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LES RÉPONSES DE… Kuku, artiste et musicien engagé américano-nigérian

Entre son prénom musulman, Abdulzatar, et son prénom yoruba, Adebola, l’artiste d’afro-soul folk Kuku a choisi son nom de famille pour nom de scène. L’auteur-compositeur et interprète de 48 ans nous raconte son parcours pour vivre sa passion, la musique, son bonheur d’être papa, et la spiritualité qui l’anime. En plus du yoruba, Kuku chante en anglais et en pidgin. Rencontre.

Né à Miami en 1975, tu as grandi à Lagos, au Nigeria, et tu vis aujourd’hui entre les Etats-Unis et la France. Depuis combien de temps vis-tu ici?
Depuis dix ans. Je vis en Ile-de-France, et je retourne régulièrement aux Etats-Unis, à Washington DC. Mais je pratique très peu le français car je suis introverti de nature. Je ne fais que jouer de la musique. Pour parler, vous devez sortir, boire un verre, aller à des rendez-vous… Moi, je ne fais rien de tout ça. Je reste avec mon bébé, j’ai un fils qui a 7 ans. Ce n’est plus un bébé, d’ailleurs. C’est ça ma vie: la musique et mon enfant. [Séparé.e.s, Kuku et la maman de leur fils se partagent sa garde, NDLR.]

As-tu souffert du racisme dû à ta couleur de peau depuis ton arrivée en France?
Non, je ne dirais pas ça. En même temps, je suis assez grand… [Rires.]

Après avoir grandi au Nigeria, tu es retourné aux Etats-Unis, où tu es né, pour poursuivre tes études, que tu as financées en t’enrôlant dans l’armée américaine. Avais-tu d’autres solutions?
J’étais dans l’armée des années 1995-1996 à 2000, pendant environ cinq ans. A ce moment-là c’était ma seule option, car je viens d’une famille modeste. J’étais seul, et entrer dans l’armée américaine était pour moi la garantie de pouvoir aller à l’école, d’avoir un travail, de gagner de l’argent, etc.

Parlons un peu de ton style musical
La musique africaine est la base de ma musique. Comme je suis né aux Etats-Unis, j’ai une voix soul. Je dirais que ma musique est afro-soul folk, mais je ne lui donne pas de nom. Imagine Ben Harper, Bob Dylan ou Tété…, mais avec une culture africaine.

Tu chantes en anglais, en yoruba et en pidgin…
Oui. [Le yoruba est la langue d’une des plus grandes ethnies africaines, les Yorubas, NDLR.] Le pidgin est un créole anglophone qui est parlé au Nigeria, au Liberia, en Sierra Leone, au Ghana, dans une partie du Cameroun,…

Pourquoi est-ce important pour toi de porter tes messages d’artiste engagé dans la langue de tes ancêtres?
Parce que c’est comme ça que l’on sait que nous sommes toutes et tous les mêmes êtres humains. Avec la musique, on peut comprendre les cultures. Imagine si Edith Piaf avait chanté en anglais, peut-être que ça n’aurait rien eu de spécial, mais vu qu’elle a chanté dans sa langue natale, le français, tout le monde a adoré. Gainsbourg était français, James Brown américain, Gilberto Gil brésilien… Je pense qu’il est important pour nous de montrer nos différences –mais en harmonie. C’est comme une salade, tu as de la tomate, de la laitue, du concombre, etc., et tu peux choisir ce que tu préfères.

Tu te fais connaître en 2005 avec un premier EP, Love Sessions. Sept albums plus tard, tu viens de sortir le titre Bread Of Life. Tes chansons sont empreintes de douceur, de conscience et de spiritualité. Ça te ressemble?
Oui, Love Sessions est le titre de mon premier EP, sorti en 2005 à Washington DC. Oui, c’est la base, parfois je deviens un peu sociopolitique, mais j’essaie quand même de rendre mon propos plus doux. Même si on parle de quelque chose de négatif, la musique rend ça plus agréable. Comme faisait Fela Kuti, qui parlait de l’injustice, et Bob Marley de l’oppression. Quand on entend son «Get up, stand up, stand up for your right…», c’est un message qui pousse au combat, mais la musique est tellement douce qu’on oublie le combat.

Dans ton dernier titre, Bread Of Life, tu chantes «For me it’s no game, I didn’t come here to play, It’s that serious, I’m a militant, ultra radical about my craft… » Tu parles du pain de vie qui nourrit l’âme menant au chemin de vie. Quelle est la place de la spiritualité dans la culture yoruba?
La spiritualité est partout dans la culture yoruba, de la nourriture à la langue, aux proverbes, etc. Les Yorubas sont des gens d’une grande spiritualité. La façon dont on choisit les noms des enfants, par exemple, chaque nom a une signification. «Kuku» veut dire «Ku meurt, Ku reste», ce qui signifie que les ancêtres disparaissent mais restent présents. La spiritualité constitue une grande partie de notre histoire, de tout ce que nous faisons. Et je parle là de spiritualité indigène, pas de religion.

En parlant de spiritualité, es-tu allé à Osun Oshogbo, forêt sacrée située dans le sud du Nigeria et inscrite en 2005 au patrimoine mondial de l’Unesco?
Je crois que j’ai visité Osun-Oshogbo quand j’étais enfant, mais je n’en suis pas sûr. Alors, je vais dire non. Néanmoins, c’est une destination devenue assez touristique ces dernières années, compte tenu d’un regain d’intérêt pour la religion yoruba parmi les Africains de la diaspora. [Le site est réputé pour être la demeure de plusieurs divinités, dont Osun. C’est la dernière forêt sacrée de la culture yoruba, qui témoigne de la non-proximité des habitations humaines avec les lieux sacrés selon la coutume, NDLR.]

J’ai découvert ta musique à une intersection de couloirs à la station République. Ça t’arrive souvent de jouer dans le métro?
Oui, je suis très très régulier. Tu sais, les opportunités musicales sont très minces, il n’y en a pas beaucoup. En tout cas pour moi, peut-être que c’est différent pour d’autres. Donc, je prends ce qui vient.

Tu as collaboré avec plusieurs artistes. On va parler du talentueux Tony Allen, batteur nigérian naturalisé français, à qui tu as prêté ta voix et ta plume sur l’album Film of Life cinq ans avant sa disparition, à Paris, en 2020. Quelle expérience cela a dû être de travailler avec l’un des pionniers de l’afrobeat!
C’était une expérience magnifique! La musique représente seulement 1% de mon amitié avec Tony Allen. Quand il était encore en vie, Tony m’appelait et me demandait: “Kuku, qu’est-ce que tu fais?” Je lui répondais que je jouais dans le métro. Il me disait: Viens me voir après.” Il cuisinait, et on discutait pendant des heures… On faisait ça souvent. On s’asseyait pour parler et, là, c’était un vieil homme qui transmettait son savoir. On parlait de la vie, de musique, de Fela Kuti [autre grande figure de l’afrobeat avec Tony Allen, NDLR], de tout… Il me manque sincèrement. C’était un homme, un humain incroyable! Tony Allen était ma vie sociale. Il était comme mon père, mon frère, il était mon ami.

Des projets en cours?
Oui, je travaille la musique avec un des ex-membres de la troupe de Tony Allen. Ils sont tous comme des frères pour moi. Je travaille aussi de mon côté. Faire de la musique, c’est tout ce que j’aime
Propos recueillis par Claudine Cordani

Traduits de l’anglais par Nihyyla

Pour découvrir son dernier titre, sorti fin juin: Bread Of Live

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