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LE SUJET DU MOIS Le droit de mourir dans la dignité

La légalisation de l’euthanasie se pratique dans quelques pays, dont le Portugal qui a adopté le 12 mai 2023 une loi pour la dépénaliser. On s’est penché sur les résistances qui, en France, empêchent les personnes qui le souhaitent de mourir dans un cadre défini, selon leur volonté et avec respect. Entretien avec Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).

Jonathan Denis, vous êtes le président de l’ADMD. Pouvez-nous nous expliquer la différence entre soins palliatifs, suicide assisté et euthanasie?

Ces choses différentes ne sont pas incompatibles. Les soins palliatifs en France sont régis par la loi de 1999 qui institue leur accès universel. Ce sont des soins visant à soulager la souffrance physique et psychique, on parle aussi de souffrance spirituelle dans le cadre des soins palliatifs. Il se dit souvent qu’on se tourne vers les soins palliatifs quand il n’y a plus rien à faire. Ce n’est pas vrai, ils peuvent accompagner de façon précoce toute personne, mais généralement celles qui ont une maladie grave et incurable avec un pronostic vital engagé. Ça, ce sont des soins palliatifs qu’on retrouve dans le domaine médical. Il n’y a pas que des unités de soins palliatifs pour les cas les plus complexes, il se pratique aussi des soins dispensés par des équipes mobiles présentes dans les services hospitaliers.
L’aide active à mourir comprend l’euthanasie et le suicide assisté. C’est un geste létal qui permet, à la demande de la patiente ou du patient, de décéder dans un cadre clairement défini. Pour l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, c’est être atteint à un stade avancé ou terminal d’une affection, quelle qu’en soit la cause, grave et incurable ou à tendance invalidante, et qui génère des souffrances psychiques ou physiques inapaisables, insupportables –même si le diagnostic de décès n’est pas engagé à brève échéance.
Dans tous les pays qui ont légalisé l’euthanasie, c’est un médecin qui va pratiquer le geste létal. Dans le cadre du suicide assisté, c’est la personne qui va s’administrer elle-même le produit. Généralement, il se présente sous la forme d’une solution buvable ou d’un robinet de perfusion que la personne va tourner.
La différence entre euthanasie et suicide assisté est conditionnée par qui va faire le geste. Mais c’est toujours à la demande du patient, dans le cadre d’une demande libre, éclairée et réitérée quand il n’y a plus d’issue possible. Puisque c’est le patient qui demande, le médecin consent, mais il faut qu’il y ait cette co-construction entre les deux pour arriver à la certitude qu’il ne se trouve pas d’autre solution.

Que préconise l’ADMD pour améliorer les soins palliatifs?

Il y a plusieurs choses. Pour faire bref, il n’y a pas assez d’unités de soins palliatifs en France. Il y a une vraie inégalité territoriale: aujourd’hui, 21 départements français (dont l’outre-mer) ne possèdent pas d’unité de soins palliatifs. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de soins palliatifs dans ces départements, ils ont des lits identifiés. Généralement, ils sont même mieux dotés que la moyenne nationale. Mais il n’y a pas d’unité pour les cas les plus complexes. Donc, il faut développer sur le territoire ces unités de soins palliatifs ET faire infuser la culture palliative. C’est ce qu’ont fait de nombreux pays voisins au niveau européen, c’est-à-dire pouvoir parler des soins palliatifs à tout stade et inclure tout le monde dont les médecins généralistes. Pour ça, il faut former, et renforcer les équipes mobiles de soins palliatifs ainsi que du côté pédiatrique. On n’en parle pratiquement jamais, mais il y a en France une vraie carence dans les soins palliatifs pédiatriques. Il faut également informer les citoyen.ne.s sur ce que sont véritablement ces soins, développer l’information et la transmettre sur le territoire pour que ça puisse coller au mieux aux demandes et à l’accompagnement nécessaire. Pour des soins palliatifs partout et pour tout le monde. Ça ne veut pas dire que chaque personne demandera à en bénéficier. Bien sûr, il n’y a pas d’obligation à entrer dans les soins palliatifs –mais il faut au moins que cette possibilité existe.

L’euthanasie que vous défendez concerne-t-elle uniquement les personnes malades de façon incurable? Quid des mineur.e.s, des personnes ne pouvant plus exprimer ni manifester leur volonté?

La proposition de loi votée en 2018 par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, est une proposition de loi plébiscitée par 80% de nos adhérent.e.s [au nombre d’environ 77 000, NDLR], qui dit une chose simple: «toute personne capable atteindre d’au moins une affaire de réaction pathologique ou accidentelle avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante, même en l’absence de diagnostics de décès à brève échéance, lui infligeant des souffrances physiques ou psychiques insupportables qu’elle juge inapaisables, peut demander à bénéficier d’une aide active à mourir».
Quand je parle des personnes capables, ça exclut de fait les mineur.e.s, hormis celles et ceux qui sont émancipé.e.s. A ce sujet, j’ai donné mon avis devant la Convention citoyenne. Je pense qu’il faut réfléchir au cas des mineur.e.s. La Belgique a mis du temps à le faire. Les Pays-Bas mettent du temps également, et viennent encore de réfléchir il y a quelques jours sur la question des mineur.e.s de moins de 12 ans. Mais je ne comprendrai pas qu’on puisse dire que la souffrance d’un mineur de 17 ans ne peut pas être accompagnée et soulagée de la même manière qu’une personne qui a 18 ans, par exemple. Maintenant, je sais que parler des mineur.e.s peut aussi brusquer certaines personnes. De fait, c’est la ligne jaune qui a été définie par le président de la République: il n’y aura pas les mineur.e.s dans le projet de loi. Mais, comme à l’étranger, je pense qu’on y réfléchira très vite.
Ensuite, la question des personnes qui ne peuvent plus faire valoir leur volonté amène à une loi qui existe déjà sur les directives anticipées. Cette année, la majorité des directives anticipées, elles ont 18 ans en 2023. Ça veut dire qu’il faut inciter et accompagner les Français.e.s à rédiger des directives anticipées, à désigner des personnes de confiance. Aujourd’hui, on a à peine 8% des Français.e.s qui auraient rédigé leurs directives. Je dis bien «auraient» puisque, après tout, il n’existe pas de fichier national les recensant. On peut les indiquer dans Mon espace Santé, mais il y a très peu de Français.e.s qui ont déjà ouvert leur espace.

A l’ADMD, nous gérons un fichier national constitué de plus de 60000 directives anticipées, d’adhérent.e.s et de non adhérent.e.s. Cela signifie qu’il est important d’inciter, pourquoi pas, à des consultations d’anticipation avec des médecins généralistes pour accompagner sur «comment rédiger des directives anticipées» et surtout «comment les faire respecter si elles ont besoin d’être mises en avant» –puisque c’est le seul document qui permet de dire aujourd’hui ce qu’on souhaite ou ce qu’on ne souhaite pas, si on se trouve dans l’incapacité de s’exprimer dans le cadre d’un accompagnement en fin de vie.

À ce sujet, une étude BVA récente révèle que seulement 11% des Français.e.s s’opposeraient à la légalisation de l’euthanasie. La proportion est faible. D’après vous, pourquoi la France n’y adhère toujours pas?

Depuis des dizaines et des dizaines d’années, les résultats restent les mêmes: 8 à 9 Français.e.s sur dix se déclarent favorables à la création d’une loi. Il faut bien comprendre que c’est une loi de libre choix. On est vraiment sur une question de liberté, c’est-à-dire une loi qui ne s’impose à personne, y compris aux soignant.e.s qui ne souhaiteraient pas pratiquer une aide active à mourir. C’est pour ça que je souhaite qu’il y ait une clause de conscience prévue pour ces soignant.e.s dans la loi. Y compris une pour les personnes qui ne souhaitent pas, pour des convictions personnelles (philosophiques, religieuses, éthiques,… peu importe), bénéficier d’une aide active à mourir. Ça explique aussi pourquoi on n’a pas réussi à avancer sur ce sujet. Il y a déjà, je pense, un renoncement politique. Il existe un vrai décalage entre les représentant.e.s politiques et les citoyen.ne.s sur ce sujet. Et ce décalage, c’est la loi de 2016 dite Claeys-Leonetti. Cette loi est un engagement de François Hollande, alors président de la République, de faire voter une loi légalisant l’aide active à mourir. Finalement, ça a donné une loi qui ne légalise pas l’aide active à mourir. Le renoncement politique, on l’a vécu il y a aussi deux ans avec la proposition de loi d’Olivier Fajorani, dans le cadre d’une niche parlementaire. Il y avait vingt-quatre heures pour l’étudier, et 80 % des député.e.s ont voté en faveur de cette proposition, tout du moins de l’article 1, parce qu’il n’y a pas eu le temps pour le reste… député.e.s qui ont demandé au Premier ministre de remettre le sujet sur la table. Ça n’a pas été fait. Ce renoncement politique, donc, on le vit depuis très longtemps.
Ensuite, il y a un poids religieux, il ne faut pas se mentir. Il y a un vrai poids religieux en France. Mais ce poids religieux, il existe également dans d’autres pays. Je pense à l’Espagne, à l’Italie, qui ont pourtant avancé sur le sujet. Il faut qu’on comprenne que c’est une loi laïque, et que les religions ont le droit d’exprimer leur avis, mais dans le respect de toutes les consciences. Ce que fera cette loi, elle respectera absolument toutes les consciences.
Il y a aussi une question médicale. Aujourd’hui, quand on nous dit que la majorité des soignants serait défavorable, ce n’est pas vrai. Cette loi concernera une minorité de Français.e.s qui sera accompagnée par une minorité de soignant.e.s. C’est un fait, c’est ce qui se passe à l’étranger. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on leur dit à ces soignant.e.s? Et à ces Français.e.s, que dit-on? D’aller ailleurs? Non. Je ne souhaite pas que ce soit ça.
Cette loi en est une qui protégera les soigné.e.s et les soignant.e.s. Et puis, il ne faut pas se mentir, il se pratique plusieurs euthanasies clandestines chaque année en France. On traîne les soignant.e.s devant les tribunaux et puis, finalement, elles ou ils bénéficient d’un non-lieu.

En France, qui est contre une fin de vie digne et pour quelles raisons?

J’ai horreur des généralités. Donc, je ne peux pas dire que les opposant.e.s à une aide à mourir le sont pour une question religieuse. Même si, effectivement, il faut reconnaître que c’est très souvent la question de la religion qui est mise en avant. Et François Bayrou, qui a encore donné une interview sur le sujet hier, parle de religion. La bonne nouvelle, c’est que si une loi existe, on respectera évidemment les convictions religieuses. Et puis, on peut changer d’avis aussi. Je me souviens de Paulette Guinchard, ministre aux Personnes âgées socialistes, qui avait signé toutes les tribunes contre l’aide active à mourir et qui…, quand elle s’est retrouvée confrontée à une maladie incurable et des souffrances inapaisables, est partie en Suisse pour bénéficier d’un suicide assisté. Paulette Guinchard avait souhaité rendre public ce geste pour faire avancer le combat et ouvrir le champ des possibles. Ce n’est pas condamner d’avance que de devoir faire un choix, c’est juste s’assurer qu’on sera accompagné.e comme on le souhaite le jour où…
Sur la religion, il ne faut pas se mentir: évidemment, il y a un poids religieux. Je suis trop jeune pour avoir lutté pour légiférer sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), mais j’ai vu tout ce qui s’est passé. Ce sont les mêmes arguments sur d’autres sujets: sur l’accouchement sans douleur, sur le Pacs, sur le mariage pour tous, sur toutes les questions de société. C’est toujours un effondrement de la société, une rupture anthropologique… Le combat de l’IVG est très proche de celui de l’aide à mourir puisque concernant l’IVG, on fermait également les yeux sur ces Françaises qui partaient à l’étranger voir des faiseuses d’anges [des avorteuses clandestines, NDLR] pour être accompagnée.s, parce qu’on n’était pas capables de le faire suffisamment.

On le voit bien aussi dans l’opposition médicale, quand on nous dit: «Mais l’ordre des médecins est contre». Il faut se rappeler que l’ordre des médecins a été contre tout avant. Maintenant, je fais la différence entre les opposant.e.s qui le sont pour des convictions personnelles ou religieuses extrêmes – pro-vie, ces personnes sont donc contre l’euthanasie, contre l’IVG, et contre la procréation médicalement assistée pour toutes.

Cela coûte de 7000 à 11000€ à une personne vivant en France d’être euthanasiée à l’étranger. Est-ce considéré, de fait, comme une option de confort? Plus clairement, a-t-on le droit de mourir de façon plus douce et dans de meilleures conditions si on en a la possibilité car les moyens financiers?

Il y a une très belle phrase dans Tout s’est bien passé, le film de François Ozon. C’est l’histoire d’une personne qui part en Suisse bénéficier d’un suicide assisté et qui demande à sa très riche fille «Mais comment font les pauvres?», qui lui répond «Ils ne peuvent pas». Cela résume toute l’hypocrisie de notre pays.
Si vous avez les moyens physiques et financiers, vous pouvez partir en Suisse. Cela coûte environ 10 000 € pour bénéficier d’un suicide assisté là-bas. Vous pouvez aussi partir en Belgique. Et si vous êtes transfrontalier avec la Belgique, vous pouvez bénéficier d’une aide active à mourir et vous faire rembourser les soins préparatoires par la Sécurité sociale française, puisque vous vous situez dans ce qu’on appelle les Zoast (zones d’organisation d’accès aux soins transfrontaliers). Ainsi, vous pouvez être suivi.e de façon transfrontalière en Belgique.
Vous évoquiez tout à l’heure les Français.e.s accompagné.e.s dans d’autres pays. Je me suis engagé physiquement dans le combat en accompagnant mon père voilà plusieurs années. Il avait un cancer généralisé, et les souffrances étaient insupportables. Il s’était procuré un médicament qui devait l’aider à partir, en réalisant un suicide assisté interdit en France. Mais le médicament n’a pas eu l’effet escompté: il est tombé dans le coma. C’était un médicament à prendre seul.e, en solution buvable… mais il n’y a pas d’accompagnement. C’est ce qui s’est passé pour mon père. Il a été transporté à l’hôpital, et il a fallu que je connaisse le chef de service qui accepte de le suivre dans le cadre d’une euthanasie clandestine. Parce qu’il connaissait mon père, parce qu’il savait ce qu’il allait faire. Je me suis dit: «Mais dans quel pays je vis pour devoir connaître le bon médecin, ou pour voir mon père s’être procuré cette solution buvable sans être véritablement accompagné?» S’il en avait eu les moyens, il serait parti en Suisse. Si on connaît les bonnes personnes, si on a les moyens financiers ou si on le peut physiquement, on peut partir faire des choses illégales alors qu’on pourrait être accompagné.e.s de la même façon chez nous. C’est toute l’hypocrisie de la loi, et la même que je trouve concernant la sédation.
On n’en a pas encore parlé, mais la sédation profonde et continue, maintenue jusqu’au décès, n’est pas expliquée dans la loi de 2016. On est le seul pays au monde à l’avoir fait, on a légiféré en disant que c’était à brève échéance, à court terme, avec un pronostic vital engagé à court terme. Le court terme, c’est quelques heures, quelques jours. Vous avez des sédations qui durent longtemps. Pour Vincent Humbert, le jeune pompier devenu tétraplégique, la première sédation, c’est à 31 jours. La deuxième, c’est à 9 jours. Il y a des sédations qui s’étalent sur plusieurs jours. On nous explique que l’intention ce n’est pas la mort, mais de soulager les souffrances. Sauf que l’intention d’une aide à qui va mourir est aussi de soulager ses souffrances. Pour moi, c’est d’une grande hypocrisie quand des soignant.e.s expliquent que la sédation ça peut durer plusieurs jours, mais que ce n’est pas leur intention de donner la mort. La médecine se retire donc, alors qu’elle pourrait accompagner rapidement et sans souffrances une personne qui désire mourir, ainsi que ses proches qui attendent et qui voient ce qui se passe lors d’une sédation. Je ne dis pas que la sédation est à jeter à la poubelle, mais je dis qu’on est un peu hypocrites en France.

Quelles sont les disparités des conditions à remplir selon les pays qui autorisent l’euthanasie ?

Il y a plusieurs législations. Que ce soit l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas ou le Luxembourg, tous ces pays ont avancé. On est les derniers à se dire «Oh là là, il faut qu’on se pose des questions!» Pour vous répondre très précisément, en Suisse, c’est le suicide assisté, par exemple. En Belgique, c’est l’euthanasie et le suicide assisté. On parle beaucoup d’euthanasie, mais il y a les deux qui existent en Belgique: il y a aussi la sédation, mais on va dire l’euthanasie. En Espagne, c’est l’euthanasie. Donc, les législations ne diffèrent pas du fait qu’on parle toujours de personnes avec des affections graves et incurables. On parle toujours en l’absence de diagnostics à brève échéance. Et on parle toujours d’un choix libre, éclairé et réitéré. Ce qui va faire la différence, c’est qu’il y a une commission en Espagne qui donne son accord avant la réalisation de l’acte. C’est problématique, car il y a beaucoup de personnes qui décèdent avant de d’avoir obtenu. L’accord est prévu sous trente jours alors qu’on est davantage sur des délais de soixante jours. En Belgique, c’est l’inverse, c’est une commission a posteriori, après l’acte.
Maintenant, l’accompagnement en soi et les règles d’éligibilité, si je peux employer ce mot, et d’accessibilité à une aide active à mourir sont les mêmes partout en Europe.
D’autres systèmes existent. Les Etats-Unis ont légiféré sur le suicide assisté. Selon le modèle de l’Oregon, il faut avoir un pronostic vital engagé à six mois, par exemple. Vous allez dans une pharmacie, et emportez la solution à prendre chez vous. Au Québec, c’est encore différent. Dans les législations européennes, c’est relatif à la certitude qu’il n’y a pas d’autres issues et que c’est un choix sans pression, libre, réfléchi et réitéré. C’est pour ça que je souhaite qu’on ait les deux en France: euthanasie et suicide assisté. Parce que si on ne veut légiférer, par exemple, que sur le suicide assisté, on va exclure de fait des personnes qui ne seraient pas capables de faire le geste. Il faut rappeler que la première personne en Italie qui a été accompagnée dans le cadre d’un suicide assisté, est un tétraplégique qui ne pouvait pas réaliser le geste. Il a fallu qu’il fasse un appel aux dons via une association, les 5000 € récoltés ont permis de construire une machine pouvant déclencher un bras articulé pour réaliser une perfusion. Il y a un moment donné, on ne peut pas se dire «En France, on va faire la même chose.» Il faut bien une alternative au choix des patient.e.s.

Lors de la 9e session de la Convention citoyenne, 76% des personnes ont voté pour le droit de recourir à l’euthanasie. Que veux dire le président quand il parle de modèle «à la française»?

Au total, 76% des participant.e.s souhaitent une ouverture à l’aide à qui va mourir –40% ont parlé d’euthanasie et de suicide assisté au choix du patient, et 30% de suicide assisté et exception d’euthanasie, cette dernière étant réservée aux personnes qui ne pourraient plus faire le geste. Je le rappelle toujours aux ministres. Après, Emmanuel Macron opte pour un modèle à la française. C’est la spécialité de la France de se dire «on va faire un modèle à nous». Moi, je dis «chiche» au président de la République. Je lui avais dit «chiche» pour la convention citoyenne, déjà. Je savais où on allait. Je lui ai dit «chiche» pour le modèle à la française. Si le modèle à la française, c’est de prendre ce qui fonctionne à l’étranger, de regarder ce qui fonctionne moins bien et de se dire «voilà, on aura ce modèle d’accompagnement», ça me va très bien. Pour moi, le modèle à la française c’est de prendre la proposition de loi de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. Là, on aura un vrai modèle à la française.
Le modèle à la française, c’est un «accès universel aux soins palliatifs, légalisation de l’aide active à mourir». Je fais confiance à cette phrase prononcée par Emmanuel Macron en 2022, lorsqu’il a dit à une personne atteinte de la maladie de Charcot et accompagnée dans le cadre d’une euthanasie en Belgique, qu’il souhaiterait que la France s’inspire du modèle belge.

Quel est l’intérêt pour une société d’empêcher les gens qui le souhaitent de mourir?

Je ne vois pas l’intérêt pour une société de refuser de les accompagner. Sauf si c’est une société qui place comme valeur ultime des valeurs qui ne sont pas les miennes, qui ne seraient pas la liberté de conscience, la laïcité, la fraternité, la solidarité, et le respect de l’autodétermination. C’est ce qui fait mon combat, mais pas que le mien. Je pense notamment au pacte progressiste et républicain qu’on a fait avec d’autres structures pour faire évoluer la loi. Selon moi, une société de liberté, d’égalité et de fraternité, c’est une société qui ouvre ce champ des possibles et qui n’interdit pas une loi qui, une nouvelle fois, n’obligera personne. 

Est-il normal de laisser se suicider dans une société de façon spectaculaire et traumatisante pour leur entourage des personnes qui ne veulent plus vivre, que ce soit en famille ou à l’extérieur? Qu’en est-il des personnes qui veulent se suicider de façon douce et préparer cela tranquillement?

La France détient le triste record des pays de l’OCDE dont les personnes âgées se suicident. C’est très souvent de manière violente: par arme à feu, par saut dans le vide,… Ces personnes se suicident tant qu’elles peuvent encore le faire, tant qu’elles ne sont pas dans la phase agonique qu’on peut connaître avec certaines maladies. Ensuite, il faut quand même bien faire une différence dans le combat. C’est pour ça que je rappelais tout à l’heure la proposition de loi de l’ADMD. On est dans quelque chose de cadré, de réfléchi. Il ne s’agit pas d’accorder le suicide assisté a une personne qui souffre, par exemple, d’une peine de cœur. D’ailleurs, ces conditions n’existent nulle part au monde. Je fais donc bien une différence dans le combat que je mène. Mais ce n’est pas parce qu’on légalisera le suicide assisté qu’on ne fera pas de campagne de prévention sur le suicide. Evidemment les choses ne sont pas opposables, mais on reste toujours sur ces conditions d’une affection grave, incurable pour pouvoir bénéficier d’une aide active à mourir.

Il y a une polémique autour des mots, de la sémantique, qui serait un frein à tout ce que nous venons d’évoquer. Le think tank Terra Nova a édité son lexique du Débat sur la fin de vie en 2022. En France, le blocage est-il d’ordre étymologique, comme le prétendait le porte-parole du gouvernement Olivier Véran sur France 2 en novembre dernier?

Je ne suis pas d’accord avec Olivier Véran. En France, on aime se trouver toutes les excuses du monde pour ne pas avancer sur la question. Mais quand on ne nomme pas les choses, ça ne marche pas. Je n’ai pas peur du mot suicide assisté. Je n’ai pas peur du mot euthanasie. Je n’ai pas peur du mot aide active à mourir.

J’entends qu’étymologiquement, cela puisse faire saigner l’oreille quand on parle d’euthanasie. Sauf que l’euthanasie, ça signifie «douce mort» en grec. Alors effectivement, nos opposants aiment bien dire que l’euthanasie ça renvoie à autre chose. Oui, ça renvoie aussi à des heures sombres de l’histoire, mais ça n’a rien à voir dans le combat mené. 

Un lexique était prévu pour mars dernier. Finalement, c’est annoncé pour l’été prochain. Où cela en est-il exactement?

On ne sait pas trop, on ne sait pas trop… La Convention citoyenne, elle, parle d’euthanasie, c’est beaucoup plus clair. Je ne peux pas vous dire où en est ce travail. Je pense que c’est un travail essentiel, effectivement, pour pouvoir accompagner les personnes qui seraient choquées par ces mots. Mais il va falloir sacrément avancer si on veut avoir une loi rapidement, avec des mots clairs et qui conviennent à tout le monde.

Pourquoi avoir chargé quelqu’un de travailler sur ce lexique, sur ces termes, alors que Terra Nova a édité son lexique en novembre 2022 justement? Pourquoi ne pas s’appuyer sur leur travail plutôt que d’en commander un autre qui, en outre, a déjà pris du retard?

Il faudrait poser la question aux ministres qui sont en charge de l’organisation de ce groupe de travail. Je reconnais une chose: on a pris notre temps…
Là, on a pris notre temps pour avancer sur le sujet. Au moins, on aura fait des groupes de travail sur absolument tout: on ne pourra pas dire qu’on n’a pas écouté. Maintenant, si c’est pour tout mettre à la poubelle, il y avait d’autres choses à faire.
Oui, il faudrait peut-être poser la question à Olivier Véran voire à la première ministre sur ce que fait cette commission de réflexion. Pour ma part, je trouve important de mettre des mots sur les maux.
Propos recueillis par Claudine Cordani et Cécile Moine

En savoir plus

Le site de l’ADMD, c’est par ici

Lire un article de Jonathan Denis sur le modèle «à la française».