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Pour ou contre : éteindre les enseignes la nuit

Dès la fin du mois de septembre, les règles d’extinction des enseignes lumineuses devraient être unifiées dans le pays. Une avancée notable en termes d’écologie, mais qui fait craindre une montée du sentiment d’insécurité dans la rue chez les personnes les plus exposées.

Une unification des règles d'interdiction des publicités lumineuses entre 1h et 6h du matin. C’est ce qu’a annoncé la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher en juillet dernier, précisant que deux décrets seraient publiés à ce propos avant le 21 septembre. Une bonne nouvelle pour l’écologie : un écran publicitaire LCD numérique de 2 m2 consomme 2.049 kWh/an d’après les estimations de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). C’est l'équivalent de la consommation moyenne annuelle d’un ménage pour l’éclairage et l’électroménager, hors chauffage.

À la rédaction, nous nous sommes demandé si l’extinction des panneaux lumineux pouvait influer sur le sentiment d’insécurité dans l’espace public. Nous avons interrogé Pauline Rapilly Ferniot, conseillère municipale écologiste à Boulogne-Billancourt, et Noémie Renard, autrice de En finir avec la culture du viol (Éditions Les Petits matins, 2018).

L’avis de Pauline Rapilly Ferniot : « Nous venons de vivre la pire sécheresse depuis que météo France fait des relevés de pluviométrie. Les vagues de chaleur n’ont jamais été aussi fréquentes. Le dérèglement climatique nous impose de revoir en profondeur nos modes de consommation et de mettre la notion de sobriété au cœur de notre gestion de l’énergie.

Rappelons que les enseignes lumineuses consomment énormément. Un décret adopté en 2012, rentré en application en 2018, oblige les magasins à éteindre leurs enseignes lumineuses entre 1h et 6h du matin : cette mesure aurait déjà permis d’économiser 1 000 gigawatts par heure, soit la consommation de 370 000 ménages  Cependant, la plupart des magasins ne respectent pas cette interdiction.

Au-delà de la question de la consommation, il s’agit d’une question de principe. Face au risque de pénurie d’énergie cet hiver, les patrons d’EDF et de Total  ont signé fin juin une tribune dans le Journal du dimanche pour demander aux Français de réduire leur consommation d’énergie. Comment exiger des individus un effort de sobriété – que l’on peut questionner tant la sobriété forcée est déjà la règle pour les foyers précaires – si l’on n’impose même pas le respect de la loi aux entreprises privées ? »

L’avis de Noémie Renard : « Dans l'absolu, je suis pour éteindre les enseignes lumineuses la nuit. Toutefois, on ne peut pas balayer d'un revers de main le sentiment d'insécurité que ressentent certaines femmes. Sinon, elles risquent de limiter leurs déplacements.

Ce sentiment n’est pas spécifique aux femmes, mais il appartient à leur socialisation. Il existe en effet une idée reçue selon laquelle les viols se passent en extérieur et sont commis par un inconnu, même si les études sociologiques et anthropologiques montrent que les violences sexuelles ont surtout lieu dans l'entourage proche. Par ailleurs, les femmes peuvent subir du harcèlement dans la rue, par exemple. C'est donc normal qu’elles aient peur. En ce qui me concerne, j'habite dans un petit village de 800 habitants et la nuit, en hiver, il n’y a aucun éclairage sur de longues distances. C’est flippant.

Après, de ce que j’ai vu, je ne crois pas que les éclairages publics favorisent la sécurité. Il me semble qu’éteindre les enseignes lumineuses ne va pas entraîner une augmentation de la criminalité ou de la délinquance, donc en théorie, ça ne va pas mettre en danger les femmes ou les gens de manière de manière générale. Mais c’est leur ressenti dont on doit tenir compte. J'imagine qu’on peut trouver des compromis. Ce que doivent faire les municipalités, c'est expérimenter et voir comment les femmes et les hommes perçoivent les aménagements proposés. »

Maud Le Rest