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Insolations, réparations

Une séance chez le ou la psy ce n’est déjà pas très fun, alors un livre qui en ferait la transcription séance par séance, ça semble dépasser l’entendement. Pourtant, dès le titre, on sent bien que le récit que l’on s’apprête à découvrir va bien au-delà. Insolations. A quoi l’autrice a-t-elle été trop longtemps exposée ? Loin du simple coup de chaud, l’insolation, si elle n’est pas prise en charge, peut s’avérer très dangereuse, voire mortelle.

« J’ai longtemps hésité avant de vous écrire. Et puis j'ai failli mourir alors l'hésitation, dans ce qu'elle m'évoque de lent et de souffle court, ne me paraissait plus envisageable. Les idées noires. Mon cœur cadavre. L'âme en cavale. Je ne pleure presque jamais. Je ne sais pas pleurer. Je déteste pleurer. Je me retiens souvent, je m'étrangle, mais je ne pleure pas. J'ai l'impression de mourir, d'étouffer, d'étouffer dans mes sanglots somnolents, de m'imbiber le cerveau, de le noyer. » 

Ainsi commence l’ouvrage de Meryem Alqamar. Par le bord du précipice. Par ses symptômes peut-être ? Dans une langue marbrée de poésie, elle décline une conversation avec son psy. Loin de l’ordinaire et pourtant en plein cœur de la vie, elle tente de démêler les coups portés par les hommes qui ont croisé son chemin. L’homme principal, son père : « Elle sortait aux aurores pour aller travailler et lui, il la trompait. Souvent avec des femmes qui vivaient en Algérie mais il convoitait aussi, la voisine ou la collègue, peu importe, une femme est une femme ». Mais rarement l’origine de la violence se niche si proche. Alors on remonte le fil. « Je suis héritière d’une peur qui se vit dans le silence », écrit-elle. Le corps et l’esprit colonisés, elle raconte encore les viols et les secrets qu’elle doit – et ne veut plus – garder.

Je vous écrirai que j’aime la poésie et le vin, que c’est sûrement ce qui m’a sauvée.

C’est ça, le female gaze : regarder en face les histoires des femmes dont les récits sont souvent traversés des mêmes dynamiques violentes. A ceux et celles qui se demandent pourquoi faire le choix de lire principalement des femmes : quand on a passé les dernières décennies abreuvées de mots et de récits d’hommes, rétablir un équilibre par un déséquilibre provisoire et conjoncturel ne s’apparente pas franchement à de l'extrémisme. Lire des autrices, c’est refuser d’être aveugle quant à la domination sexuelle, économique et sociale des femmes.

« Je vous écrirai la suffocation. Je vous écrirai la honte. Je vous écrirai combien de fois j’ai cru mourir et combien de fois j’ai voulu m’endormir. Je vous écrirai mon corps d’enfant et leurs mains sauvages. Je vous écrirai que j’aime la poésie et le vin, que c’est sûrement ce qui m’a sauvée. »

Meryem Alqamar nous amène sur ses routes en lacets pour terminer sans doute quelque part un peu plus proche de soi, d'un soi lumineux, en tout cas d'existant, de survivant.

Eva Tapiero

Insolations, Meryem Alqamar, 140 pages, 12 €. 
Paru en juin 2022 aux Éditions du Commun.