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LGBTI+ Le dilemme de la virilité côté gay, c’est pas triste

Le youtubeur royaliste, catholique et ultranationaliste Papacito déclarait en 2021: «On m’a beaucoup accusé d’être homophobe et ça me fait mal au cœur, parce que je ne suis pas homophobe. J’aime pas les trucs de pédés, ce qui est très différent.» Cette sortie masculiniste prouve que sexisme rime très souvent avec homophobie. Utilisée pour «détecter» les homosexuels, la virilité a été utilisée aussi par des homos. Tour d’horizon de son impact intracommunautaire.

Selon certaines personnes, l’homosexuel ne serait pas un homme comme les autres. En effet, dès qu’un homme vit en dehors des critères «normaux» de virilité, soit par sa façon de se comporter, soit par ses activités, il est stigmatisé d’emblée et considéré comme un sous-homme. Combien de fois, en annonçant mon homosexualité à une connaissance, j’ai entendu: «Ah oui? on ne dirait pas!» C’était devenu si courant que je n’y portais même plus attention.
Il y a pourtant une présomption d’hétérosexualité, comme il en existe une concernant l’homosexualité. Le souci est que ces suppositions sont fondées dans les deux cas sur des stéréotypes de genre. Pour caricaturer: un homme hétéro serait un homme puissant, musclé, qui fait du foot, du rugby, de la boxe,… tandis qu’un homosexuel serait maniéré et se tournerait vers la danse… [Mais là encore, tout n’est pas simple, comme le rappelle l’excellent film de Stephen Daldry Billy Elliot, sorti en 2000, NDLR.]
Ces stéréotypes sont très souvent fondés sur la virilité, ou plutôt sur le défaut de celle-ci, parce qu’être un homme, c’est surtout ne pas être homosexuel et encore moins efféminé.

Du «gaydar» à l’autocensure, d’un état d’alerte permanent aux injures

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces clichés que l’on associe fréquemment à l’homosexuel type (efféminé, «folle»,…) ne sont pas seulement le fait de personnes homophobes, mais sont véhiculés aussi par certains homos. Ceux-ci avancent le fameux «gaydar», capacité intuitive de quelqu’un à deviner l’orientation sexuelle d’une autre personne, pour repérer toute personne qui ne semble pas hétérosexuel.le en usant plus ou moins des mêmes stéréotypes que ceux sur lesquels les homophobes se fondent quand ils nous agressent.
Le sociologue Didier Eribon évoque dès 1999 dans son ouvrage Réflexions sur la question gay l’omniprésence de «la possibilité d’être l’objet d’[une] agression verbale ou physique». Cette éventualité, les homosexuels la connaissent bien et s’y adaptent, comme l’explique l’auteur et philosophe: «Elle a souvent été déterminante dans la manière dont [les homosexuels] ont construit leur identité personnelle, en développant notamment une capacité à percevoir le danger ou en apprenant à contrôler très strictement leurs gestes et leurs paroles.»
Mais parfois, et malgré toutes les précautions, on en est victime. Didier Eribon avance que l’injure «a pour fonction de produire des effets et notamment d’instituer, ou de perpétuer, la coupure entre les “normaux” et ceux que Goffman appelle les “stigmatisés”, et de faire entrer cette coupure dans la tête des individus». Il y a les hommes et les homosexuels, souvent rangés dans une catégorie floue entre ces mêmes hommes et les femmes. Cet aspect différenciatif existe aussi par les insultes proférées: pédé, enculé, tapette, fiotte, folle, folasse, tarlouze, tafiole,…
Pour le sociologue de l’homosexualité Sébastien Chauvin, «toutes les insultes homophobes ont à l’origine une signification en termes patriarcal et sexiste, dans le sens où elles désignent soit la présence de traits féminins chez un homme, soit une moindre masculinité». Face à cela, certains homosexuels ont voulu s’émanciper de l’image efféminée du gay.

Les homos virils des années 1970, Village People et le rejet de la “folle”
Dans son livre Une histoire sans les hommes est-elle possible?, l’historienne Anne-Marie Sohn revient sur la figure du macho gay des années 1970. Il y avait à cette époque, aux Etats-Unis, le désir pour certains de créer un «nouveau gay», selon un modèle qui se voulait à la fois «mâle et homosexuel».
La figure de l’homo viril impliquait un emprunt de l’habitus ouvrier, popularisé par les «clones» ou «clones du Castro» (du nom du quartier LGBTI+ de San Francisco, en Californie). Anne-Marie Sohn présentait ainsi leur profil, des gays «de moins de 35 ans, majoritairement blancs et bien intégrés à ce que l’on appelait alors le ghetto gay».
Dans Gay Macho: The Life and Death of the Homosexual Clone, l’Américain Martin P. Levine, docteur en sociologie, distinguait plusieurs styles que les clones s’appropriaient souvent, voulant représenter une certaine idée de la virilité: «Comme la plupart des hommes de la classe moyenne avant lui, l’homme homo de la classe moyenne considérait la classe supérieure comme féminisée et efféminée; s’il voulait prouver sa masculinité, il devait adopter la masculinité plus rude et plus grossière du travailleur commun.»
L’image parfaite de ces clones est le groupe Village People, qui a utilisé les icônes de la masculinité qu’étaient l’ouvrier du bâtiment, le policier, le biker, l’Indien ou le cow-boy. Coproducteur du groupe, le producteur de musique français Henri Belolo racontait qu’il voulait «créer un groupe avec tous les stéréotypes du mâle américain».
Encore aujourd’hui, certains homosexuels rejettent la féminité de certains gays, allant parfois jusqu’à la condamner et faisant le jeu des stéréotypes. Plutôt que de combattre ces mêmes stéréotypes qui contribuent évidemment à l’homophobie, ils préfèrent critiquer une certaine catégorie d’homosexuels.

Touche pas à mon homosexualité ou le paradoxe gay
Un exemple frappant est l’ambiguïté de l’ex-chroniqueur de l’émission Touche pas à mon poste! Matthieu Delormeau, qui vient d’annoncer qu’il quittait l’émission. En 2022, face au chroniqueur Gilles Verdez, il assène: «L’homophobie n’est pas une opinion, mais un délit», en réaction à l’affaire Idrissa Gueye, le joueur du PSG qui a séché un match lors de la Journée mondiale de lutte contre les LGBTI+phobies. Toutefois, quelques mois plus tôt, Delormeau disait de la participation de Bilal Hassani à l’émission Danse avec les stars qu’elle allait «créer de l’homophobie» et que la télévision affichait des «gays extrêmement caricaturaux». Et c’est bien là que réside tout le paradoxe de certains gays: il y en aurait de plus acceptables que d’autres. Or rejeter les gays efféminés et maniérés porte un nom, c’est de la follophobie. Un terme qui illustre bien une des façons dont la masculinité toxique peut affecter les membres de la communauté LGBTI+.
Sur l’application de rencontres gays Grindr, il suffit de quelques secondes pour trouver des biographies qui laissent perplexe: «Soyez des hommes un peu», «Je cherche un mec pas efféminé», «Cherche mec mec»… Le problème n’est pas que des personnes aient des fantasmes précis sur des corps précis, mais plutôt l’utilisation de termes péjoratifs pour définir une certaine féminité. Souvent, on retrouve sur ces profils l’inscription «hors milieu», une indication qui signifie que la personne ne veut pas fréquenter la communauté LGBTI+ et ne souhaite pas être associée à ses stéréotypes. Pourtant, ce sont presque toujours les folles et les efféminés qui sont en première ligne de l’homophobie. Ce sont eux qui subissent en premier lieu les regards, les insultes, voire les agressions. Ce manque de respect constitue un rejet total de leur histoire et du combat pour leurs droits mené par les gays qu’ils rejettent.
Vous l’avez compris, la masculinité toxique n’existe pas que chez les hommes hétéros… loin de là. Voilà pourquoi il est temps de briser les diktats de la virilité: car efféminé ou pas, quand on se sent homme, on en est un. Et on ne devrait jamais avoir à se justifier.
Evann Hislers

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L’article paru dans Les Décodeurs (Le Monde) en 2019: «Pourquoi certaines insultes restent homophobes malgré leur banalisation».