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En prison

Je suis Francilien, j’ai la trentaine. Pendant quelques mois, j'ai été incarcéré à Fleury-Mérogis dans les années 2018-2019. Je vous livre ici mes souvenirs de ce temps passé en cellule, mes observations et réflexions diverses.

Arrivée à Fleury-Mérogis, l’administration pénitentiaire n’est pas douée pour les accueils de qualité. Placé dans une cage dans laquelle il m’est impossible de tendre les bras en largeur, l’attente a duré plus d’une heure. Personne ne pipait mot, à l’exception d’une télévision fixée au mur, où BFMTV tournait en boucle. Deux agents ont fini par apparaître alors que, faible et fatigué, seules m’obsédaient ces deux idées : prendre une douche et dormir.

L’arrivée dans une pièce dotée d’un énorme comptoir offrait un aller simple pour le cafard. Le véhicule ? Les regards des personnels habillés d’un cyan déprimant. Le blues du bleu. Les regardant s’affairer, une femme a fini par appeler mon nom de famille. Une pratique en forme de règle durant la détention. L’écran de son ordinateur aurait pu m’offrir l’heure. Mais seuls y paradaient des tabourets Ikea. Tout en vérifiant les effets personnels, elle s’est autorisée quelques remarques qui n’ont eu de réponses qu’un regard sans expression. Déjà la sournoiserie du système rabaissant produisait son effet. Une fois photographié et mes empreintes digitales relevées, une carte d’identité, au format d’une Visa ou d’une MasterCard, m’a été délivrée. Y figuraient mon portrait, mon numéro d’écrou, mon nom et prénom ainsi que ma date de naissance. Et le mot « détenu » inscrit de côté. Elle ne devait jamais quitter son propriétaire. 

Une autre salle débouchait sur trois cabines de douche. Son usage est réservé à un usage connu : la fouille. L’ordre et le rythme avec lesquels chaque vêtement doit être retiré correspondent à une procédure aussi précise, aussi peu diplomatique que ridicule. De l’arrestation à la garde à vue en passant par le tribunal, les cerbères n’ont pas molli sur les fouilles. Au-delà de l’aspect sécuritaire, ce drôle d’effeuillage vise surtout à humilier et déshumaniser la personne qui le subit. Gabardine, pull, t-shirt, pantalon, chaussettes, baskets ont été essorés, comme broyés par ces agents aux gants blancs de chirurgiens. Nu, mes mains masquant instinctivement mon sexe, il m’a fallu m’accroupir et tousser deux fois. Mon rectum ne cachant aucun objet suspect, les gardiens ont levé un à une mes testicules avant d’inspecter chaque plante de mes pieds. Le cerveau en mode automatique, le souffle court, et dans une indifférence totale, j’ai retrouvé mes vêtements. A deux exceptions près : la gabardine et la pantalon, de teinte bleu marine. Une couleur proscrite en prison. Le jean offert en échange taillait trop grand, de deux tailles au moins.

Le « Syndicat des détenu·e·s »
@desdetenus