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AU PAYS DU HANDI «Mais je n’en avais que pour deux minutes!»

Evoquer en famille ou entre ami.e.s la situation des personnes non valides et leurs difficultés à vivre dans une société qui ne leur est pas adaptée, c’est bien. Se comporter en personne responsable et civilisée, c’est mieux. Petit rappel de citoyenneté.
Une partie des trottoirs a récemment été refaite près de chez moi. Si vous êtes valide, cela peut vous sembler anodin. Pour moi qui suis en fauteuil roulant, c’est une petite révolution. Auparavant, à cause de ces trottoirs défoncés et trop étroits, j’étais contrainte de descendre sur la route pour circuler –me mettant ainsi en danger. C’était d’autant plus problématique que je me déplace régulièrement avec ma fillette de 2 ans assise entre mes pieds… Mais pas question d’aller sur la route avec elle! Mon mari et moi devions la faire descendre du fauteuil afin qu’elle continue son chemin sur le trottoir, tandis que je poursuivais le mien sur la chaussée.
Il y a quelques jours, nous décidons d’emprunter ce trottoir en famille pour aller faire des courses, en nous réjouissant de cette toute nouvelle facilité de déplacement. Nous avons vite déchanté: au bout de 200 mètres, nous trouvons une première voiture garée sur le trottoir. Mon cœur se serre. Nous faisons descendre notre petite fille du fauteuil malgré ses protestations, et je vais sur la route pour contourner le véhicule. A ce moment-là, la conductrice arrive. Je lui fais remarquer qu’elle est mal garée, que son attitude est gênante et qu’elle met en danger les personnes en fauteuil. S’ensuit, comme souvent, tout un laïus commençant par: «J’en ai bien conscience, mais…»
Oui, cette dame savait parfaitement qu’elle allait gêner en se garant ainsi. Peut-être même avait-elle pensé qu’une personne en fauteuil ne pourrait pas passer… mais elle s’est quand même garée sur le trottoir. Pourtant, des places de parking étaient disponibles 50 mètres plus loin. Mais pourquoi cette dame a-t-elle agi ainsi?!

Un égoïsme qui coûte cher aux personnes en fauteuil roulant, entre fatigue et renonciation

Ce phénomène, nous le constatons régulièrement: en théorie, la plupart des gens désapprouvent le fait de se garer sur le trottoir ou sur une place pour handicapé.e, d’emprunter les toilettes ou les ascenseurs pour PMR (personnes à mobilité réduite), trouvant cela irrespectueux. Ces mêmes personnes sont aussi les premières à s’insurger contre ce genre de comportements (peut-être est-ce aussi votre cas, peut-être désapprouvez-vous fortement cette dame). Et pourtant elles sont aussi les premières à se trouver des excuses lorsqu’elles font de même: «Mais je n’en avais que pour deux minutes!», «Mais il n’y a pas de place, je pensais que ça passerait», «Mais il y avait peu de chances pour qu’un.e handicapé.e passe par là!», «Mais je suis pressé.e», «Mais, mais, mais…» (peut-être vous reconnaissez-vous également dans ce portrait, chère lectrice ou cher lecteur, si vous êtes tout à fait honnête).
Bien évidemment, nous avons tendance à être plus indulgent.e.s vis-à-vis de nous-mêmes que vis-à-vis des autres. C’est ainsi que se crée cette dichotomie entre la théorie, ce que nous prônons, et la pratique, ce que nous faisons réellement.
Concrètement, les effets de cette complaisance affichée pour les personnes en fauteuil mais non respectée au quotidien, cela signifie pour nous devoir descendre du trottoir, passer sur la route, rebrousser chemin sur plusieurs centaines de mètres pour trouver un bateau, perdre de précieuses minutes pour se faufiler entre une voiture et un mur… Sur un trajet d’un kilomètre, dites-vous que ça nous arrive quatre ou cinq fois… au bas mot. Et même lorsque les conséquences ne sont pas dramatiques, même si nous sortons indemnes la plupart du temps de ce bout de chemin effectué sur la chaussée, notre agacement, notre fatigue et notre lassitude sont tellement immenses que la perspective même de circuler en extérieur peut s’avérer décourageante.
Nous, personnes handicapées, avons un besoin urgent que se rejoignent la théorie et la pratique –pour que vos deux minutes de gagnées ne signifient pas notre disparition de l’espace public.
Sushina Lagouje