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La revanche des autrices

Passionnée de littérature et féministe, j’ai lu comme une évidence La Revanche des autrices de Julien Marsay. Remarquablement documenté, l’ouvrage remonte au Moyen Âge pour retracer le sillage du matrimoine littéraire volontairement remisé.

Julien Marsay [1] ouvre son enquête en soulignant que, dans l’histoire de la création littéraire, les femmes qui écrivent n’ont pas eu l’honneur de bénéficier d’une désignation genrée. A l’inverse, il existe un féminin à acteur : c’est actrice. Parce qu’au cinéma aussi les clichés ont la vie dure, une actrice se doit juste d’être jolie et tout le monde a l’air content. Pourtant, et dès qu’il s’agit d’associer le féminin à une activité intellectuelle (comme par exemple l’écriture), c’est le masculin générique (auteur, écrivain) qui l’emporte. Difficile de trouver une logique là où il n’y en a pas.

Si des termes tels qu’écrivaine ou autrice sont apparus tant bien que mal, leur utilisation est restée très occasionnelle. Des désignations, la plupart du temps péjoratives, leur ont été préférées avec, pour unique objectif, celui de déprécier le travail des autrices. Et, bien entendu, le mot d’ordre consensuel était de ne surtout pas leur accorder ni le statut, ni la place qu’elles méritent.

Une mutilation au goût d’encre

« L’histoire de l’invisibilisation de nombreuses autrices du récit officiel, c’est un peu (…) un récit institutionnel qui, dans la création littéraire, a mutilé la part féminine de la littérature en gravant dans le marbre un patrimoine au forceps, et en déniant au matrimoine littéraire toute possibilité d’exister » Dans son livre, Julien Marsay s’interroge sur la place tenues par les autrices dans la littérature française depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours.

Le propos de cet essai est remarquablement documenté et, de fait, instructif. Je l’ai trouvé passionnant, même pour la féministe que je suis et qui pensais assez bien connaître le sujet.

L’auteur développe une idée intéressante pour les partisans du « c’était mieux avant ». Selon lui, les écrivaines ont été malmenées au fil des siècles. Mais toujours et à chaque fois, et cela a été vrai pour chaque période, des voix de femmes, aussi courageuses que révoltées, se sont exprimées, se sont faites entendre pour… être vues, tout simplement. Pour exister comme autrices. Avec plus ou moins de succès, il faut bien le dire. Ainsi, la visibilité des femmes alterne des périodes sombres avec des parenthèses fastes. Julien Marsay nomme cet effet backlash, en s’inspirant des recherches de Susan Faludi. [2]

La dérive de l’exception-caution

Julien Marsay évoque la question des contes de fées qui, contrairement à ce que l’on pourrait supposer, est avant tout une affaire de femmes. Aujourd’hui totalement tombées dans l’oubli, les autrices de contes restent à la base des spécialistes du genre (bien plus qu’un Charles Perrault, dont le nom s’est vite répandu). N’oublions pas qu’elles ont brossé le portrait d’héroïnes très éloignées des représentations aussi genrées qu’avilissantes de celles de leurs homologues masculins. Cela a tellement dérangé que ce qu’on nomme l’histoire s’est chargée de les faire disparaître. On peut supposer qu’elle a été aidée, un peu, par quelques messieurs inquiets.

A plusieurs reprise, Julien Marsay souligne la notion de ce qu’il nomme l’« exception-caution ». C’est la femme de lettres Olympe de Gouges qui permet aux misogynes de se penser ouverts à une égalité femme-homme (« je ne suis pas sexiste, voyons, j’apprécie le travail d’Olympe de Gouges »), c’est George Sand, autrice passée à la postérité et qui porte un prénom masculin (coïncidence ?), c’est Colette et Madame de Sévigné. Probablement en l’ignorant, elles ont prêté le flanc à l’autosatisfaction de ces messieurs de l’Académie française, ne se rendant pas compte qu’elles “autorisaient” à elles seules l’invisibilisation de toutes les autres.

La Revanche des autrices permet d’enrichir ses connaissances sur le sujet et regorge de références. J’avais d’ailleurs adoré, sur le même thème, l’essai de la journaliste Titiou Lecoq Les grandes Oubliées - Pourquoi l'Histoire a effacé les femmes. L’ouvrage de Julien Marsay est lui aussi d’utilité publique. Vous êtes prévenu·e·s.

La Revanche des autrices, Enquête sur l’invisibilisation des femmes en littérature, Julien Marsay, 272 pages, 20 €.
Paru en août 2022 aux Éditions Payot.

[1] Julien Marsay est professeur de lettres dans un lycée de la banlieue nord de Paris. Il travaille sur les questions de représentations depuis une dizaine d’années. Il est à l’origine du compte Instagram @Autrices_Invisi. 

[2] Backlash, La Guerre Froide contre les femmes, de Susan Faludi, paru en 1993 aux Éditions des Femmes- Antoinette Fouque.