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AU BOULOT ! «No(s) Dames» ou la revanche des héroïnes d’opéra

Lassé de voir mourir d’amour les grandes héroïnes d’opéra au dernier acte, le contre-ténor Théophile Alexandre propose dans No(s) Dames d’inverser les genres codifiés sur la scène lyrique avec Zaïde. Résultat de sa collaboration avec le quatuor féminin pour raconter la même histoire: aux femmes la direction musicale et au chant une voix masculine!

Fasciné depuis l’enfance par l’opéra Carmen, Théophile Alexandre ne comprenait pas pourquoi la cigarière devait mourir à la fin du 4e acte. Le contre-ténor et danseur dénonce «une fatalité de genre» immuable sur quatre siècles de créations lyriques. Il décide de convoquer 23 héroïnes mythiques auxquelles il prête sa voix. De la Médée de Cavalli (1649) à la Maria de Buenos Aires, l’opéra-tango de Piazzolla (1968), «les divas appartiennent toujours aux mêmes archétypes: la madone, la putain ou la sorcière», relève Emmanuel Greze-Masurel, le directeur artistique de No(s) Dames.

Poignardée, empoisonnée, malade, brûlée vive, tel est le destin commun et peu enviable de Carmen, Juliette, Violetta, Norma. Pourtant ces personnages féminins mis en scène par des compositeurs sont l’incarnation absolue du romantisme à l’opéra construisant un imaginaire collectif toxique. «C’est beau de mourir pour un homme dans un déluge de violons…», relève sarcastiquement Emmanuel Greze-Masurel.

Les arias les plus célèbres ont fait passer l’histoire au second plan. Et quels scénarios! Si chacun fredonne «L’amour est enfant de bohème», le succès de Carmen, personne ne cille lorsque l’héroïne se jette à corps perdu sur le couteau de Don José. Le directeur artistique souligne l’absurdité du comportement: «Une personne imaginaire conçue par un homme…»

No(s) Dames est une démarche qui dégenre les codes, mais qui ne séduit pas encore les directions frileuses des théâtres lyriques

Cette tragédie féminicide ne serait-elle pas l’aboutissement d’un entre-soi masculin qui exclut les compositrices –par ailleurs peu nombreuses? Théophile Alexandre raconte qu’autrefois «les femmes avaient le droit de jouer parfois du luth ou du clavecin, mais uniquement dans leur salon, sans aucune représentation possible». Evidemment cela a ralenti, voire empêché l’émergence de rôles modèles féminins. Voilà une des raisons qui ont appauvri le matrimoine, en plus de l’invisibilisation.

Le spectacle est associé au centre Présence Compositrices, dirigé par Claire Bodin, qui recense toutes les œuvres des compositrices oubliées de l’Histoire avec l’ambition de les faire revivre. Ainsi, No(s) Dames fait un pas de côté dans le bastion ultramasculin de l’opéra avec la volonté de faire bouger les lignes de tout «un édifice culturel ayant forgé l’idée que la vie d’une femme n’a de sens que si elle est aimée par un homme», résume Théophile Alexandre. Une démarche qui dégenre les codes, mais qui ne séduit pas encore les directions frileuses des théâtres lyriques – à l’exception de l’opéra de Limoges, qui coproduit le spectacle.

La déconstruction du genre à l’opéra se veut pédagogique et antisexiste. Les deux représentations qui auront lieu au Trianon seront précédées de débats, notamment le 9 février (complet) en présence de la ministre déléguée à l’Egalité entre les femmes et les hommes Isabelle Rome, de la metteuse en scène Macha Makeïeff et de la philosophe Catherine Clément, autrice de L’Opéra ou la Défaite des femmes*.

Sophie Dancourt

* Edité chez Grasset en avril 1979, collection «Figures», 364 pages, 24,90€.

Pour en savoir plus www.theophilealexandre.com