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Prévenir le suicide est un combat féministe

200 000, c’est le nombre de tentatives de suicide qui donnent lieu, chaque année, en France, à un contact avec le système de soins. Le suicide, quant à lui, cause le décès de plus 9 000 personnes par an. C’est trois fois plus que les accidents de la route.

De manière historique et stable, dès les premières études parues au XIXe siècle, les hommes cisgenres se suicident plus que les femmes cisgenres. Au niveau mondial, le taux de suicide masculin est ainsi 3 à 4 fois supérieur au taux de suicide féminin, quel que soit le milieu social. Les femmes sont cependant deux fois plus nombreuses à avoir fait une tentative de suicide dans leur vie que les hommes, selon le rapport de l'Observatoire national du suicide de 2014. 

Pourtant, s'il est désormais reconnu que de multiples facteurs, tant sociaux, médicaux, qu'économiques ou biographiques influent sur le risque suicidaire, le prisme du genre reste trop rarement étudié.

Une des explications de cette disparité entre les hommes et les femmes dans le risque de décès par suicide s'appuie en effet sur le concept de masculinité hégémonique et sur les constructions sociales qui en découlent. Celle-ci est introduite par la sociologue australienne Raewyn Connell en 1995. Le rôle de genre masculin accentue ainsi les comportements à risques et empêcherait les hommes de chercher de l'aide lors d’un épisode de crise suicidaire. Toutefois, une partie de l'écart peut également être expliquée par le type d'emploi occupé et l'accessibilité aux moyens létaux.


Les hommes utilisent, en effet, plus fréquemment des modes opératoires “radicaux” comme la pendaison ou une arme à feu. Des moyens particulièrement accessibles dans des groupes sociaux où les hommes sont sur-représentés comme les forces de l’ordre, les chasseurs ou les professions agricoles. En contraste, les femmes ont plus fréquemment recours à l'usage de médicaments. Que ce soit parce qu'elles ont la charge de la santé de la famille ou parce qu'elles travaillent dans le secteur sanitaire, là encore, l'accessibilité semble de mise. Or, si le surdosage peut être mortel, il est moins immédiat et, par conséquent, la personne a plus de chance d'être sauvée.

Suicide et paradoxe de genre

Les femmes, les tentatives de suicide et le sexisme en milieu médical

Une idée reçue sur le suicide chez les femmes serait que le passage à l'acte est un simple “appel à l’aide”, un moyen “d’attirer l’attention”. Certaines sont parfois même qualifiées de “chieuses” par des médecins peu scrupuleux... Le consensus psychiatrique est pourtant clair : une tentative de suicide n'est jamais un acte anodin. Loin d'être révélateur d'un désir de mourir, le passage à l'acte constitue souvent, selon les témoignages de survivant.e.s, l'ultime tentative pour mettre fin à une souffrance devenue insupportable. La souffrance de nombreuses femmes se voit donc silenciée.

Et si parmi les plus de 70 000 personnes hospitalisées après une tentative de suicide en France en 2015, 60 % étaient des femmes, se pose la question du sexisme latent dans les milieux de soins et du sous-diagnostic, de l'errance médicale ainsi que de la perte de chance qu'il provoque.

Ce sujet est encore trop peu documenté, mais il existe à ce propos la recherche menée par A. Hass, P. Rodgers et J. Herman publiée en 2014, qui révèle que les personnes transgenres courent jusqu’à dix fois plus de risques de se suicider que les personnes cisgenres. Une preuve de plus, s'il en fallait une, qu'il est urgent de penser la question du suicide au regard des rapports de dominations sociales dans lesquels il s’inscrit.

Eloïse Bajou