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La question qui tue : non-condamné, est-on innocent pour autant ?

Dans les médias ou sur les réseaux sociaux, des personnalités accusées de violences sexuelles et leurs soutiens affirment leur innocence lorsque la justice prononce un classement sans suite. A tort.

L’enquête pour viol et agression sexuelle sur mineur visant Nicolas Hulot a été classée sans suite lundi 12 septembre en raison de la prescription. Cela veut-il dire qu’il est innocent ? Non. Cela veut-il dire qu’il est coupable ? Non plus. Comme Richard Berry ou Maxime Cochard, Nicolas Hulot fait partie des personnalités « innocentées » publiquement par le classement sans suite – et uniquement grâce à lui. Le grand public connaît peu les rouages de ce terme juridique souvent dévoyé par les accusés et leurs soutiens – des femmes et des hommes. Il n’est pas le seul.

Le classement sans suite est établi par le parquet, vous trouverez sa définition juridique précise à l’article 40-1 du code de procédure pénale. Il existe plusieurs types de classement sans suite : « absence d’infraction », « infraction insuffisamment caractérisée », « prescription ». Ces trois motifs ont de commun qu’ils signifient, au bout du compte, que la plainte est arrivée trop tard. Or le problème n’est pas la plainte, puisqu’elle a le bénéfice d’exister. Pourtant, le droit n’est pas et ne doit pas devenir un privilège. Dans la prescription, le problème, c’est le temps. Le délai. La limite du délai. Le problème réside dans le délai de prescription. Un mot de douze lettres seulement qui met une barrière entre les victimes et l’application de la loi.

Une plainte classée pour prescription ne signifie pas qu’il ne s’est rien passé

C’est la prescription qui, en France, permet de classer l’affaire et de ne pas y donner suite. Pratique. Ni vu ni connu. Dans les affaires de violences sexuelles sur mineur·e·s, beaucoup de plaintes sont classées pour ce motif. En France, la justice « autorise » à une victime mineure un délai de trente années après sa majorité pour déposer plainte. Autrement dit, elle a jusqu’à ses 48 ans. Pas moins ni plus. Lorsqu’une plainte est classée pour prescription, cela ne signifie pas qu’il ne s’est rien passé, mais que la justice ne poursuit pas. Qu’elle n’est plus là pour les victimes mineures lors des faits une fois leurs 48 ans atteints.

Pour les victimes majeures, c’est pire : le délai est de deux décennies seulement après les faits. Pourtant, un viol n’a pas d’âge. Un viol reste un viol. Et en France, le viol est un crime reconnu et jugé comme tel – en cour d’assises – depuis la confirmation et le renforcement de sa criminalisation initiée par l’avocate Me Gisèle Halimi. Présenté en 1978 et défendu par une autre femme, la sénatrice socialiste Brigitte Gros, le projet de loi initiera l’adoption de la loi qui sera votée deux ans plus tard, le 23 décembre 1980.

Quarante ans à peine ont passé depuis. La loi de 1980 n’a pas changé : le viol reste un crime. En 2017, selon le ministère de l’Intérieur, 76 % des plaintes déposées ont été classées sans suite. Cela veut-il dire que 76 % des plaignant·e·s ont menti ? Non, cela veut simplement dire que le parquet a décidé de ne pas poursuivre. Cela signifie-t-il que de trop nombreux dossiers de plaintes sont remisés dans un coin faute de preuves matérielles ? Oui, et quand les victimes font appel à la justice, elles doivent lui fournir des preuves pour appuyer leurs déclarations, étayer leurs propos. Car oui, il faut démontrer que les plaignant·e·s ne mentent pas. Chose quasi impossible quand on parle de viol. A moins d’avoir été filmé·e ou vu·e par une personne qui voudra bien témoigner des faits – ce qui est extrêmement rare – la réalité est que les preuves seront bien maigres.

Qu’est-ce qu’on attend pour sortir du déni justicier ?

Dans la loi française, la notion de consentement sexuel n’existe pas. Le viol est défini juridiquement par « la contrainte, la menace ou la surprise », notions complexes qui restent à déterminer par des pièces matérielles tangibles. Le parquet peut considérer qu’il n’a pas les preuves suffisantes pour poursuivre. Cela veut-il dire que l’accusé est innocenté ? Non, puisque l’affaire n’a même pas été jugée. La justice répond pour l’instant ce terme juridique distant et froid : « on ne sait pas », car on manque de preuves matérielles ou bien « on ne peut pas poursuivre » car la plainte arrive trop tard après les faits. Encore une fois, ce n’est pas la plainte qui arrive trop tard, mais la justice qui, pressée de s’en débarrasser, ne respecte toujours pas le timing des victimes. A l’heure où on nous rabâche de profiter « du temps présent », de « ralentir » et de vivre en « pleine conscience », il s’agirait d’être raccord avec notre époque. Qu’est-ce qu’on attend pour se pencher en toute conscience sur le cas du viol ? Et qu’est-ce qu’on attend pour sortir du déni justicier ?

Que faire quand la justice est incapable d’apporter une réponse à de telles interrogations ? Aujourd’hui, dans la société du spectacle permanent dans laquelle nous évoluons, nous avons pris pour mauvaise habitude d’attendre de l’instrument judiciaire qu’il réponde et s’équilibre à toutes les attentes, que la loi penche pour le « bien » ou le « mal ». Dans l’imaginaire collectif, nous voudrions qu’elle se substitue à notre capacité à penser et à envisager le monde. En réalité, croire ou non les victimes de violences sexuelles relève d’une question éminemment politique.

Virginie Cresci avec Claudine Cordani