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HISTOIRES AU FÉMININ Carole Trébor, autrice fertilisante

Historienne de formation, Carole Trébor a enseigné l’histoire de l’art avant de se lancer dans la réalisation de documentaires, œuvrant pour les droits des femmes de plusieurs façons. Comme autrice, cela fait plus de dix ans qu’elle écrit des histoires d’héroïnes, réelles ou fictives, pour aider la jeunesse à s’épanouir et à oser être elle-même. Ses ouvrages agissent comme un engrais féministe naturel.

Carole Trébor est née à Paris au milieu des années 1970. En 2001, elle soutient une thèse de doctorat intitulée Les relations artistiques entre la France et l’URSS de 1945 à 1985 : les arts plastiques, sous la direction de Gérard Monnier, historien de l’art.

Elle enseigne cette matière à son tour pendant quelques années, avant de se mettre à la réalisation de documentaires. L’historienne a notamment réalisé Un p’tit bout d’humanité, film consacré aux sages-femmes de la maternité des Lilas (93). Elle a collaboré également à l’émission Silence, ça pousse! en réalisant des documentaires et des reportages sur la nature.

Valeur sûre de la littérature jeunesse, Carole Trébor écrit des textes qui instruisent et éduquent son jeune lectorat. Parce qu’elle est consciente du lien qui l’unit à ses lectrices et à ses lecteurs, elle organise de nombreuses lectures publiques de ses œuvres théâtralisées et mises en musique. Soucieuse de la place réservée aux femmes dans notre société, elle a fait de la lutte pour les droits des femmes une philosophie qu’elle distille avec pédagogie et subtilité dans chacune de ses publications.

C’est en 2012 que paraît son premier roman, Nina Volkovitch, aux éditions Gulf Stream. Le premier volume d’une trilogie. Depuis, Carole Trébor s’est spécialisée dans la littérature jeunesse, avec différentes publications qui vont de l’album au roman, en passant par la BD, le théâtre et la biographie.

De Nina Volkovitch à Maroussia, la Russie comme influence

Le cadre historique de la série Nina Volkovitch est celui de l’URSS après la Seconde Guerre mondiale. Dans ce roman, qui fait la part belle au fantastique, on trouve un des thèmes chers à l’autrice: les échanges artistiques entre la France et la Russie, qu’on retrouve en filigrane au long de l’histoire romanesque de Nina. En voici un extrait:

[Moscou, 1948]

– Nina, ta mère savait qu’ils allaient l’arrêter.
– Elle ne m’a rien dit !
– C’est pour te protéger qu’elle n’a rien dit. Le musée d’art qu’elle dirigeait a été liquidé. Elle a refusé d’obéir aux ordres du dirigeant de la Culture soviétique, elle a défendu les œuvres et les artistes français. Elle a été accusée de propagande antisoviétique, pro-occidentale.
 Qui l’a accusée?
– Elle a été dénoncée par une collègue qui voulait récupérer les bâtiments du musée pour y mettre une académie des beaux-arts.
– Une académie pour des étudiants d’art ?
– Ils veulent nier l’existence des courants d’art étrangers, effacer des pans entiers d’histoire. […] Ta mère a refusé de calomnier les impressionnistes et les autres artistes occidentaux.
L’univers russe revient régulièrement dans l’œuvre de l’autrice, puisqu’on le retrouve sous forme de fable écologique dans son magnifique ouvrage Maroussia, celle qui sauva la forêt, illustré par Daniel Egnéus et publié aux éditions Little Urban. Dans cet album, Maroussia, jeune fille forte au courage immense, affronte les soldats du tsar. Ces derniers sont venus pour construire une ligne de chemin de fer qui doit traverser la plaine, passer par le village de Maroussia et de sa grand-mère, et détruire la forêt. Elle veut les en empêcher. Un album qui résonne étrangement avec l’actualité écologique.
Depuis 2021, la série Jeanne, la fille du Docteur Loiseau (Albin Michel) mêle aventures sociales, histoire et féminisme dans le Paris des Années folles. Chaque tome est une aventure qui se lit indépendamment des autres et au cours de laquelle Jeanne, héroïne de fiction, rencontre des personnalités de son époque. Au gré de ses aventures, elle rencontre entre autres Kiki de Montparnasse, Hélène Boucher, Agatha Christie, Sonia Delaunay, etc.
Le style de Carole Trébor est unique dans la mesure où l’on sent l’autrice, historienne de formation, soucieuse de faire découvrir à son lectorat un contexte historique au travers d’un mystère à résoudre. Ainsi, petite et grande histoire se trouvent étroitement liées. Cerise sur le gâteau, le lecteur curieux pourra «en savoir plus» à la fin de chaque roman grâce à un petit résumé sur la personnalité mise en avant dans l’histoire.

Un travail sur des figures inspirantes pour tendre vers l’égalité des sexes

Au-delà de la volonté d’écrire un roman historique d’aventures, Carole Trébor a le souci constant d’aborder la question de la place des femmes dans la société. Ainsi, dans Jeanne, la fille du Docteur Loiseau, l’héroïne a 13 ans et veut devenir médecin comme son père. Tout l’art de Carole Trébor consiste à distiller son message féministe de façon subtile ET efficace. Ainsi, c’est le père de Jeanne lui-même qui explique à sa fille: «Si tu veux être médecin, tu dois étudier très bien à l’école, puis au lycée. Il y a encore très peu de filles qui font des études de médecine, il faudra donc que tu sois deux fois meilleure, deux fois plus combative que les garçons pour réussir.»

D’héroïnes fortes il est question dans Nina Volkovitch, dans Maroussia et dans Jeanne, la fille du Docteur Loiseau, car les figures féminines qui pas à pas bousculent les lignes constituent le thème essentiel de l’œuvre de Carole Trébor.

Et quand l’autrice mêle grande histoire et combats de femmes, cela donne un résultat brillant et deux biographies réussies à destination des adolescent.es: Combien de pas jusqu’à la Lune et Louise Michel – Je suis tout en orage, toutes deux parues chez Albin Michel Jeunesse.

Dans Combien de pas jusqu’à la Lune, Carole Trébor évoque la vie de la femme exceptionnelle qu’était Katherine Johnson. Génie des mathématiques, elle a effectué les calculs qui ont permis aux hommes d’aller sur la Lune. Katherine Johnson s’est extraite de son milieu social en bravant tout à tour le racisme, la ségrégation et la misogynie. Combien d’obstacles franchis pour que son nom, au final, demeure trop injustement méconnu!

Dans Louise Michel – Je suis tout en orage, paru à l’automne, Carole Trébor nous brosse le portrait de cette femme inspirante qui a milité dès son plus jeune âge contre l’oppression du peuple (et des femmes en particulier) jusqu’à devenir une figure emblématique de la Commune de Paris.

A travers ses écrits, l’autrice ouvre la porte d’un monde où chaque jeune se cultive et s’instruit. Elle fait aussi le pari d’un monde égalitaire où les femmes auront pris conscience de leur valeur et où les hommes l’auront intégrée. Sachant que la route est encore longue pour atteindre ce monde idéal, Carole Trébor a le souci de mettre en avant des héroïnes réelles ou imaginaires mais toujours inspirantes, de façon à permettre à ses lectrices de s’autoriser à croire en elles, et de persévérer. Car, après tout, les rêves, eux, n’ont pas de sexe.
Corinne Gili
Instagram @quatriemedecouvertur