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Deux jours pour mourir

Lydie Raër est en fauteuil roulant. Quand sa grand-mère est décédée, elle a dû remuer ciel et terre pour réserver un billet de train. Et pour cause : en France, quand on a besoin d’une assistance pour embarquer, la SNCF impose d’acheter son billet 48h à l’avance. Une situation ubuesque, injuste et validiste.

À l’automne 2017, j’ai quitté, avec beaucoup de peine, ma Bretagne natale pour l’Île-de-France. Cette année, j’ai perdu deux grands-parents. Ma grand-mère maternelle en mars dernier et mon grand-père paternel fin juillet. Lorsqu’un tel drame familial arrive, les Francilien.ne.s originaires de province sautent dans un train pour rejoindre au plus vite les leurs. Pour moi, c’est un peu plus compliqué…

Je suis en situation de handicap moteur. Je me déplace en fauteuil roulant. Donc non, je ne saute pas dans le premier train voulu en cas d’impératif familial. Ce n’est pas tant parce que je me déplace quotidiennement sur quatre roues… C’est plutôt que si la société n’était pas validiste, je roulerais dans le premier train venu en cas d’urgence familiale. Plus largement, je partirais en week-end ou à l’aventure au dernier moment, sur un coup de tête.

Une personne en situation de handicap a besoin d’une prestation d’assistance pour monter dans un train, elle doit réserver son billet de train quarante-huit heures avant son départ. Les voitures des trains n’étant pas accessibles aux personnes à mobilité réduite, une personne en fauteuil roulant ne peut pas y monter seule sans l’aide d’une tierce personne et une rampe amovible doit être installée afin de permettre l’accès au train. Oui, vous avez bien lu : les personnes en situation de handicap ne peuvent pas prendre le train à l’improviste. Vous, les bipèdes normalement constitués, vous l’accepteriez ? Pendant des années, j’ai intégré cette norme validiste. J’ai composé avec, comme je compose avec le fait que plein de choses me soient inaccessibles : loisirs, opportunités d’emploi, lieux, expériences…

Les proches des personnes en situation de handicap doivent respecter un délai de prévenance deux jours avant de clamser

En mars dernier, après le coup de téléphone de ma mère m’annonçant le décès de ma grand-mère, j’ai ressenti de la colère. Il était hors de question que j’attende que ce délai de quarante-huit heures s’écoule. Je voulais rejoindre ma famille en Bretagne au plus vite.

Après avoir acheté en ligne le billet de train, j’ai essayé de réserver l’assistance Accès Plus via le formulaire en ligne. Impossible : je n’étais pas dans les délais. J’ai appelé la plateforme téléphonique : impossible, là aussi. L’interlocuteur que j’avais au bout du fil m’indiquait que le logiciel du service Accès Plus « plantait » lorsque la demande était hors délai. Aucune exception possible : c’est comme ça. Il me recommande : « La prochaine fois, appelez-nous 48 heures à l’avance »… J’en conclus que les proches des personnes en situation de handicap doivent respecter un délai de prévenance deux jours avant de clamser. Je n’avais qu’une solution : tenter de négocier une prestation d’assistance « hors délai » en gare et demander à un ami de me rejoindre en gare avant le départ du train en cas de négociation infructueuse avec les agents SNCF. J’ai remué ciel et terre sur Twitter et je suis entrée en contact avec une cadre de la SNCF grâce à qui j’ai pu, finalement, prendre le train. Mais je ne trouve pas normal de devoir faire un esclandre sur les réseaux sociaux puis en gare pour – simplement – prendre le train. C’est épuisant !

Ce délai de quarante-hui heures me semble d’autant plus ubuesque qu’il n’existe pas dans d’autres pays. Aux Pays-Bas, par exemple, la réservation auprès du service d’assistance peut se faire jusqu’à une heure avant le départ du train. En écosse, une personne à mobilité réduite peut se présenter en gare et demander l’assistance jusqu’à vingt minutes avant le départ du train... Pourquoi deux jours en France ? Pourquoi un tel délai qui rend ainsi la SNCF discriminante à l’égard des clients en situation de handicap ? à l’heure française, le train n’est accessible ni aux pauvres, ni aux personnes handicapées.

Alors que nous n’avons jamais été aussi près du point de non-retour climatique, de l’effondrement, rien n’est fait, encore, pour développer le transport ferroviaire.

Lydie Raër