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AU PAYS DU HANDI Queerness et handicap au-delà des clichés

Je me suis demandé ce que vivaient mes adelphes handicapé.e.s de la communauté LGBT+, et comment cela se passe quand on se trouve dans cette intersectionnalité. Voici quatre témoignages au croisement de deux discriminations, où il est question de genre, de non-binarité, d’inaccessibilité, d’adolescence, et de relations amoureuses.

En tant que personne handicapée, on est souvent considéré.e.s comme d’éternel.le.s enfants, comme des êtres asexués. Beaucoup de valides n’imaginent pas ou ne veulent pas concevoir que nous puissions avoir une vie sexuelle et/ou amoureuse. Moi-même, pendant des années, j’étais quasiment la seule à n’avoir jamais eu de petit ami alors que je voyais tous mes camarades de collège et de lycée «sortir ensemble». Pendant longtemps, j’ai cru que personne ne pouvait s’intéresser à moi –alors que je brûlais de connaître l’amour et de découvrir les relations sexuelles. A mon grand étonnement, les choses se sont débloquées, et des hommes ont commencé à montrer de l’intérêt pour moi.
Cependant, le fait que je puisse être en couple a surpris –et surprend toujours–, entraînant presque toujours la même question: «Ah bon? Et ton mari, il a quel handicap?»… Comme si nous devions forcément entrer dans des petites cases, les valides avec les valides, et les handicapé.e.s avec les handicapé.e.s.

«Je me suis interrogé.e sur mon genre très tôt, à l’adolescence, ne me considérant ni femme ni homme», N.

Dans un contexte social déjà compliqué où les préjugés sont légion, j’ai voulu savoir ce qu’il en était du côté de mes adelphes handicapé.e.s ET relevant de la communauté LGBT+. Comment cela se passe, quand on se trouve au croisement de ces deux discriminations? Pour le savoir, j’ai interrogé quatre personnes concernées: Ash, N., Léo et Charly.
Handicapé.e.s depuis l’enfance ou à l’âge adulte, iels* se sont interrogé.e.s très tôt au sujet de leur genre et de leur orientation sexuelle. Ainsi, Ash déclare: «Dès l’arrivée à l’école, je ne comprenais pas pourquoi on séparait les filles et les garçons, que j’étais censé m’intégrer à un groupe et ne pas chercher à aller dans l’autre.»
Pour Léo, N. et Charly, ces interrogations ont débuté à l’adolescence et se sont poursuivies à l’âge adulte. «J’ai pris conscience de ma non-hétérosexualité au début de mon adolescence. Je me suis définie comme bisexuelle pendant longtemps parce que j’étais enfermée dans un monde très hétéro où seuls les mots “homo” ou “bisexuel.le” permettaient de décrire une autre réalité. Ces dernières années, j’ai beaucoup questionné mon orientation sexuelle et mon genre au contact, notamment, de personnes transgenres (y compris, voire majoritairement, non-binaires) et/ ou lesbiennes», raconte Charly, 28 ans.
Pour N. aussi, le cheminement a été assez long: «Je me suis interrogé.e sur mon genre très tôt, à l’adolescence, ne me considérant ni femme ni homme, mais sans pouvoir mettre de mots dessus. Ce n’est que vers 30 ans que j’ai commencé à entendre parler de non-binarité, et que j’ai compris.»
Toutes les personnes interrogées déclarent que l’annonce de leur transidentité ou de leur orientation sexuelle s’est plutôt bien déroulée. Et ce, avec le soutien de certain.e.s de leurs proches, même si N. évoque une certaine incompréhension de la part des plus âgé.e.s: «Je sais que ça n’a pas d’importance pour mes proches les plus aimants, qui considèrent que ça ne regarde que moi, et qu’ils n’ont pas leur mot à dire. Ce sont des personnes ouvertes, même si la compréhension reste difficile à cause du fossé générationnel.»

Les discriminations diffèrent selon que le handicap est visible ou pas

Pour certain.e.s, le handicap a pu rendre plus difficile la prise de conscience d’une identité de genre ou d’une orientation sexuelle jugées différentes. Ash explique: «Je pense que l’autisme joue un rôle énorme ou même est totalement la raison pour laquelle je ne comprends pas vraiment les genres et les rôles qu’on leur associe.» Au contraire, pour N., non-binaire et atteint.e d’une maladie génétique, le fait d’être handicapé.e lui a permis d’être politisé.e, et d’accepter plus facilement son identité de genre. Et d’expliquer: «Je pense que cette politisation m’a permis d’être plus ouvert.e, de me retrouver de fil en aiguille au contact de personnes queer et, donc, de faciliter cette prise de conscience.»
A la question de savoir si les personnes concernées subissent une double discrimination au titre du handicap et de leur identité de genre ou d’orientation sexuelle, là encore, les réponses divergent selon le type de handicap: «visible» ou «invisible. Alors que Léo, homme trans et gay atteint de SED (syndrome d’Ehlers-Danlos) déclare connaître les deux types de discriminations, Ash fait ce constat: «Je ne me rends pas vraiment compte de la discrimination au niveau “dating”, même s’il y a sûrement des gens qui vont m’écarter d’emblée en voyant que je l’indique sur mes profils de site de rencontre et ma bio sur les réseaux. Je vais plutôt être remarqué.e par des personnes curieuses, des fétichistes, qui viennent vers moi parce que je suis handicapé.e, et que ça les attire pour différentes raisons. Certain.e.s imaginent que je suis faible et sans défense ou que mon corps peut faire des choses hors normes…» Pour Charly, atteinte d’un handicap dit «invisible», le bilan est plus positif: «Je ne suis pas harcelée ou agressée pour cela. Mais je parle aussi ouvertement des limites liées à mes troubles que de mon orientation sexuelle. Dans mon entourage amical comme professionnel, ce n’est donc un secret pour personne. Globalement, je bénéficie de respect et de bienveillance.»

«C’est parce que je suis handicapé.e qu’on me refuse une transition médicale… J’ai fini par trouver un traitement hormonal “pirate”», Ash

Parmi les personnes interrogées, certaines déclarent que leur handicap ne leur permet pas d’assumer totalement leur identité de genre ou leur orientation amoureuse –surtout pour des raisons d’inaccessibilité. Charly précise: «Très clairement, mon handicap est un frein à mon épanouissement queer. La raison principale, c’est tout simplement parce que je suis souvent contrainte de rester chez moi. J’ai donc peu d’occasions de rencontrer de nouvelles personnes –sans compter le fait que je vis dans une petite ville, où la communauté queer ne parvient pas à se construire. En dehors de mes ami.e.s (queer pour la plupart et habitant d’autres villes), je vois très peu de monde. Les lieux les plus propices aux relations sociales, notamment les lieux de fête, me sont inaccessibles. Dans ma ville, le lieu queer le plus important est une boîte de nuit gay. Or je me couche avant 22 heures, et je ne peux pas supporter de bruit trop fort…» Elle ajoute: «Les conséquences de mon handicap ne viennent qu’aggraver cet isolement, qui existerait même si j’étais valide. […] J’ai parfois songé à déménager pour me rapprocher de mes proches dans des villes plus queerfriendly. […] Il me faudrait trouver d’autres personnes aidantes que mes parents, qui vivent à proximité, et je n’ai pas d’ami·e qui puisse endosser cela (d’ailleurs, une bonne part sont handicapé.e.s). Il me faudrait reconstituer aussi un réseau de soins, avec certaines spécialités médicales assez rares. Et, après tout cela, il faudrait encore trouver des circuits et des espaces queer dont le rythme est compatible à celui que m’impose la maladie…»
De son côté, Ash explique: «J’ai du mal à m’imaginer autrement qu’handicapé.e, mais je suppose que sans avoir de soucis de communication, j’aurais plus de facilités à sortir des schémas cis-hétéronormés omniprésents.» Iel déplore également le fait que son handicap est à l’origine d’un refus du corps médical pour effectuer une transition de genre. Pour Ash: « C’est parce que je suis handicapé-e qu’on me refuse une transition médicale. Qu’on met de côté le sujet des hormones parce que, je cite: “Il y a des soucis de santé à faire passer en priorité”… C’est après avoir essayé d’en parler plusieurs fois ces dernières années que j’ai fini par trouver un traitement hormonal “pirate”.»
Inaccessibilité des lieux de socialisation, difficultés d’accès aux soins, il paraît compliqué d’être handicapé.e ET queer. Pourtant, iels nuancent. Et N. de conclure: «Je pense que lorsqu’on accepte soit son handicap, soit son identité-orientation en premier, il est plus facile d’accepter l’autre et de concilier le tout. J’ai l’impression que le cumul pousse à s’assumer plus facilement que si on était juste homo et/ou bi, ou seulement trans ou handi.»
Sushina Lagouje

* Le pronom personnel iel permet de parler d’une personne sans évoquer son genre