassé.e.s, invalidé.e.s… hors champ.
Dès lors, derrière l’apparent vagabondage mémoriel, Guy Birenbaum nous renvoie à notre propre loyauté. Son roman questionne notre alignement sur nos valeurs, nous poussant à nous demander : à qui vont nos allégeances ultimes ?
La Fille Karamazov


Toutes les histoires sont vraies
Guy Birenbaum
Les Editions Braquage
Sortie : septembre 2022
280 pages
22 €