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HUMEUR Et si on ralentissait?

Par Evann Hislers

Écouteurs aux oreilles, tête baissée sur un smartphone… dans les transports et dans la rue, nous ne nous regardons plus, nous ne nous parlons plus. Et si on freinait cette folle tendance, en se concentrant à réserver dans nos agendas des moments de «rien»? Pour bien déconnecter, ce sera tout.

Les réseaux sociaux et les smartphones, qui permettent de rester connecté.e.s les un.e.s aux autres, nous séparent également. Je vous propose un petit exercice d’observation. Dans le métro ou dans la rue, regardez les gens qui vous entourent. Normalement, le constat sera le même que le mien: personne ne se regarde, tout le monde est sur son téléphone. Une séparation tant mentale que physique. À tel point que des groupes d’ami.e.s ne discutent pas, comme si la présence des un.e.s et des autres dérangeait leur activité de scrolling.

Cette connexion constante n’est pas sans conséquences sur notre capacité à nous concentrer. Bruno Patino, dans La Civilisation du poisson rouge – Petit traité suir le marché de l’attention (Grasset, 2019), avance que la durée de concentration des millenials (personnes nées entre 1980 et 1999) est de 9 secondes, soit seulement une seconde de plus que les poissons rouges. C’est déjà trop peu pour regarder une vidéo sur TikTok (qui dure en moyenne de 15 à 60 secondes) en pleine conscience. Améliorer sa capacité d’attention peut s’avérer complexe.

Dans notre vie «moderne» et notre société de plus en plus connectée, nous sommes stimulé.e.s à outrance. Chaque jour, nous sommes exposé.e.s à plus de 15 000 stimuli commerciaux –et encore, ce chiffre date de 2007… Chaque semaine, plus de 144 mails en moyenne arrivent dans la boîte mail d’un.e salarié.e. Et combien de notifications?

Entraîner sa capacité d’observation, accueillir et apprécier l’ennui

Face à cette accumulation d’informations non-désirées qui surgissent en permanence, on peut également décider de ralentir et d’observer. L’observation permet de porter attention au monde social en train de se faire, à l’«infra-ordinaire*», comme disait l’écrivain et poète Georges Perec. Elle permet de saisir ce qui ne nous saute pas aux yeux.

Dans ses Exercices d’observation (Premier Parallèle, 2022), l’anthropologue et professeur Nicolas Nova propose 19 exercices pour s’entraîner. Par exemple, s’asseoir à un café avec un carnet, porter attention à tous les détails environnants, aux choses, aux personnes, aux objets. L’object est d’écrire le monde social comme il se présente à nous. On peut organiser ses notes si on le souhaite, et les relire ou pas. Consigner les petites choses du quotidien permet surtout d’en prendre conscience.

Pour accepter l’observation, lorsque l’on n'en retire pas un matériau de travail, comme pourrait le faire un sociologue, il faut accepter le risque de «perdre du temps», de «s’ennuyer». D’ailleurs, quand vous êtes-vous ennuyé.e pour la dernière fois? Aucun souvenir? Normal. À chaque fois que l’ennui pointe le bout de son nez, votre smartphone n’est pas loin.

Une file d’attente, une attente un peu trop longue entre deux métros? Votre téléphone saura rendre ce moment agréable. Enfin, rien n’est moins sûr mais, en tout cas, vous serez stimulé.e. À l’inverse, il sera nécessaire d’apprendre à ralentir, à observer, à contempler. De donner du répit à son cerveau. Aux Pays-Bas, il existe un mot pour cela: en néerlandais niksen signifie «ne rien faire». L’ennui nous permet de nous reposer, nous rend plus créatives et créatifs et nous détend. Cela à condition de le percevoir d’une façon positive. Alors l’année prochaine, réservez-vous des moments de «rien». Vous allez voir, ça fait du bien.

* L’Infra-ordinaire est également le litre d’un recueil posthume de textes de Georges Perec publié en 1989 aux éditions du Seuil, coll. «La Librairie du XXIe siècle».