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INTERVIEW Nabou Fall

Elue parmi les Africaines les plus influentes*, Nabou Fall est une écrivaine sénégalaise d’origine peule. Mi-lionne mi-gazelle, elle a lutté avec sa santé pour rester en vie. Aujourd’hui, elle est la maman solo de jumeaux, dont l’un est atteint de troubles du spectre de l’autisme (TSA). C’est elle qui l’a décelé chez son fils. Femme engagée, elle défend aussi la cause des autistes en Afrique. Pour la reconnaissance du TSA et la prise en charge des soins.

Nabou Fall, en 2021, vous avez été élue parmi les 50 femmes africaines les plus influentes
J’ai eu plusieurs fois le titre, il m’a été donné par Amina, Avance Média (qui est au Ghana) et Influences Magazine. Ce sont des titres panafricains. L’Afrique de l’Ouest recouvre plusieurs pays : Bénin, Burkina Faso, Congo-Brazzaville, Niger, Nigeria, Mali, République démocratique du Congo, Sénégal, Togo. Moi, je suis née à Dakar et j’ai grandi en Côte d’Ivoire avant de venir vivre en France. J’y suis allée avec ma mère suite au décès de mon père et après être tombée gravement malade.

Vous élevez seule deux jumeaux dont l’un est atteint d’autisme. C’est vous qui le décelez alors qu’il est scolarisé…
En Afrique, on ne connaît pas l’autisme. En général, les premières personnes à être dans le déni, ce sont les parents. Ils ne veulent pas assumer ce «complexe» de la normalité. Tout le monde veut être «normal». Tout le monde veut des enfants «normaux». Mais qu’est-ce que c’est que la normalité? L’autisme est méconnu partout. Je pense que les Etats-Unis, l’Amérique du Nord, sont beaucoup plus avancés que la France** et l’espace européen, celui sub-saharien… Ici en Afrique, certains parents pensent qu’on a peut-être jeté un sort à leur enfant. Mais il y a quand même une prise de conscience grandissante que l’autisme est un état, une différence : on est sur un autre spectre, on a une autre perspective de la vie. C’est comme être d’un autre pays avec d’autres codes. Moi j’ai un fils autiste léger de niveau 1, avec des troubles d’apprentissage. [Il en existe de trois niveaux, NDLR.] Le niveau 1 est indécelable. Il existe des écoles spécialisées.

Comment ça se passe concrètement?
Malheureusement, il n’y a pas de prise en charge de la part des Etats africains. Ce sont les parents qui doivent travailler beaucoup plus pour payer les frais. Ça coûte extrêmement cher. Pour les personnes qui ne le peuvent pas, il y a par exemple des écoles qui bénéficient de dons pour pouvoir prendre en charge des enfants autistes de parents pauvres. La chaîne de solidarité existe, mais le premier pas reste la prise de conscience de la famille et l’acceptation de la maladie: on ne peut pas soigner quelque chose si on n’accepte pas qu’on l’a.

Y a-t-il assez de professionnel.le.s de l’autisme en Afrique?
Il n’y a pas suffisamment de professionnel.le.s et pas assez de structures, et celles qui existent sont hors de prix. Il reste un long chemin à parcourir, déjà, pour dépister et accepter la maladie. Je suis persuadée que des personnes autistes passent pour ensorcelées ou pour folles.

C’est un vrai challenge. Les sociétés dans lesquelles nous évoluons nous enjoignent à avoir une certaine vision de la «normalité». Pour une femme, par exemple, on va dire qu’elle doit avoir un mari, des enfants. Pour un homme, il faut avoir une femme, des enfants. Il y a des cases où on veut nous faire entrer, qui ne correspondent à personne parce que chacun.e est unique. Les autistes sont uniques ET ont une autre perspective du monde.

Comment peut-on parler d’autisme à de futurs parents ?
C’est un peu risqué avant l’accouchement parce que ça peut être mal perçu pour des questions de superstition, ou parce que c’est encore un sujet tabou. Par contre, ça peut se faire dans la première année de l’enfant via les pédiatres. Parce qu’il n’y a pas vraiment de test de dépistage, comme c’est le cas pour la trisomie 21. On ne peut pas dépister génétiquement l’autisme.

A partir de quel âge on peut déceler l’autisme chez un enfant?
Dès la petite-enfance, c’est-à-dire à 1 an, 2 ans. Il y a des signes, qui ne sont pas évidents à déceler. Mais dès les premiers doutes, il est important d’avoir le courage de se dire : “Et si mon enfant n’était pas comme les autres ? Je vais aller consulter pour voir s’il y a un problème.” C’est vraiment quelque chose à faire.

Des journalistes vous surnomment «L’oreille des premières dames»…
Oui, parce que j’ai des relations assez proches avec quelques premières dames africaines que je connais personnellement.

Avez-vous été une oreille de Brigitte Macron, première dame en France ?
Pas du tout, je ne l’ai jamais rencontrée. Je ne la connais pas.

Vous êtes passionnée d’écriture depuis votre jeunesse. Et la lecture?
J’étais passionnée de lecture et aussi d’écriture. D’ailleurs, on a formé un club de lecture avec des ami.e.s. J’ai moi-même écrit un roman paru en 2017, Evasion virtuelle [Editions Tabala, NDLR.] Je suis en train de lire Sublime Royaume de Yaa Gyasi, romancière américaine d’origine ghanéenne.

Propos recueillis par Claudine Cordani

* La liste s’est allongée depuis cette interview: Nabou Fall a remporté fin octobre 2022 le prix de meilleur influenceur international lors de la 2e édition du Mali Digital Awards.

** En France, La Maison de l’autisme et des troubles du neuro-développement ouvrira ses portes à la fin mars 2023 à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis (93). En attendant, pour évaluer l’impact de sa politique dans ce domaine, le gouvernement a lancé une consultation annuelle en ligne à destination des familles concernées. Plus d’infos sur ce site : https://informations.handicap.fr/a-maison-autisme-ouvrira-ses-portes-fin-mars-2023-34107.php

Nabou Fall collabore à des journaux, dirige la société Viseot, est conférencière et travaille également à la stratégie de communication et de relations publiques de grands groupes français implantés en Afrique (des banques, Canal+,…). En possession d’un master en finance et organisation des entreprises (ISG), elle est certifiée «leadership féminin» par Harvard, et est diplômée en génie informatique (ESGI, Paris).