← Retour Publié le

À LA PAGE Premier Sang

En 2021, la romancière belge Amélie Nothomb sortait son 32e ouvrage, Premier Sang, qui rend hommage à son père mort l’année précédente, le diplomate Patrick Nothomb. Aussi drôle qu’émouvant, le livre qui a obtenu depuis le prix Renaudot parle de vie et de mort, d’amour filial, et raconte le manque.

Parmi les autrices que le monde littéraire attend avec une impatience non dissimulée, il se trouve Amélie Nothomb. Avec une cadence de métronome, la romancière belge offre régulièrement et depuis trente ans un nouveau titre, se définissant elle-même comme «une graphomane malade de l’écriture». L’histoire a commencé en 1992 avec le roman qui l’a révélée au public, Hygiène de l’assassin, écrit lorsqu’elle avait 17 ans.
Dans Premier Sang on découvre un jeune homme de 28 ans face à un peloton d’exécution. Se sachant condamné à mourir, il confie: «On me conduit devant le peloton d’exécution. Le temps s’étire, chaque seconde dure un siècle de plus que la précédente. J’ai vingt-huit ans. En face de moi, la mort a le visage de douze exécutants. L’usage veut que parmi les armes distribuées l’une soit chargée à blanc. Ainsi, chacun peut se croire innocent du meurtre qui va être perpétré. Je doute que cette tradition ait été respectée aujourd’hui. Aucun de ces hommes ne semble avoir besoin d’une possibilité d’innocence. La seule chose que je ressens est une révolution extraordinaire: je suis vivant.»
Vivant il le restera puisqu’il est épargné, comme une prophétie formulée et entendue. Entre-temps, le jeune homme voit son quart de siècle défiler depuis sa naissance. C’est son récit que nous livre le roman d’Amélie Nothomb, dans lequel elle évoque tour à tour le manque du père, décédé quand il avait 8 ans, et le manque d’amour de la mère.

«L’idée qu’il lui faille remplacer son amour pour son époux par l’amour d’un enfant l’indignait»

Au fil de la lecture, on tombe tout à coup sur ces phrases: «A ma naissance, pourtant, elle m’avait aimé. Son premier enfant était un garçon: on l’avait félicitée. A présent, elle savait que je n’étais pas son premier mais son unique enfant. L’idée qu’il lui faille remplacer son amour pour son époux par l’amour d’un enfant l’indignait. Personne, bien sûr, ne le lui avait proposé en ces termes. C’est ainsi cependant qu’elle l’entendit.» Un manque d’amour qui amène à faire un parallèle avec une éducation aristocratique effectuée par ses grands-parents maternels, qui le jugent trop gentil et trop fragile, et qui l’envoient chez son grand-père paternel, un noble poète rêveur excentrique qui répond au patronyme de Nothomb. Car, oui, ce jeune homme de 28 ans, qui narre ses truculents souvenirs d’enfance, est un Nothomb lui aussi. Il n’est autre que Patrick, le père de l’autrice. Un homme qui a eu le mérite de survivre face aux méthodes d’éducation «originales» de son grand-père: «Le droit d’aînesse se traduisait chez les Nothomb d’une manière alimentaire: plus on était âgé, plus on pouvait espérer manger. Quand les plats arrivèrent à Charles et moi, ils étaient vides.»

Au moment où elle écrit Premier Sang, c’est une Amélie Nothomb en deuil qui prend la plume. Elle vient de perdre son père. Le contexte est douloureux et se déroule en plein confinement. Car Amélie, qui se trouve à Paris, ne pourra pas dire au revoir à son père ni lui rendre un dernier hommage.
De cette situation, l’autrice aurait pu tirer un roman empli de bons sentiments, une autofiction au nombrilisme exacerbé qui aurait tiré les larmes de son lectorat. Au lieu d’un déballage émotionnel, Amélie Nothomb a préféré un hommage tout en douceur, et avec l’humour particulier qui la caractérise. En se glissant dans la peau de son père défunt, elle le ressuscite le temps d’un livre, lui rendant un ultime et bien bel hommage composé de mots qui se livrent.
Corinne Gili

Premier Sang d’Amélie Nothomb (éd. Albin Michel, 2021),180 pages, 17,90€.
@quatriemedecouverture

Sur l’autrice

Amélie Nothomb est née au Japon en 1967. En trente ans de carrière, elle a été récompensée, notamment, par le Grand Prix du roman de l’Académie française 1999, le Grand Prix Jean Giono pour l’ensemble de son œuvre 2008, le prix de Flore 2007, le Choix Goncourt de l’Autriche 2020, le prix Renaudot 2021,… Sans parler de son pays, la Belgique, qui l’a élue à l’Académie royale de langue et de littérature française.