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UTILITÉ PUBLIQUE 7e Rencontre annuelle des lanceurs d’alerte


Les Cent Plumes fait le point avec Daniel Ibanez, co-fondateur de l’événement dédié aux lanceuses et aux lanceurs d’alerte. La 7e édition s’est tenue des 11 au 13 novembre à la MSH, Paris Nord (93). Il nous parle des évolutions de la situation des personnes qui lancent l’alerte. Ce que cet événement a apporté et fait évoluer sur leur condition. L’occasion aussi pour les organisateurs de rappeler qu’alerter n’est pas une opinion mais un acte de citoyenneté.

Daniel Ibanez, tu as cofondé les Rencontres annuelles des lanceurs d’alerte. Dans quel contexte, quand et comment ça s’est passé?

La première édition est venue d’une réflexion avec les libraires indépendants du Presse Papier à Argenteuil (95), avec qui nous avions depuis longtemps organisé des initiatives comme une galerie d’exposition associative avec une artothèque*. Nous avions imaginé organiser un salon du livre de caricature en 2008. Malheureusement, ce projet n’a pas abouti. En 2015, l’idée d’une rencontre autour du livre d’alerte en présence des auteurs et des autrices s’est rapidement imposée. D’une part, on me qualifiait de lanceur d’alerte pour mes publications dans le dossier Lyon-Turin. D’autre part, l’actualité faisait une place de plus en plus grande aux lanceurs d’alerte, bien que la définition et l’expression soit née en 1999 à l’initiative du sociologue Francis Chateauraynaud. Je me suis mis à contacter des personnalités et des lanceurs d’alerte et l’accueil était chaque fois enthousiaste. C’est donc sans trop de difficultés que nous avons trouvé une salle (l’association La Parole errante, à Montreuil) et que nous avons programmé le premier salon Des Livres et l’alerte en jouant sur la phonologie «Délivrez l’alerte, des livres et l’alerte!» Le salon devait se dérouler les 14 et 15 novembre 2015… Le 13 au soir, la folie meurtrière en a décidé autrement. Chacun des invités s’est engagé à revenir l’année suivante. Nous avons pu organiser, grâce à l’équipe de la Maison des Métallos, à Paris, la deuxième édition.

Cette année, la question centrale de cette 7e édition était «Sommes-nous entrés dans une période où il est nécessaire de résister face à l’inaction?» . Tu as la réponse ?

Comme les alertes, les analyses sur la situation que nous connaissons sont nécessairement subjectives. Il me semble important avant de répondre de faire le bilan. A chaque nouvelle élection, on se focalise sur le futur enchanteur ou la future enchanteresse, ce sera sans doute le cas pour les prochaines européennes. Je pense que les candidat.e.s seraient bien inspirés pour se démarquer et redonner confiance, de faire le bilan de leurs mandats. En matière d’environnement, depuis trente ans que l’alerte a été lancée sur le réchauffement, non seulement rien n’a été fait pour limiter les conséquences de l’activité humaine, mais –au contraire– la situation s’est dégradée.

En l’absence de mesures à la hauteur des enjeux de la part des pouvoir publics, le bilan est négatif et présente un réel danger pour la population. Résister comme le font les personnes qui agissent sous les sigles Dernière Rénovation ou Extinction rébellion comme l’a aussi Green Peace me semble non seulement légitime, mais nécessaire. La réponse répressive par des gardes à vue de quarante heures pour des blocages symboliques montrent l’urgence de résister largement à ceux qui sont complices des désastres environnementaux.

Il en va de même pour les médicaments malgré les réussites de la pneumologue Irène Frachon [Affaire du Mediator, NDLR.] On voit que les pouvoirs publics et les agences de contrôles perpétuent les mêmes méthodes. Faut-il parler de la corruption avec la partie émergée de l’iceberg qui vient d’être révélée dans l’affaire de la vice-présidente du parlement européen? Alors oui, je pense que la résistance est nécessaire et légitime face aux dangers que les pouvoirs publics font courir aux populations. Par contre, sommes-nous entré.e.s en résistance? De toute évidence pas assez, que ce soit pour la corruption, l’environnement ou les droits démocratiques au vu des résultats des COP 27 et autres, des coupes du monde climatisées et responsables de milliers de morts ou encore du Parlement européen… Quant au sujet des féminicides, on connaît le nombre des victimes [En 2021, 122 femmes sont mortes sous les coups de leurs conjoints ou ex-conjoints, un chiffre en hausse, NDLR] et des mesures insuffisantes pour protéger les femmes.

Avec le slogan «Délivrez l’alerte, des livres et l’alerte!», vous laissez une large place à l’édition lors de vos événements. Les livres présentés suscitent-ils un intérêt grandissant au fil des années?

Il faut reconnaître que la lecture des livres de lanceuses et lanceurs d’alerte ou de journalistes s’avère un peu déprimante par leur accumulation, par les répétitions des mêmes méthodes ou des mêmes scénarios. Cependant, le nombre d’affaires grandissant, la répétition comme je le disais, est un signal d’alerte rouge –pour la démocratie et pour la République. On peut aussi tourner la tête, mais il faut se souvenir que le plus dangereux reste le silence feutré des pantoufles. Alors oui, il est nécessaire d’encourager à l’écriture car le livre est le moyen par excellence de transmettre les alertes. En effet, il permet de les valider et de les diffuser. C’est une partie importante de la contribution des Rencontres des lanceuses et des lanceurs d’alerte que nous organisons chaque année.

Lesquels conseillerais-tu, et pourquoi ?

Le choix est toujours difficile mais j’ai particulièrement été touché par l’histoire de Sophie Rollet Que quelqu’un m’entende** car il est l’exemple de ce qui conduit à alerter, de la difficulté à convaincre (j’ai moi-même été dans un premier temps, au début du livre, dubitatif) à se confronter à l’institution, au secret, pour une personne qui ne sait pas ce qu’est l’alerte ni les lanceurs d’alerte. C’est aussi la démonstration de la nécessité de mutualiser. Pourtant, ce livre est resté confidentiel je crois. Je voulais inviter Sophie Rollet aux rencontres et nous n’avons pas eu de réponse. Si elle nous lit: l’invitation tient toujours.

Stella Morris Assange était présente aux Rencontres, où en est-on du sort de son mari Julian?

Il faut lire le livre de Nils Melzer L'affaire Assange, sur le sort réservé depuis plus de dix ans à Julian Assange, qui représente à plus d’un titre un danger pour nous toutes et tous. Danger, car il a publié des informations essentielles prouvant des exécutions sommaires et de tortures et c’est pour cela que les Etats Unis le poursuivent. Danger, parce que les démocraties ne lui ont pas offert l’asile pour le protéger comme elles ne l’ont pas fait pour Snowden. Danger, parce que le discours de discrédit à son encontre a trouvé bien plus de relais médiatiques que les rapports sur la torture qu’il subit. Danger, parce que la profession n’est à mon sens pas assez solidaire. Danger, parce que ce qui se passe c’est une remise en cause du droit d’informer sans ingérence de l’autorité publique que garantit la charte des droit fondamentaux de l’Union Européenne. Julian Assange est torturé et privé de liberté pour avoir dit la vérité et ceux qui ont menti restent en liberté. Personne ne peut tourner la tête aujourd’hui et ça relève de la responsabilité individuelle de demander sa libération pour garantir la liberté d’informer et d’être informé.e.

Depuis qu’il existe, cet événement a-t-il influé sur le sort réservé aux personnes qui lancent l’alerte, à leur protection, à leur défense ?

Il est certain que les rencontres annuelles des lanceurs d’alerte ont permis de mutualiser les expériences et de les partager, elles ont aussi permis à des lanceuses et des lanceurs d’alerte qu’écrire une livre est à leur portée. Nos événements ont permis d’affiner les analyses et, peut-être, de faire émerger des voies nouvelles pour une définition de ce que sont les personnes qui alertent et de pourquoi elles le font. Un débat doit être mené, à mon sens: l’alerte relève-t-elle en premier lieu d’un droit ou d’un devoir? Selon la réponse qu’on donne à cette question, les mesures de protection des lanceuses et des lanceurs d’alerte sont radicalement différentes.

En optant pour le devoir d’alerte comme le droit français le considère dans de nombreuses situations (travail, environnement, maltraitance…), alors, ce sont ceux qui n’alertent pas ou qui entravent l’alerte qui seront responsables devant les tribunaux. A l’inverse, les lanceuses et les lanceurs d’alerte se verraient protégé.e.s par ce devoir d’alerte sans autre justification. En attendant, les lois dites de protection des lanceurs d’alerte ont choisi de s’organiser autour de la notion d’un droit d’alerte. Le débat est ouvert. Il doit être public.

Propos recueillis par Claudine Cordani

* Une artothèque est une structure permettant la diffusion d’art contemporain d’œuvres originales, dont les collections sont régulièrement renouvelées. Elle peut être itinérante.

** https://www.fayard.fr/documents-temoignages/que-quelquun-mentende-9782213721163

En savoir plus

Sur les intervenant.e.s de cette 7e Rencontre annuelle: https://lanceurs-alerte.fr/les-intervenants…

– Les entretiens de Daniel Ibanez sur la chaîne Peertube: https://video.lanceurs-alerte.fr/a/pablo/video-channels