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JOURNALISME Mediavivant met l’info en scène à Marseille

C’est à Marseille que le concept de Mediavivant est né. Dans la deuxième ville la plus peuplée de France, le journaliste Jean-Baptiste Mouttet s’est donné pour objectifs de redonner une légitimité d’accès à l’information à tout le monde, d’inclure et de faire participer le lectorat en lui montrant comment il est possible d’informer d’une autre façon. «Conscientiser l’information», tel est le credo du Mediaviant, un support inédit en France. Et indépendant.

Jean-Baptiste Mouttet, vous êtes journaliste et c’est vous qui avez lancé le Mediavivant

Je suis journaliste de formation. J’ai été correspondant au Venezuela pendant deux, trois ans, et j’ai continué de suivre l’actualité en Amérique du Sud, notamment pour Mediapart. Je retourne régulièrement au Venezuela. J’ai été journaliste indépendant à la pige pour des faits de société en plus de l’international.

Puis je me suis posé la question de comment informer les personnes qui ne se sentent pas légitime de lire un quotidien international. C’est là qu’est venue l’idée de Mediavivant.

Vous proposez un format d’information hybride entre images, récits et témoignages en présence de protagonistes que vous nommez «articles en direct»…

Ce sont des articles sur scène, ou articles vivants. C’est la colonne vertébrale de Mediavivant. L’idée, c’est de donner ces articles sur scène pour faire prendre conscience de l’ampleur d’une information et la faire passer autrement.

Ce ne sont pas des making off, ce ne sont pas non plus des articles joués. On raconte son article sur scène mais, surtout, on fait intervenir les protagonistes du sujet en les interrogeant face au public, et cela apporte aussi une contradiction. L’idée est de «le voir pour le croire». On va encore plus loin dans l’information, on va sur les terrains qui intéressent les gens, les terrains que nous, en tant que journalistes, on n’a pas eu le temps ni le nez de fouiller.

Quand ce que dit une des personnes génère une émotion ou qu’elle raconte elle-même son histoire, comme ces mères qui ont perdu un enfant a cause des trafics de drogue, on mesure l’ampleur d’un tel évènement. On comprend comment ça a bouleversé la vie des gens. C’est là toute la force de Mediavivant. C’est filmé puis c’est publié sur notre site, où on tente d’aller plus loin que ce qui s’est dit sur scène. Il y a aussi nos podcast sur Spotify ou sur Deezer, dans lesquels on peut retrouver l’intégralité des enquêtes. Egalement la chaîne YouTube, dont le contenu est intégré sur notre site.

Après les enquêtes sur scène, Il y a un second temps: les journalistes et les intervenant.e.s échangent avec le public. Ce n’est pas un débat car le public pose ses questions. Cette seconde partie, qui n’est pas très animée, n’existe pas encore sous forme de vidéo ou de podcast.

Cette démarche vous permet d’informer, de montrer des protagonistes et la véracité des sources pour revenir à une confiance des citoyen.ne.s envers la fabrique et la délivrance de l’info, c’est innovant…

Oui c’est innovant, car la scène est de plus en plus utilisée, que ce soit par des comédien.ne.s qui veulent faire du journalisme ou des journalistes qui veulent monter sur scène. On peut parler de pièces de théâtre documentaires ou de conférences gesticulées.

Faire intervenir des protagonistes sur scène fait primer l’information sur le journalisme «star». Par les témoins, on prend davantage conscience de l’info, et ça la concrétise. En plus, il y a des émotions qui passent: énervement, colère, tristesse… Ainsi, l’actualité n’est plus quelque chose de froid mais reprend de la vie. Ce n’est pas comme lire un article, c’est quelque chose qu’on se prend en pleine figure. Nous, on s’adresse directement au public.

Il y a beaucoup de médias dont l’objectif est de révéler une information. Je pense que la première mission qu’accomplit Mediavivant est de conscientiser l’information. Des fois il y a des articles, par exemple sur le trafic de drogue et les parents qui perdent des enfants dans des règlements de compte, où on ne révèle aucune information supplémentaire. Mais entendre les mères dire qu’elles sont isolées, qu’elles ne disposent d’aucune aide, et les laisser dérouler leur quotidien nous permet de prendre conscience de l’impact d’un tel décès dans une famille. C’est là où je pense qu’on a une mission de conscientisation. En cela, Mediavivant est un pari réussi.

Vous êtes basé à Marseille. Sur votre site, on peut lire que Mediavivant fait le choix de décentraliser le débat parisien. C'est-à-dire?

Les rédactions nationales sont presque exclusivement basées à Paris. Dans un état centralisé comme le nôtre, les pouvoirs économique et politique sont installés dans la capitale. Cela a des conséquences sur le traitement de l’actualité.

Je reste toujours étonné de voir ou d'entendre les infos ouvrir sur la grève à la RATP, sur la canicule seulement quand elle gagne Paris,… S'établir dans une autre ville de France et traiter de l’actualité nationale et internationale permet de décaler le regard, trouver des sujets originaux, se confronter à d'autres réalités. Sociales, par exemple. Les sujets traités par Mediavivant ont tous vocation à être diffusés à un niveau national. La disparition du service public (l’enquête sur scène La Poste), le manque de salle de shoot [sujet en trois volets à retrouver sur leur site, NDLR], les proches de victimes sont des sujets nationaux vus depuis Marseille.

A nous aussi de de ne pas nous laisser enfermer dans les murs de l'ancienne cité phocéenne. C'est toute l'ambition de notre campagne de financement: nous donner les moyens d'enquêter plus loin, et de livrer des enquêtes sur scène au-delà de Marseille.

L’un des derniers sujets que Mediavivant a traités porte sur les salles de shoot à Marseille…

C’était dans le cadre d’un partenariat avec le média en ligne indépendant Marsactu. Le constat est que, dans les années 1970-80, la ville avait mené sur la drogue toute une politique de sensibilisation et d’aide. Pourtant, elle reste en retard sur la question des salles de shoot…

Finalement, on donne très peu la parole aux usagers de drogue, et l’idée est de savoir ce qu’elles et ils en pensent. D’où notre démarche de les faire monter sur scène pour raconter leur vécu, leurs besoins et les risques qu’ils prennent. Ça fait prendre conscience du besoin sanitaire, moral et éthique des salles de shoot dans la ville.

Quand et comment Mediavivant est-il né?

Je traitais beaucoup du Venezuela. Le contexte politique était tendu, il y avait de grosses manifestations. Et puis, je n’ai plus eu envie d’y aller.

J’avais toujours cette question en tête: «comment apporter l’information au plus grand nombre». C’est là que Mediavivant est né. Puis ça a pris de l’ampleur quand des personnes comme Alix de Crécy, la co-fondatrice, et Daphné Gastaldi, journaliste, m’ont rejoint. Le Mediavivant, ce n’est plus seulement moi. C’est chouette, il y a un collectif derrière qui s’investit et modèle Mediavivant selon ses envies et ses compétences.

A quel moment vous êtes-vous dit «j’arrête le Venezuela »?

2021 a été l’année de transition. On a fondé l’association en juin, mais on n’a donné notre première soirée de lancement qu’en novembre 2022. Le «vrai» lancement a eu lieu cette soirée de novembre 2022. C’est là que l’équipe s’est constituée. Avant, c’était des tests.

Quelle est l’évolution en terme de fréquentation?

Récemment, on a rempli la salle avec deux enquêtes. La jauge du lieu est de 120 personnes. Ce qui est intéressant, c’est de voir c’est que les gens reviennent, environ un tiers à la louche. Et ça mélange le public, entre les personnes qui ne sont jamais venues et les autres. Les premières enquêtes sur scène c’était dans une ambiance très bobo. Là, on arrive à un public de plus en plus mixte, donc c’est chouette.

Dans le sujet Marseille, 1943: autopsie d’un crime contre les quartiers populaires, on voit un public composé d’hommes, de femmes et d’enfants. Beaucoup viennent en famille?

Il y a des enfants qui venaient voir le témoignage de leurs grands-pères. Il y a très peu d’enfants, mais ça dépend des sujets. Sur les sujets touchant aux trafic de drogues ou aux salles de shoot, c’est un peu plus difficile. On ne le conçoit pas pour les enfants, mais ils sont les bienvenus.

Mes enfants ont assisté à une enquête sur scène, sur la disparition de La Poste comme service public. On s’adresse à tout le monde de façon simple. On montre aussi et via un écran d’où viennent nos sources d’information. Ça peut être une photo d’archive, ou une image du reportage qu’on a réalisé. Le public est embarqué avec nous dans le reportage et emprunte lui-même le chemin que le journaliste a pris.

Le texte sur l’origine du projet démarre par «comment amener les lecteurs à choisir une information vérifiée plutôt que de se laisser bercer par les sirènes de la communication». Je rappelle la base-line de votre média:«ce sont les faits qui font une information et non les opinions»...

Une information doit être hiérarchisée, c’est la base du travail. Je pense que la scène nous oblige davantage à mener ce travail, car on rend compte tout de suite du résultat au public. On se doit d’être sérieux dans l’information qu’on diffuse. Quand on dit «ce sont les faits qui font une information et non les opinions», il y a un clin d’œil aux éditorialistes professionnel.le.s qu’on voit se multiplier sur les plateaux télé.

Mais les faits ce sont surtout ces témoins qui viennent sur scène et qui racontent ce qu’ils ont vécu. Les faits se déroulent aussi sur la scène.

Est-ce que le concept de Mediavivant se situe dans la lignée du concept du spectacle vivant de l’info, émergé dans les années 1990?

Non, j’ai car j’ai peu de culture du spectacle vivant, je ne viens pas de ce monde. Je l’ai même découvert une fois que j’avais mon idée et que je me renseignais sur ce qui avait été fait ou pas dans le monde du théâtre. Il y a quelque chose du théâtre de rue, improvisé, ou de la relation avec le public.

A Mediavivant, on n’a pas l’ambition d’être des comédien.ne.s, nous sommes des journalistes professionnel.le.s. L’information donnée est irréprochable, et on n’est pas là pour jouer l’information ou quelque chose sur scène. C’est là où notre chemin se sépare parfois avec le monde du théâtre. Pour moi, tout le monde peut devenir journaliste. Cela reste à la portée de toutes et de tous, mais ça ne s’improvise pas: il y a des outils à maîtriser..

L’entrée est accessible pour 1€. Est-ce que cela permet la venue des habitant.e.s issu.e.s de quartiers populaires?

Le prix d’entrée est libre et est de 1€ a minima. C’est justement pour permettre à toutes les classes sociales de venir. On doit faire un effort supplémentaire, car des gens n’ont pas forcément l’information qu’une enquête sur scène se déroule. Et puis, ils ne se sentent pas forcément légitimes de venir. C’est pour ça qu’on développe l’éducation populaire aux médias, en essayant de trouver plusieurs formes éducatives pour attirer cette population vers l’information.

Combien êtes-vous de journalistes dans l’équipe?

A peu près trois. On fait intervenir beaucoup de pigistes, donc c’est difficile de dire combien on est exactement. Mon souhait est qu’on soit trois journalistes permanent.e.s et à plein temps l’an prochain.

Les dons que vous recevez et les formations que vous dispensez suffisent-elles à financer le Mediavivant ?

Pour le moment, on s’est lancé grâce a des apports personnels et à des aides. L’idée est qu’on parvienne à dépasser les financements internes et externes par des dons. Là, on lance les campagnes de financement. C’est là que tout va se jouer: on va voir si on gagne notre indépendance. L’objectif est de dépendre uniquement des dons et des entrées lors des enquêtes sur scène. De vivre grâce à nos propres moyens.

Qui a fait votre bande-son?

Celle qu’on entend sur le site quand on va cliquer sur les sujets s’appelle What’s Upon a Time. C’est une musique libre de droit dont je ne connais pas l’origine.

Propos recueillis par Claudine Cordani

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