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Rien sur nous sans nous !

Si ce slogan a été popularisé dans les milieux militants handicapés, « Rien sur nous sans nous ! » pose la question de la place des personnes concernées par des discriminations dans leurs représentations. Le théâtre n'y échappe pas.

En 2015, dans un article sur Slate.fr, Amandine Gay, réalisatrice afroféministe, analysait le contenu d'un débat houleux sur la diversité qui avait eu lieu au théâtre de la Colline, à Paris. Elle y dénonçait notamment la blanchité des intervenant.es. Quatre ans plus tard, la pièce Kanata – La Controverse, mise en scène par Robert Lepage, était annulée au Québec car elle faisait figurer des personnages autochtones joués par des comédien.ne.s blanc.he.s. Ces polémiques mettent en avant l'importance pour les personnes concernées de porter leurs propres récits sur les scènes.

Si l'argument majeur évoqué est la liberté et la capacité d'un.e acteur·ice à jouer n'importe quel rôle, il s'agit là de représenter des populations, opprimées, stigmatisées, discriminées depuis des siècles – et encore aujourd'hui – par les peuples blancs et européens. Les représenter n'est pas anodin et porte une lourde histoire. Lorsque l'on interroge des personnes minorisées, il en ressort clairement que les représentations faites d'elles par des personnes non-concernées sont éloignées de la réalité, souvent stéréotypées, réductrices, incomplètes et bien souvent douloureuses voire dangereuses car stigmatisantes. Même en voulant bien faire, le propos reste celui de dominant·e·s.

Toujours les mêmes paroles mises en avant

A contrario, lorsque les spectacles sont faits par des personnes concernées, les récits sont plus proches de la réalité. D’ailleurs, on voit de nouveaux publics remplir les salles car, enfin, il est possible de s'identifier à ce qui se passe sur scène. Du côté de la création, être dans un spectacle en non-mixité ou en mixité choisie peut s’avérer salvateur. Dans un post Instagram de sa compagnie La Pieuvre d'Affection, le jeune metteur en scène Ezekiel explique :« Quand j'ai fait passer les auditions, c'était dit d'entrée que le projet serait en non-mixité queer et en questionnement. […] Ça nous permet de parler de nos vécus nous-mêmes, de nous ré-approprier nos narrations. Ensuite, ça nous permet de créer en étant en sécurité, d'exprimer nos besoins, nos triggers (son, mot, bruit…éléments déclencheurs qui peuvent réveiller des traumatismes), et nos limites sans avoir peur que ce soit mal reçu ou mal compris. »

Mais cela ne s'arrête pas aux équipes de création. Mettre des personnes privilégiées à la tête des institutions, c'est laisser en grande majorité les programmations ouvertes à d'autres personnes privilégiées. Résultat : on met toujours les mêmes paroles en avant. Les signataires d'une lettre ouverte à Fleur Pellerin, ministre de la Culture, en 2015, majoritairement des artistes racisé·e·s, écrivaient : « Qui mieux que nous qui travaillons depuis des années sur notre histoire peut contribuer à aider le pays à renouer avec des histoires dont elle s'est mutilée ? [...] Nous devons être nommés à la direction des structures situées sur les territoires où vivent les classes populaires. Nous devons être artistes associé·e·s des scènes, théâtres, centres chorégraphiques nationaux. Nous refusons de continuer à être le public impuissant d'événements censés nous célébrer dans lesquels nous ne sommes pas conviés à nous exprimer. »

Aziliz Bucas