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À LA PAGE Un corps à soi

Nouvel essai de la philosophe parisienne Camille Froidevaux-Metterie pour en finir avec l’injonction «prendre soin des enfants et de leurs pères, les nourrir et s’occuper de leur linge, nettoyer et entretenir les maisons». Lire Un corps à soi c’est faire un pas vers l’émancipation en permettant aux femmes de se réapproprier leur corps en conscience et en toute liberté… enfin!

«Longtemps, les femmes n’ont été que des corps, définies par leurs fonctions sexuelle et maternelle. La révolution féministe les a délivrées de ce carcan, mais elle a aussi dévalorisé le corps féminin», peut-on lire sur la quatrième de couverture d’Un corps à soi. Avec son essai, dont le titre fait référence à celui de Virginia Woolf Une chambre à soi, Camille Froidevaux-Metterie analyse le rapport des femmes à leur corps au travers de siècles de domination patriarcale, et comment elles l’ont vécu. En s’inspirant du travail mené par Simone de Beauvoir dans le Deuxième Sexe et de l’ouvrage On Female Body Experience de l’Américaine Iris Marion Young, auxquelles elle consacre deux chapitres, la philosophe propose ici la suite de la Révolution du féminin, essai où elle s’interrogeait sur la disparition du corps dans la pensée féministe.

Dans Un corps à soi l’autrice déroule l’histoire du patriarcat, dont le philosophe grec Aristote est l’un des «fondateurs». Né en 384 av. J.-C., le penseur définit en son temps la femme comme menant une «existence inférieure en son essence». Ainsi, Camille Froidevaux-Metterie écrit: «La philosophie aristotélicienne dessine un monde organisé selon une solide hiérarchie qui confère aux femmes la charge subalterne d’assurer le renouvellement des générations […] et qui réserve aux hommes le privilège des occupations de l’esprit.»

Elle poursuit, expliquant qu’à travers les âges, les femmes se sont retrouvées «enfermées dans leur “nature” sexuelle et procréatrice. On ne leur a longtemps reconnu d’autre rôle social que celui qu’elles assumaient au sein d’un foyer: prendre soin des enfants et de leurs pères, les nourrir et s’occuper de leur linge, nettoyer et entretenir les maisons, en un mot, garantir la vie même des membres de la famille, au niveau immédiat de ses conditions matérielles comme au niveau plus souterrain de ses besoins affectifs.»

Si dans l’après-Mai 68 les combats féministes de Simone de Beauvoir, de Simone Veil et de Gisèle Halimi* pour le droit à l’avortement ont libéré les femmes de la prison dans laquelle leur corps était enfermé, Camille Froidevaux-Metterie souligne que ce n’est que depuis 2017 et le mouvement #MeToo** qu’une nouvelle vague de prise de conscience des femmes et un réinvestissement de leur corps ont vu le jour.

Les nœuds phénoménologiques de la vie des femmes à leur mort
Dans son essai, la philosophe explore les événements corporels qui marquent la vie des femmes (enfance, adolescence, désir, plaisir, maternité, ménopause) dans une partie rédigée, cette fois-ci, à la première personne. Comme une manière de conférer à son propos un caractère autobiographique, et de le mettre en résonance avec les voix multiples et uniques des femmes, de toutes les femmes. De façon que toutes ces voix, unies, n’en forment plus qu’une.

L’essayiste défend les vertus d’un féminisme phénoménologique qui pense autrement le corps des femmes. Un féminisme qui permet de se dégager d’une vision binaire opposant un féminisme «différentialiste», qui exalte le corps féminin pour son aspect maternel, et un féminisme «universaliste», qui refuse de prendre en compte les dimensions de la vie de toute femme. De cette façon, le corps des femmes devient à la fois le lieu de la domination masculine ET le vecteur d’une émancipation totale.

Camille Froidevaux-Metterie propose que les femmes et les hommes avancent ensemble dans une direction commune pour permettre aux femmes de reprendre possession de leur corps à chaque étape de leur vie, à chaque nœud phénoménologique. Et ce dans la perspective de s’émanciper jusqu’au plus intime d’elles-mêmes. En effet, il est urgent qu’elles ne soient plus victimes ni de discriminations ni de violences, qu’elles ne soient plus cloisonnées dans des injonctions patriarcales (qu’elles soient maternelles ou sexuelles) – et il est vital que chaque femme puisse vivre en autonomie de façon que son corps de femme ne détermine jamais quoi que ce soit dans son existence. La philosophe écrit: «Chaque personne devrait pouvoir choisir librement les caractéristiques sexuées et genrées par lesquelles elle se présente aux autres et au monde […]. Dans tous les aspects de la vie sociale, les caractéristiques physiques et sexuées seraient aussi anodines les unes que les autres. Chercher un emploi, faire du sport, fonder une famille, quel que soit le domaine concerné, les individus auraient le droit à l’indifférence corporelle.»
Corinne Gili

Instagram : @quatriemedecouverture

* Le Manifeste des 343 est une pétition parue le 5 avril 1971 dans le Nouvel Observateur appelant à la légalisation de l’avortement en France.

** Dix ans avant qu’il n’apparaisse en France, le hashtag #MeToo est lancé par l’activiste afro-américaine Tarana Burke en 2007 aux Etats-Unis.

Un corps à soi de Camille Froidevaux-Metterie, éditions du Seuil, collection «La couleur des idées», paru en 2021, 352 pages, 23€.

Sur l’autrice Camille Froidevaux-Metterie est une philosophe française et professeure de sciences politiques qui vit à Paris. Dans ses travaux, elle milite pour la réhabilitation du corps de la femme au centre de toute réflexion. Elle a publié plusieurs essais. C’est début 2023 que paraît son premier roman, Pleine et douce.