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D’amour et d’Eaubonne

« J’ai toujours rêvé d’écrire la vie de Françoise d’Eaubonne » : ce tweet, c’est moi qui l’ai écrit en juillet 2019, et je suis encore étonnée de cette pulsion incompréhensible.

CC BY-SA 4.0

Car au moment où j’ai pris cette décision, je ne savais rien d’elle ou presque. Je me sentais pourtant reliée à elle de façon magique, ou du moins inconsciente : en écrivant sur les règles, j’avais forcément été plongée dans l’écoféminisme, les sorcières menstruelles et la radicalité d’un rapport au corps révolutionnaire.

Je savais que j’étais née un 12 mars, comme elle. Je savais qu’elle avait écrit une centaine de livres, qu’elle avait été proche des terroristes d’extrême-gauche, et qu’elle avait cofondé le Front homosexuel d’action révolutionnaire.

Une série de coïncidences incroyable m’a ouvert le chemin. En quelques semaines, j’ai signé un contrat, puis le Covid est arrivé. Je me suis retrouvée confinée à Berlin, où j’habitais alors, et j’ai commandé sur toutes les plateformes possibles les livres qu’elle avait écrits. Avec son fils, Vincent d’Eaubonne, et son fils adoptif et compagnon de lutte, Alain Lezongar, nous avons passé des heures en visio à refaire le monde de Françoise l’année même de son centenaire, puisqu’elle était née en 1920 (et morte en 2005). J’avais l’impression de vivre avec elle. Je découvrais sa pensée extraordinairement visionnaire, complexe, drôle et percutante à la fois, mais aussi les méandres de son cerveau génial, les impasses de sa vie folle, et la beauté d’un parcours qui disait l’histoire d’un siècle. Et je me demandais pourquoi elle avait été oubliée, invisibilisée, stigmatisée jusqu’à maintenant, alors qu’elle avait occupé une place aussi importante dans la littérature et la politique de son temps.

Une rentrée littéraire 100 % sorcières

C’est dans un essai fondateur, Le Féminisme ou la Mort, publié en 1974, qu’elle a forgé le concept d’écoféminisme dont on parle tant aujourd’hui. Un an plus tard, elle posait une bombe à Fessenheim, la centrale nucléaire alors en construction, sans faire de victime, repoussant les travaux d’un an. Ironiquement, la centrale sera définitivement mise à l’arrêt en juin 2020, l’année de son centenaire.

Après avoir publié sa biographie, L’Amazone verte, en mars 2021, j’ai été conviée par Vincent d’Eaubonne à former un collectif avec Alain Lezongar et l’agente littéraire Karine Lanini afin de faire connaître et republier l’œuvre de Françoise d’Eaubonne. Après Françoise d’Eaubonne et l’écoféminisme, publié par Caroline Goldblum au Passager clandestin, Le Féminisme ou la Mort a été réédité en octobre 2020, avec une préface de Myriam Bahaffou et Julie Gorecki – et a été enfin traduit en anglais avec un avant-propos de la philosophe écoféministe Carolyn Merchant.

Les éditions Julliard, son éditeur historique, ont republié en octobre 2021 et sous l’égide de Vanessa Springora son premier essai féministe Le Complexe de Diane (1951). Les éditions Des Femmes – Antoinette Fouque ont réédité La Trilogie du Losange, une saga de science-fiction écrite entre 1972 et 1983 : Le Satellite de l’Amande, puis Les Bergères de l’Apocalypse, et enfin Un Bonheur viril, le dernier tome, qui n’avait jamais été publié, et qui paraîtra en novembre 2022.

Enfin, le Sexocide des sorcières, un pamphlet paru en 1999 qui préfigure le magnifique essai de Mona Chollet, sera réédité en 2023 Au diable vauvert, tandis que les éditions Cambourakis, à qui l’on doit la mythique collection Sorcières, chaudron bouillonnant de l’écoféminisme, feront paraître un de ses essais les plus radicaux : Contre-violence et résistance à l’Etat. 

Nous reviendrons sur ces rééditions au fil des numéros de cette revue, qui a mis l’écoféminisme au cœur de son projet éditorial.

Elise Thiebaut