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GENRE La Briochée, un personnage entier au service de sa communauté

La Briochée sur scène lors du Summer Camp #3 de Madame Arthur, au Divan du monde, à Paris, le 14 juillet 2023. © Claudine Cordani pour les Cent Plumes.

Gentiment douce, précise dans ses mots, avenante et drôle…, la Briochée est du genre qui fait prendre de la hauteur humainement parlant. Ce n’est pas dû à sa taille, même si elle est grande, ni à tous ses talents d’artiste – elle en a beaucoup. C’est que Maëva, à 32 ans, est l’une de ces personnes qui dispensent leur belle énergie pour le bien de leur communauté, en l’occurrence celle LGBTQIA+, et qui s’épanouissent. Cela se voit dans ses yeux, qu’elle a tendance à avoir «gris en hiver et bleus en été». Entretien avec une reine qui ne se dégonfle pas pour exister.

Ta carrière démarre il y a quatre ans, en 2019, sous le pseudonyme de MyëVe Märchen. D’où vient-il ?
Märchen, ça veut dire «conte de fées» en allemand. C’est une référence à une comédie musicale japonaise qui a un nom allemand: Sieben Märchen. C’est un spectacle inspiré des contes de Grimm, que j’aime énormément. J’ai beaucoup travaillé mon imaginaire autour des contes, c’est pour ça que j’ai voulu ce nom. MyëVe, c’était mon pseudo de chanteuse sur YouTube depuis mes années fac. [Maëva a suivi un cursus en arts du spectacle, cinéma et théâtre, NDLR.] J’ai voulu le garder en espérant que mon public me suivrait dans mes envies de carrière drag, mais ça n’a pas été le cas. Comme MyëVe Märchen était difficile à prononcer, j’ai décidé d’en changer. Ça s’est fait quand je suis arrivée chez Madame Arthur, au cabaret parisien.

Tu chantes depuis longtemps?
Oui, mais c’est quand je suis arrivée à la fac que j’ai commencé à prendre des cours de chant, pendant un an. J’ai fait du théâtre pendant dix ans, aussi, et de la danse.

La scène, ça t’a toujours appelée quelque part?
Oh oui, et depuis que je suis toute petite! Il n’y a pas vraiment de hasard.

Deux ans après tes débuts sur la scène drag, tu rejoins la troupe de Madame Arthur, qui se produit au Divan du monde, à Paris…
Oui, j’ai vu l’annonce des auditions à la sortie du Covid-19. Certain.e.s artistes avaient quitté Madame Arthur après une période de cinq ans passée au cabaret, pour diverses raisons. Il a fallu recruter pour reconstituer la troupe et amener un peu de sang neuf. J’ai donc passé les auditions. A l’issue du processus, on a été trois à avoir été retenu.e.s sur une cinquantaine d’artistes. J’étais allée voir quelques-uns des spectacles de la maison. Et puis, je connaissais l’histoire de Madame Arthur, l’héritage de Coccinelle et de Bambi, qui sont des figures de femmes trans que je connaissais bien avant de monter à Paris. Je convoitais Madame Arthur, c’était vraiment un des endroits dans lesquels je voulais me produire un jour.

En intégrant ce mythique cabaret parisien, tu as donc réalisé un de tes rêves…
Oui, complètement. Je pense que, tant que Madame Arthur tournera et que j’aurai la possibilité d’y travailler, j’y travaillerai.

Cette année, tu y as animé une semaine du Summer Camp, c’est un peu les «colonies de vacances» de Madame Arthur…
Oui, on a des concepts différents à chaque fois. Cette année, on a décidé de rester au cabaret. On est un peu plus d’une vingtaine d’artistes en tout. Le concept de Madame Arthur est le même toute l’année, il y a un nouveau spectacle chaque semaine, avec une programmation différente, on est toujours quatre artistes sur scène, parfois cinq, et on tourne entre nous.

Pour cette édition estivale du Summer Camp, on parle en anglais. La direction a souhaité tabler sur une clientèle étrangère. On nous a demandé de proposer un répertoire de chansons françaises susceptibles d’être connues des touristes, et de parler anglais entre les tubes pour que les gens puissent comprendre. Je m’y suis collée la semaine de la 3e édition [Le Summer Camp #3 s’est déroulé du 13 au 15 juillet, la rédaction des Cent Plumes a assisté au spectacle le soir du 14 juillet, NDLR], parce que j’étais la plus à l’aise en anglais… avec mon accent à couper au couteau qui est complètement joué. Je parle mieux anglais dans la vraie vie. Là, c’était vraiment pour le comique de la situation. Je précise que c’est une configuration spéciale, car on n’a qu’un spectacle de une heure, à 22h30.

Le reste de l’année, il y a un premier spectacle de 21 à 22 heures, qui est le spectacle thématique de la semaine. Ensuite, de 23 heures à minuit, la même équipe fait un autre spectacle, un répertoire libre. Ça, c’est pour le côté Madame Arthur. Sinon, à partir de 1 heure, au salon du troisième étage, il y a une autre équipe, des artistes de nuit qui font des répertoires libres. Quand on vient chez Madame Arthur, il y a possibilité de passer une soirée entière de spectacles, de 21 heures à 2 heures - 2h30.

Ça veut dire qu’en s’offrant une entrée on a accès à tous ces spectacles?
Exactement. D’autant plus qu’à partir de 23h30 - minuit ça devient aussi en partie une boîte de nuit. Après les spectacles de Madame Arthur, les personnes qui veulent aller voir le show au troisième étage peuvent y aller, tandis que celles qui ont envie de danser et de bouger les fesses peuvent rester. Tout l’établissement devient une boîte de nuit.

Dans le spectacle du Summer Camp, tu parles anglais comme une vache espagnole sur scène. Tu le fais exprès?
[Elle se marre.] Oui, je le fais exprès.

OK, alors parle-moi un peu anglais, là, pour voir la différence…
La Briochée me raconte dans un parfait anglais qu’elle l’a appris en autodidacte, parce qu’elle était mauvaise dans cette langue à l’école. Qu’elle s’est familiarisée avec l’anglais en écoutant des chansons, en regardant des films et des séries, et en jouant à des jeux vidéo. Puis elle poursuit en français.

Je pense que j’ai eu les bases à l’école, mais j’étais assez réfractaire à la manière dont on nous apprenait les langues. Je me souviens très bien que ma prof d’anglais de collège s’arrachait un peu les cheveux avec moi. Et elle est très surprise de voir qu’aujourd’hui je suis aussi bonne. C’est une des rares professeur.e.s avec qui j’ai gardé contact. C’est drôle.

Je pense que mon anglais n’est pas extrêmement bon en terme de grammaire, parce que j’ai un peu de mal, parfois, avec les conjugaisons, mais j’ai un vocabulaire très riche. Je me suis aperçue que, quand on voyage, le plus important c’est le vocabulaire. Parce qu’à partir du moment où on en a on arrivera toujours à se faire comprendre. Tout le monde me comprend très bien, même à Londres. J’y suis allée en début d’année pour la RuPaul’s DragCon UK 2023, et j’ai discuté avec les festivaliers, les drag-queens,… J’étais fière!

Sur scène, tu apparais dans une robe rose pâle d’hôtesse de l’air des années 1930 avec un mignon petit bob rose et de ravissantes chaussures roses et décorées d’un nœud bleu clair. Elles ont l’air grandes, tu fais quelle pointure?
Ce sont des chaussures pin-up que ma compagne m’a offertes pour mon anniversaire. Et je fais du 44. Oui, j’ai de grands pieds.

En même temps, tu es grande. D’ailleurs, tu mesures combien?
Je fais 1,77 m sans talons. Avec talons, on ajoute facilement 10-12 centimètres. Ça donne dans les 1,88 m, quoi.

Tu es blonde et, sur scène, tu portes aussi une perruque blonde…
Sur scène, je porte toujours une perruque. Ça me permet de mieux entrer dans le personnage. Je n’y arriverais pas à être dans mon rôle de drag queen avec mes vrais cheveux, je sentirais que la transformation ne serait pas complète. Et puis, on fait de très belles choses en perruques. Devoir réaliser certaines coiffures avant chaque spectacle serait beaucoup trop long et compliqué à arranger, à coiffer…

«Ce que beaucoup ignorent, c’est que je ne suis pas venue à Paris pour faire du drag. Moi, je voulais être comédienne, faire du doublage et de la voix off»

Pendant le spectacle, tu ne rates pas l’occasion de faire un speech sur les Etats-Unis et la cause LGBTQIA+. Activiste un jour, activiste toujours ? Tu as toujours été comme ça, à monter au créneau?
C’est venu avec ma montée à Paris. Activiste, militante, on peut l’être lorsque l’espace nous le permet. J’ai travaillé pendant cinq ans dans le tourisme avant d’arriver à Paris, c’est pas trop le genre de milieu dans lequel on peut être «visible» en tant que personne trans et revendiquer des choses. C’est compliqué. Mais, quand on devient artiste et qu’on est à Paris, on se rend compte qu’on a une visibilité sur scène qui peut avoir de l’importance.

Quand je trouve des choses injustes, je m’insurge et je le fais savoir. Après, je me suis rendu compte que ma parole faisait du bien à d’autres personnes de la communauté. Que ce soit sur scène ou en dehors, je commençais à revendiquer des choses. C’est venu assez naturellement, avant d’intégrer Madame Arthur. Et je ne change pas. Ce n’est pas parce que je suis devenue une personnalité un peu plus médiatique que je vais fermer ma tronche ou édulcorer mon discours… bien au contraire! Je me suis aperçue qu’on manque de représentations trans en France – encore plus de personnes qui ont un discours assumé et orienté politiquement en faveur des droits des personnes queer. Je me dis que, tant que ma médiatisation peut servir, je le fais. Sur scène, j’en parle toujours un minimum. Pour moi, c’est important que les gens du public comprennent que je suis une personne trans. Je fais toujours en sorte, à un moment, que les gens en aient conscience.

En 2022, tu participes à la première saison de Drag Race France, l’émission de téléréalité, où tu arrives huitième sur dix. Quelle expérience cela a été pour toi?
Ce n’était pas ma première télé, car j’ai fait Nouvelle Star en 2013. Mais c’est ma participation à Drag Race France qui a eu le plus gros impact dans ma vie. Et c’est la première fois que ça crée un raz de marée dans la communauté queer française. Ça a été une expérience extraordinaire, une expérience de dingue. On a fait une super tournée après. Je pense que la communauté queer française n’attendait que ça, d’avoir enfin un espace sur le service public qui soit légitime. Avec Drag Race France, je découvre une émission dans laquelle le discours queer n’est pas redirigé, n’est pas récupéré par des personnes cis-hétéronormées. Ce sont vraiment nos histoires à l’état brut, sans que personne ne vienne orienter le discours d’une manière ou d’une autre. Ça fait du bien, parce qu’on en a besoin, de vraiment laisser la parole aux personnes concernées.

Drag Race France a été réalisé par des personnes queer, avec des personnes queer, et pour une audience à la base queer. Là où c’est extraordinaire, c’est que ça a dépassé les «frontières» de cette audience. Les gens ont découvert, avec nos histoires et nos parcours, que les trajectoires de vie des personnes LGBTQIA+ sont beaucoup plus universelles que ce qu’ils imaginaient, en fait. Et ça résonne chez beaucoup plus de gens qu’on pourrait le croire. C’est une petite révolution dans le paysage audiovisuel français, pour le coup. On a un peu marqué l’histoire, je pense, à notre manière. C’est génial de voir qu’elle continue son chemin, et qu’elle le poursuit très bien.

Tu parlais tout à l’heure de tes sœurs candidates, c’est important pour toi la sororité?
Oui, c’est un bon exemple qui montre qu’on n’est pas seul.e.s dans notre communauté. J’ai vraiment une pensée pour toutes les personnes queer, jeunes ou moins jeunes, isolées dans certaines régions de province en France. Je l’ai été, j’ai grandi en Charente-Maritime, à Royan, je sais ce que c’est que d’être une personne queer isolée dans une campagne hostile envers les personnes comme nous. Et où on a l’impression qu’on est les seules au monde. Drag Race France montre que non. L’émission a montré toute la diversité de nos origines, d’où on vient: Paloma qui vient d’Auvergne [la gagnante de cette première édition, NDLR], Elips de Bordeaux, Soa [de Muse] de Saint-Denis, moi de Royan,… On est partout – et on a toujours été partout. C’est un message hyper important: c’est possible, quand on se retrouve ensemble, de faire bouger les murs de ces carcans qui semblent inébranlables. Je pense que ça a été le plus beau cadeau qu’on ait pu se faire, à nous et à la communauté, cette démonstration de sororité qui n’était absolument pas calculée. On était tellement heureuses de pouvoir vivre cette première saison, et de se dire qu’on allait créer quelque chose de dingue, que cette énergie a circulé entre nous dix, et cela a donné le résultat qu’on connaît. On en est très fières.

Vous êtes toujours en contact les unes et les autres?
Toujours. Déjà, on est nombreuses à être dans la même agence. On a l’occasion de se retrouver, de travailler ensemble. Avec la deuxième saison de Drag Race, on se tient au courant. Parfois, on fait des dates. Le 2 août, j’en fais une avec la Big Bertha et Soa pour les 15 ans du Rosa Bonheur [guinguette située aux buttes Chaumont, à Paris 19e, NDLR]. Ça va être trop chouette. On a souvent l’occasion de se revoir, de se recroiser. Je pense qu’on aime beaucoup travailler ensemble. Il y a vraiment une belle énergie qui nous lie. C’est une famille.

J’ai trois familles: la famille Madame Arthur, la famille Drag Race et ma famille de sang, avec qui j’entretiens d’excellentes relations.

Tu dors à Palaiseau, mais tu vis à Paris, que tu adores et où tu souhaites t’installer. Retournes-tu de temps en temps en Charente-Maritime, ta région d’origine?
Oui, ma famille vit toujours près de Royan. J’y vais tout le temps. Et je pense que mes parents finiront leurs jours là-bas car ils adorent y vivre. Mon petit frère et sa compagne y sont également. Mon frère n’a jamais pu partir de la région, parce qu’il y est profondément attaché. C’est vraiment ma petite différence avec le reste de ma famille, ce n’est pas une région que j’ai appréciée et où je me suis sentie bien pour grandir. C’est une région avec laquelle je me réconcilie d’année en année parce que, maintenant que je fais ma vie ailleurs et que je la vis bien, j’apprécie aujourd’hui de découvrir les meilleurs contours de Royan.

Je trouve parfois dans tes sons des tonalités communes à Véronique Sanson. On te l’a déjà dit ?
Oh, waoh… non, t’es la première! Je le prends comme un compliment. Je ne suis pas une grande fan de Véronique Sanson, mais ne serait-ce que pour sa carrière et pour sa popularité, je ne peux que me sentir flattée. Merci beaucoup.

En février de cette année, ton visage a circulé sur des tracts de Reconquête. Le parti d’extrême droite y dénonce des ateliers de lecture pour enfants organisés par deux drag-queens. Ça a dû être un choc pour toi de te voir sur ces flyers… As-tu porté plainte contre le parti de Zemmour ?
J’ai porté plainte avec les deux autres drag-queens qui avaient été visées sur ces tracts. Je ne sais pas où en est la plainte, ce sont elles qui l’ont déposée en Occitanie. C’est ça qui a été un peu bizarre: je me retrouve sur ces tracts à Toulouse alors que je ne suis pas toulousaine et que je n’anime pas non plus ce genre d’atelier. J’ai compris que je n’étais pas visée personnellement, mais que c’était la communauté drag qui l’était. Ils ont choisi une photo, mais je n’arrive pas à comprendre à quel moment ça a pu tomber sur moi…

Un projet en vue dans ta carrière d’artiste ou dans ta vie perso?
Je réalise un rêve que j’avais depuis longtemps, je suis en train de travailler sur ma propre musique. J’ai un projet musical pour lequel je suis entourée de super artistes. Notamment, Christophe Casanave, qui a été le compositeur et producteur de Juliette Gréco, Hélène Ségara, Marc Lavoine, et qui me compose actuellement des chansons. On y travaille ensemble. J’ai aussi des duos avec des gens que j’aime beaucoup, dont des chanteuses.

J’ai aussi la chance de démarrer une carrière dans le doublage et la voix off, qui marche de plus en plus, et c’est plutôt chouette. Je collabore également sur un titre avec un compositeur japonais que j’aime énormément. J’ai réussi à entrer en contact avec lui, et à le convaincre de me faire une chanson. C’est un projet qui me demande beaucoup de temps, beaucoup d’argent, beaucoup d’efforts. Ça prend du temps mais c’est en préparation, et j’aime que les choses soient bien faites. C’est LE projet qui me tient à cœur.

Sinon, dans ma liste des envies, j’aimerais beaucoup pouvoir jouer devant une caméra. Actrice, ce serait un truc que j’aimerais beaucoup faire. Cela est un appel aux réalisatrices et aux réalisateurs. :)

Ce qui est formidable, c’est que tu réalises beaucoup de tes rêves, tu t’éclates, tu as plein de projets… Bravo, et merci beaucoup pour cette interview!
Merci à toi, Claudine.

Propos recueillis par Claudine Cordani

En savoir plus sur Madame Arthur le cabaret parisien du 75 bis, rue des Martyrs.