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Revoir Paris, revivre après les balles

Le nouveau film d’Alice Winocour met en scène une victime des attentats du 13-Novembre. Noble, patient et empreint de douceur, Revoir Paris est un film nécessaire pour qui veut comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la gestion du traumatisme. Et nous offre une Virginie Efira flamboyante.

Une traductrice de russe d’une quarantaine d’années. Belle blonde, un peu masculine, motarde. Ce soir-là, elle a décidé de se faire plaisir après une journée de travail éreintante. Alors elle se rend dans une brasserie parisienne avec son mec. Rien de bien grandiloquent ou de particulièrement chic, mais elle se détend, enfin. Et puis le portable du conjoint sonne. C’est l’hôpital : il doit retourner en urgence dans son service. Mia – c’est son nom – laisse alors son assiette en plan, reprend sa moto et rentre à la maison. Pas de chance, à Paris, il pleut des cordes. Alors Mia se gare près d’un bar et entre commander un verre de blanc, le temps que passe l’orage. Seule à table, elle observe les gens sans même s’en rendre compte. Des touristes asiatiques qui se prennent en photo, une tablée de jeunes cadres dynamiques qui fêtent un anniversaire, des couples en rendez-vous… Paris le soir, la fête bat son plein. Et puis les tirs. Le bruit, le sang, les cris, les balles.

© Copyright : © 2022 Dharamsala – Darius Films – Pathé Films – France 3 Cinéma

Mia a été brisée, et elle va essayer d’avancer

Saut dans le temps. Nous sommes quelques mois après l’un des attentats du 13 novembre 2015. Mia souffre d’amnésie post-traumatique. Par chance, elle a survécu, mais elle ne sait pas comment. Son cerveau, ses souvenirs déconnent. Ses amis ne la comprennent plus, son compagnon s’agace. Pourquoi est-ce qu’elle va toujours se planquer avec le chat dans le placard à balais ? Pourquoi est-ce qu’elle s’arrête en plein milieu d’un passage piéton, l’air hagarde ? Mia n’en sait rien. Alors, comme guidée par une intuition indicible, elle se rend de nouveau sur les lieux de l’attentat. Elle rencontre des victimes, des proches de personnes décédées. Elle retrouve cet homme séduisant qui la regardait en souriant ce soir-là. Petit à petit, Mia recolle les morceaux – et perd quelques plumes.

Revoir Paris d’Alice Winocour, avec la merveilleuse Virginie Efira dans le rôle de Mia, est sans nul doute le meilleur film inspiré des attentats du 13-Novembre depuis la sortie d’Amanda, de Mikhaël Hers (2018). La vérité est crue, cruelle. Le film montre l’après, la vie avec le drame et le souvenir de ceux qui sont partis. La course après le trauma, les tentatives de reconstruction, l’incompréhension de ceux qui ne peuvent, de toute façon, rien comprendre. Jusqu’à la rupture ? Mia est en tension constante. Derrière son air parfois ahuri et son sourire effacé, son cerveau bouillonne. De questions, de regrets, de confusion, d’empathie, mais jamais de colère. Mia a été brisée, et elle va essayer d’avancer. Efira lui prête ses traits, doux et perçants, le temps de cette fable moderne. Winocour la filme tendrement et la sublime, comme à son habitude avec ses actrices (Proxima, sorti en 2019, avait déjà fait entrer la cinéaste dans la cour des grand·e·s). Mia est un personnage comme on en a rarement vu au cinéma et le meilleur rôle d’Efira à ce jour.

Revoir Paris est une ode à ceux et celles qui ont survécu. À ceux et celles qui sont marqué·e·s dans leur chair et dans leur psyché. Il tente de mettre des images sur leur ressenti et arrive à nous faire entrer dans leur monde, même subrepticement. Un film essentiel.

Maud Le Rest