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« Il y a une honte autour du chemsex comme autour du sida »

5 questions à Jean-Luc Romero-Michel.

En 2020, vous publiez Plus Vivant que jamais ! [1] deux ans après le décès de votre mari Christophe. Comment ce livre vous a-t-il accompagné depuis?

Ce livre a bien sûr été une thérapie pour moi. Il m’a aidé à vivre cette terrible épreuve. Il aide également beaucoup de personnes concernées. J’ai reçu, à ce jour, plus de 460 témoignages. Jamais je n’ai eu autant de courriers, de mails et de réactions pour un livre. Deux ans après sa sortie et chaque semaine, un lecteur m’écrit. Cela m’a étonné, puis m’a confirmé que ce livre était autant utile pour moi que pour les autres. Il y a une honte autour du chemsex comme autour du sida. J’ai été heureux de contribuer à libérer la parole sur ce sujet.

En France et dans le monde, où en est-on de la législation des drogues de synthèse qu’on trouve facilement sur le Net ?

En France, on est toujours dans la pénalisation des drogues avec la loi de 1970 qui est totalement dépassée et inadaptée. La plupart des drogues de synthèse se trouvent sur Internet. Avec un simple smartphone, vous pouvez commander du GHB, du GBL, de la 3-MMC…

Quelles sont les actions déployées par le ministère de la Santé pour lutter contre ce trafic ?

Le trafic, c’est à l’Intérieur de s’en occuper. Le ministère de la Santé a enfin compris que le chemsex était d’abord une affaire de santé publique. Mais, après les effets d’annonce, on attend un vrai plan comme celui que nous réalisons à Paris avec ma collègue Anne Souyris et tous les acteurs concernés, réunis en un comité stratégique.

Sur la dépénalisation des drogues : de quelles substances parle-t-on exactement et d’où viennent-elles aujourd’hui ?

La pénalisation ne peut pas fonctionner car on ne peut mettre un policier derrière tous les smartphones. Sans oublier que les officines qui créent ces produits sont ingénieuses. Dès qu’une molécule est interdite, une autre est créée, et le temps qu’elle soit interdite à son tour… elle circule aisément. Pire : à cause de cette loi, des chemsexeurs n’osent pas appeler les secours de peur de voir arriver la police. Beaucoup de ces produits viennent de Chine et d’Inde, quelques-uns des Pays-Bas (Hollande) ou de Pologne.

Que préconisez-vous pour limiter le nombre de jeunes qui se retrouvent en danger de mort, notamment avec des produits comme le GBL – qui ne figure toujours pas sur la liste officielle des stupéfiants ?

Il faut arriver à une volonté politique, au plus haut niveau, pour faire travailler ensemble les ministères de la Santé, de l’Intérieur, de la Justice, ainsi que ceux chargés des jeunes et de la lutte contre les discriminations.

Le répressif ne suffit pas : il est même contre-productif. Donnons déjà plus de moyens au secteur de la santé sexuelle. C’est urgent pour éviter de nouveaux drames, d’autres décès comme celui de Christophe – dont je ne me remettrai jamais.

Une autre politique sur les drogues est nécessaire, qui privilégie la dépénalisation et la prévention ainsi que l’éducation, car c’est là que la pénalisation atteint ses limites. Combien faudra-t-il encore de Christophe pour qu’on change de braquet [2] ?

Propos recueillis par Claudine Cordani

[1] Paru chez Michalon/Massot Editions : Plus vivant que jamais ! - Comment survivre à l’inacceptable.
[2] Expression empruntée au cyclisme, qui signifie « passer à la vitesse supérieure ».