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RENCONTRE Khady Pouye, artiste rufisquoise

A 45 ans, la chanteuse Khady Pouye est une figure anti-validiste du continent africain. Entourée de sa maman et de sa famille, elle vit où elle a grandi, à Rufisque, dans la région de Dakar. La Sénégalaise milite sans relâche pour la condition des personnes handicapé.e.s dans la société. Issue de son dernier album, sa chanson Wonema (Ne me cache pas) est devenue populaire sur les réseaux sociaux africains depuis la sortie de son clip, il y a un an. Présidente de l’association Handi-Afrique, elle est également la directrice du Festival Handi Afrique. Début décembre, Khady Pouye est venue pour la première fois en France. Les Cent Plumes vous la présentent.

Khady Pouye, vous êtes une autrice, compositrice et interprète sénégalaise, qui est aussi handicapée physique…
Je suis handicapée physique depuis l’âge de 7 ans. A l’âge d’entrer à l’école, j’ai commencé à tomber quand je marchais: mes os commençaient à se fragiliser. C’est là que mon pied gauche a commencé à se déformer, ainsi que le genou. Mon père m’a emmenée à l’hôpital. Une fois sortie, j’ai repris ma scolarité, mais ça a recommencé. Mon père m’a emmenée à l’hôpital de nouveau. C’était très dur entre les rendez-vous de santé et l’école… Puis on m’a hospitalisée. A l’hôpital, il y avait une école dans laquelle on m’a inscrite pour que je poursuive mon cursus scolaire. Malheureusement, la maladie a été plus forte et j’ai dû arrêter. J’avais 11-12 ans.

Quel diagnostic a été posé?
À l’époque, les docteurs ont dit que j’étais atteinte de rachitisme, que c’est une maladie des os qui se développe et qui les déforment, et que ça disparaîtrait avec le temps. Il y a quarante ans, la médecine n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui. Et puis, en grandissant, j’ai dit à mon entourage: «Ça va, je me sens bien comme ça, il faut me laisser, c’est Dieu qui a voulu ça.» On m’a dit qu’on pouvait me soigner mais, comme j’ai grandi avec [son handicap, NDLR], j’ai l’habitude de marcher comme ça maintenant.

Le clip de Wonema met en scène une femme qui demande à son fils handicapé et mendiant d’aller se cacher à l’arrivée d’une connaissance. Dans votre chanson, vous précisez: «Moi, je chante ma mère Astou Ndiaye Cissé […] ma mère n’est pas comme ces parents-là»…
Dans le clip, une maman fait mendier son enfant handicapé. Lorsqu’il lui rapporte de l’argent, elle est souriante mais, quand une amie vient lui rendre visite, elle dit à son enfant d’aller se cacher parce qu’elle a honte de montrer qu’il est handicapé.
A l’inverse, je prends comme exemple ma maman. Elle ne m’a jamais demandé de mendier, elle m’a bien éduquée, et elle m’a montrée à ses amies. Elle est très heureuse, et moi aussi. Pour ma mère, je suis même un exemple. Et c’est aussi cela que je chante, pour montrer qu’il n’y a pas que des mamans qui cachent les enfants, il y en a d’autres qui sont fières d’avoir un enfant handicapé. Ma maman est de celles-ci.

Dans quelle langue chantez-vous Wonema ?
Je chante en wolof [langue véhiculaire du Sénégal parlée par environ 80% de la population, le wolof est également pratiqué en Gambie et en Mauritanie, NDLR]. Je chante en wolof pour que les gens comprennent ce que je veux dire, pour faire passer mes messages: Wonema veut dire «Ne me cache pas».

Quels retours avez-vous eus après la diffusion de Wonema?
Dans cette chanson, je chante que si on a un enfant handicapé, on ne doit pas le cacher, mais faire comme la maman de Khady. Beaucoup de de gens me disent que ce n’est pas normal de cacher les enfants handicapés. Il y en a qui veulent faire écouter ma chanson à des parents d’enfants handicapés qui se comportent comme ça. J’ai eu beaucoup de retours à ce sujet.

Au Sénégal et plus largement en Afrique, vous êtes devenue porte-parole de la situation des personnes en handicap. Votre venue France n’est pas un hasard, le 3 décembre dernier était la Journée mondiale des personnes en situation de handicap…
Bien sûr, ce n’est pas un hasard. Depuis septembre dernier, je fais tout pour avoir un visa et venir transmettre mon message en France. Je représente le Sénégal et les associations des handicapé.e.s du pays. Beaucoup d’entre elles m’ont demandé de chanter à l’occasion de cette journée du 3 décembre, m’ai j’ai dû leur dire que, cette année, j’allais en France pour porter les plaidoyers et développer les échanges culturels.

Vous avez donné un concert, d’ailleurs, le 4 décembre à l’OCDE (Organisation internationale de coopération et du développement économique)…
Oui, j’ai fait la clôture du programme de l’OCDE en concert live avec des musiciens français, avec qui on avait répété deux ou trois heures avant. J’ai dédicacé un de mes CD au secrétaire général de l’OCDE, qui était ravi. Il y avait beaucoup de monde et j’ai également dédicacé mon album, sorti le jour même. Il y a aussi eu des échanges culturels, notamment avec l’association Debout citoyen.ne.s, pour qui je suis allée chanter trois morceaux. Et, avant-hier, j’ai rencontré Femmes pour le dire, femmes pour agir, une association pour les personnes en situation de handicap.

Vous êtes vous-même présidente de l’association Handi Afrique…
C’est une association que j’ai créée en 2012 pour m’accompagner dans les festivals africains. Nous sommes nombreuses et nombreux dans l’association, dont des personnes valides. Handi Afrique a permis de visibiliser le travail des personnes en situation de handicap qui travaillent dans la couture, la coiffure…, à l’occasion des festivals.

Vous rentrez au Sénégal dans quelques jours. Qu’avez-vous eu le temps de voir en France lors de votre séjour?
J’ai visité beaucoup de choses à Paris et de nombreux monuments, comme la tour Eiffel. J’ai adoré! J’ai pris plein de photos, et j’ai pu déguster et découvrir plusieurs plats que j’avais seulement vus à la télé. Tout ça m’a fait découvrir la France. Et hier, j’ai dîné dans un grand restaurant qui s’appelle Le Fouquet’s.

Avez-vous un message à transmettre?
J’espère qu’il y a beaucoup de monde qui regarde ce que je fais et ce que je souhaite réaliser. A ce sujet, mon association cherche des partenaires pour m’accompagner à atteindre mon objectif: mobiliser beaucoup d’handicapé.e.s d’Afrique et faire reconnaître leurs talents, car beaucoup en sont doté.e.s. Mon autre souhait est de continuer à porter le plaidoyer de la cause des handicapé.e.s.

J’imagine que votre mère est fière de vous…
Elle est très fière de moi, et ma grand-mère aussi (du côté paternel). Quand mon père ne voulait pas que je fasse de la musique, elle lui disait: «Laisse-la chanter, elle a une belle voix, tout le monde l’adore.» Ma grand-mère et ma maman sont les premières personnes qui ont cru en moi.

Quand revenez-vous nous voir en France?
Peut-être l’été prochain [en 2024, NDLR]. Je vais venir donner des concerts.
propos recueillis par Naya de Winona