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QUELLE FEMME! Odetta, égérie folk et activiste des droits civiques

La chanteuse Odetta dans les années 1960. Illustration réalisée par l’artiste Quibe pour Les Cent Plumes.

Voix de l’émancipation noire et figure remarquable de la scène folk américaine, nous rendons hommage à la chanteuse Odetta, née et morte au mois de décembre. Consacrée en 2023 comme l’une des 200 voix de tous les temps par le magazine Rolling Stone, Odetta a été une grande activiste des droits humains et talentueuse artiste méconnue en Europe. Nous vous la présentons.

Née Odetta Holmes le 31 décembre 1930 à Birmingham, Alabama –ville provinciale et sudiste dont les églises noires brûleront bientôt, et où certaines maternités sont réservées aux Noires tout comme les lavabos publics, ou encore l’arrière des bus…–, Odetta est connue sous son seul prénom. Pour l’engagement social de ses textes, l’autrice-compositrice était surnommée «la voix du mouvement des droits civiques». Le 28 août 1963, elle marque de sa performance vocale la Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté en interprétant Oh Freedom. Martin Luther King la baptise «la reine de la musique folk américaine». Odetta décrira elle-même son rôle dans le mouvement pour l’égalité des droits civiques comme celui d’un «simple soldat au sein d’une très grande armée».

Son répertoire musical est d’une grande richesse, qui va de la musique folk au jazz en passant par les spirituals. Sorti en 1956, son premier album Odetta Sings Ballads and Blues inspirera trois générations de chevelu.e.s, de jazzeux, de Black Panters et autres révolutionnaires. Dès ce premier album, Odetta influence bon nombre d’artistes parmi lesquel.le.s Bob Dylan, Joan Baez, Janis Joplin, Harry Belafonte, Bruce Springsteen, etc. Sans oublier Rosa Parks, figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis, qui est alors sa fan numéro un!

«Si seulement on pouvait avoir la certitude que, tous les cinquante ans, une voix comme cela d’Odetta allait apparaître, les siècles passeraient si rapidement et sans peine qu’on ne ferait plus attention au temps qui passe», Maya Angelou

L’héritage d’Odetta est immense: Harry Belafonte la cite comme «l’influence clé de sa carrière musicale». Bob Dylan note dans son journal: «la première chose qui m’a dirigé vers la folk music est Odetta: j’ai écouté un de ses albums dans un magasin de disques et j’ai couru m’acheter une guitare acoustique. Son disque était totalement vital et personnel, et j’en ai appris tous les morceaux». Pour Joan Baez:«Odetta était une déesse dont la passion m’a touchée». Janis Joplin a passé son adolescence à l’écouter, et l’a imitée à ses débuts. La poétesse Maya Angelou dit à son sujet: «Si seulement on pouvait avoir la certitude que, tous les cinquante ans, une voix comme cela d’Odetta allait apparaître, les siècles passeraient si rapidement et sans peine qu’on ne ferait plus attention au temps qui passe». John Waters a mentionné Odetta comme inspiration beatnik pour l’écriture de son film Hairspray, et la chanteuse Carly Simon de la citer comme une influence majeure reconnaît avoir eu les jambes flageolantes quand elle l’a rencontrée un jour dans Greenwich Village (New York).

Légende incontestée du répertoire folk, Odetta a laissé des titres qui continuent d’émouvoir le monde entier comme Sometimes I Fell Like A Motherless Child, qui figure dans la playlist de cette édition. D’une pureté saisissante, sa voix résonne encore comme l’une des plus belles de sa génération. Véritable incarnation de la liberté, Odetta illumine chacune de ses interprétations de son aura et de sa voix, qui reste gravée dans l’histoire de la musique.

Cette immense artiste nous a laissé des dizaines d’albums, dont Odetta Sings Ballads and Blues (1956), Ballads for Americans and Others American ballads (1960), Sometimes I Feel Like Cryin’ (1962) réalisés en studio, des albums live avec Odetta At Carnegie Hall (1960), The Best Of Harlem / Its Impossible, (1976), ou encore une compilation The Best of Odetta (1967), etc. Ce n’est pas fini. Dès 1959, elle apparaît au Newport Folk Festival. Puis elle reçoit en 1998, en qualité d’activiste pour les droits civiques, le War Resisters League Peace Award, le prix pour la paix de la Ligue des résistants à la guerre. Cinq ans plus tard, elle est nommée «légende vivante de la bibliothèque du Congrès».

Odetta doit chanter le 20 janvier 2009 pour la première investiture de Barack Obama à la Maison-Blanche, où elle est conviée. Mais son cœur la lâche quelques semaines avant son 78e anniversaire. Elle rend son dernier souffle à New York le 2 décembre 2008, mais sa voix, elle, ne s’éteint pas. En 2011, Time Magazine classe son titre Take This Hammer parmi les 100 plus grandes chansons populaires américaines. Cette année 2023 la voit consacrée comme l’une des 200 voix de tous les temps par le magazine Rolling Stone.
Geronemo