← Retour Publié le

INTERVIEW Zabo Martin

La musicienne et metteuse en scène agenaise Zabo Martin a quitté le Lot-et-Garonne avec sa troupe pour accompagner deux représentations au cirque parisien Romanès les 11 et 12 mai, dont celle de J’ai rêvé la révolution. La pièce de Catherine Anne relate les derniers jours d’Olympe de Gouges et questionne en profondeur les recoins sombres de notre société. Rencontre avec directrice artistique culturelle Zabo Martin, qui a préservé son humanité, travaille en pleine nature dans le Lot-et-Garonne, et n’a de cesse d’explorer le champ des possibles.

Quel est votre parcours Zabo Martin, et quel âge avez-vous ?

J’ai 60 ans et j’ai un parcours d’autodidacte. J’ai travaillé trente ans dans le théâtre avec Pierre Debauche, le créateur du Théâtre des Amandiers à Nanterre. Moi qui n’étais qu’une musicienne, je suis accordéoniste de base, je suis devenue une musicienne de théâtre grâce à lui. C’est Pierre qui m’a fait rencontrer Jacques Higelin, dont j’ai été l’accordéoniste. Entre temps j’ai aussi travaillé avec Juliette Gréco. J’ai un parcours idéal!


Lors du confinement de 2021, vous travaillez sur la pièce de Catherine Anne J’ai rêvé la révolution. Il est question des quatre derniers jours de la féministe Olympe de Gouges, guillotinée le 6 septembre 1793. Elle est l’autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle écrit à l’article 10: «Une femme a le droit de monter à l’échafaud. Elle doit avoir également celui de monter à la tribune»… On voit bien qu’il est toujours plus courant pour une femme d’être descendue en flèche que de se hisser à la tribune…

C’est pour cette raison qu’on a monté cette pièce. J’ai un petit lieu en Haute-Garonne qui s’appelle La Boîte à laver, c’est 80 mètres carrés dans un endroit impensable. Le jour où on doit inaugurer le lieu, Macron dit qu’il faut tout fermer à cause du covid. J’ai vu ce rêve s’éteindre. Alors, j’ai décidé qu’on allait inventer quelque chose. Emilie Grua, qui joue le rôle d’Olympe, Anne-Marie Frias, qui incarne celui de la mère du geôlier et moi-même, on s’est mises à lire des pièces, et on est tombées sur celle de Catherine Anne J’ai rêvé la révolution. Dès les premiers mots, on s’est dit «Ça, c’est pour nous». On a commencé à rêver à des possibles pour créer cette pièce en plein confinement. Bien que j’écrive surtout de la musique de chœur, j’ai demandé à Catherine si ça lui paraissait possible d’écrire pour 44 personnages, et non pas pour quatre. Elle m’a dit «je vais venir voir ce que vous faites de ça».


Pour cette pièce, vous lancez un appel aux chanteurs de salle de bains. Au total, 40 personnes sont prises. Des hommes et des femmes. Y a-t-il eu une sélection?

Non, j’ai simplement demandé à ce que tout le monde chante juste et en rythme. C’est pour ça que l’aventure est magnifique, parce qu’on a commencé à travailler avec des personnes qui ne savaient pas chanter, à part quelques-un.e.s qui pratiquaient déjà dans des chorales de village. On a monté ce projet avec des gens comme vous et moi.

Du 15 au 18 juin prochain, on pourra voir J’ai rêvé la révolution à Laroque-timbaut dans le cadre de l’évènement Nous fêterons le retour des papillons. C’est le premier du genre?

Oui, la Boîte à laver n’existe que depuis trois ans. Finalement, J’ai rêvé la révolution nous a aidé.e.s à ne pas subir le confinement, et à vivre intensément une création dans une telle période.

Des enfants participent aux quatre jours de festival. Le partage intergénérationnel, c’est important pour vous?

Evidemment. On essaye de prouver à tout le monde qu’il se trouve une envie de vivre dans cette morosité générale.

En 2020, vous installez votre «maison des écritures» dans la Boîte à laver, espace situé proche du lavoir à Laroque-Thimbaut (47). Quels sont les critères d’accueil de ce lieu de résidence destiné aux artistes professionnel.le.s?

Sur les deux spectacles qu’on a joué chez Romanès, J’ai rêvé la révolution (de Catherine Anne) et Bakhaï, le cri du vivant (d’Olivia Jerkovic), l’idée est que les professionnel.le.s qui viennent chez nous viennent en partage total de leurs connaissances avec des amatrices et des amateurs. C’est-à-dire que sur le plateau il n’y a pas de «je suis le professionnel» et «nous sommes des amateurs». Le slogan de la Boîte à laver, c’est «La vie, c’est grandir ensemble». C’est à dire s’apporter mutuellement. C’est l’idée de l’éducation populaire: on partage. Avec la chance que j’ai eue dans mon parcours, je redonne ce qu’on m’a donné et je le partage, et réciproquement. Dans le groupe, il y a aussi bien la maraîchère que le fermier du village. On a tous ces gens-là, c’est le village entier qui se déplace et chacun.e apporte quelque chose de sa propre expérience, et c’est ça qui compte. C’est bien pour ça que ce groupe fédère et marche bien, parce qu’on y partage les connaissances, quelles qu’elles soient. Et c’est ça qui est beau.

Vous évoquiez Bakhaï, le cri du vivant le second spectacle qui s’est joué au Théâtre Romanès, le 11 mai dernier. Il y avait aussi une quarantaine de personnes sur scène?

Un peu moins parce que, entre-temps, il y a eu de belles histoires comme des couples qui se sont formés, et des naissances à venir. Donc il y en a eu qui n’ont pas pu continuer à jouer. Entre ça et les personnes qui nous ont rejoint.e.s, on arrive à peu près à la quarantaine.

Vous avez appelé votre troupe Le compagnie des temps venus. Qu’attendez-vous de voir venir?

On attend de voir venir des temps nouveaux, des temps où travail et joie ne sont pas des choses opposées. On assiste à trop de souffrance dans le travail. Dans notre troupe, c’est très joyeux ET très profond en même temps. Les 40 actrices et acteurs sont des gens qui ont des activités à côté, et qui prennent toutes les semaines deux fois quatre heures de leur temps (en prenant sur leurs congés, par exemple) pour venir en des résidence et pour avancer. C’est un travail de création commune qui demande de l’investissement.

On ne peut pas aller voir un spectacle au cirque Romanès par hasard. Il s’y trouve une humanité, une simplicité et une ouverture d’esprit peu communes…

Chez Romanès, on s’est trouvé.e.s comme à la maison. J’avais déjà joué chez lui il y a longtemps. Je me disais, quitte à jouer à Paris, autant trouver un lieu qui nous ressemble. On avait passé notre temps à travailler dehors, on répète dans les champs. Se retrouver chez Romanès, c’est comme se retrouver chez soi: c’est un chapiteau.

Romanès nous a reçus comme des rois, avec un prix défiant toute concurrence dans une ville comme Paris. Il y a des gens qui nous ont ouvert leur caravane pour faire des pâtes, etc. C’est ce qu’on a vécu pendant trois jours: c’était magnifique!

Dans notre troupe, on a un chanteur qui s’appelle Alain, et dont le frère s’appelle Francis. Dans le village, son fils de 35 ans possède une entreprise de transport. C’est lui, qui nous a donné 6000 € pour payer le transport des 54 personnes. Heureusement qu’il y a des gens qui croient à notre folie, qui disent «Moi, je te les donne les 6 000 €, et après tu te démerdes.»

Est ce qu’on peut résumer la création, l’énergie créatrice à la folie?

Je suis une vieille catholique homosexuelle ui croit à la force poétique. Quand le père Romanès a vu notre spectacle, il nous a dit qu’il y avait de la poésie dedans. C’est ça qui nous tient. Ce n’est pas l’argent, on n’en a pas. C’est la poésie. Les gens sont ressortis en nous en disant «On a repompé de l’énergie dans ce que vous faites.»

Sur quoi travaillez-vous en ce moment?

Sur Tout n’est pas foutu, on est vivant, un spectacle qui se joue sur les marchés du Lot-et-Garonne. On a aussi passé commande d’un opéra qui va s’appeler l’Opéra des pauvres, qui se jouera en 2025. C’est un grand auteur de théâtre, Michel Azama, qui va travailler avec nous. En ce moment, on prépare ce grand moment convivial et culturel Nous fêterons le retour des papillons, qui se tient du 15 au 18 juin.

Quelque chose à ajouter?

Je ne dis pas qu’on va changer la face du monde, ce serait prétentieux. Mais si ne serait-ce qu’un instant, je tiens beaucoup à la joie, si tous les gens qui bossent retrouvaient dans leur travail la joie qu’on éprouve, nous, de travailler ensemble… ce serait formidable.

C’est une petite micro-entreprise dans laquelle on est quarante-cinq à travailler dans le respect commun des un.e.s et des autres. Cela a donné trois ans de travail sans engueulades, de la volonté, dont celle de répondre à la question: Qu’est ce qu’on est capable de créer ensemble? Voilà ce que j’ai à en dire. Je crois qu’il existe des possibles, et qu’il faut les saisir. Il faut le faire, vraiment.

Propos recueillis par Claudine Cordani

En savoir plus
Pour voir le film réalisé par Catherine Filliol, pendant la création de J’ai rêvé la révolution, c’est par ici

Découvrez le programme des quatre journées dédiés «Nous fêterons le retour des papillons»