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5 RÉPONSES SUR… Julian Assange

«Si un journaliste australien ayant publié en Europe devait être traduit devant un tribunal interne américain en vertu d’une loi interne américaine, quel journaliste dans le monde pourrait publier en toute sécurité des informations déplaisant au gouvernement des USA?»

Le 8 août dernier, Dominique Pradalié, la présidente de la Fédération internationale des journalistes, a pu rendre visite à Julian Assange, incarcéré à Belmarsh (sud-est de Londres) depuis quatre ans. Au total, cela fait treize ans que le fondateur de WikiLeaks est privé de liberté. Dominique Pradalié fait partie de la douzaine de personnes ayant obtenu ce sésame. Pendant une heure et demie, elle s’est entretenue avec le journaliste australien, qui reste combatif: menacé d’extradition vers les Etats-Unis, il risque 175 ans de prison.

Dominique Pradalié, vous êtes journaliste française et présidente de la Fédération internationale des journalistes*. Le 8 août dernier, vous rencontrez Julian Assange dans la prison britannique de Belmarsh, où il est détenu. A quoi pensez-vous au moment où vous le voyez?
Je pense que cet homme est journaliste, détenu politique, sur injonction des Etats-Unis d’Amérique à leur allié britannique. Cette détention est illégale. Aucune incrimination ne lui a été signifiée. Julian Assange a simplement exercé sa profession de journaliste en révélant, notamment, des crimes de guerre de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier, qui ont relayé ses informations, n’ont jamais fait l’objet du moindre démenti. Le journaliste est le seul à être poursuivi. Décrété «homme de l’année» de plusieurs médias, Julian Assange est devenu un paria quand la machine de décrédibilisation US s’est mise en marche. Elle a tout fait pour le broyer. L’administration américaine le poursuit pour «espionnage», avec 17 chefs d’accusation. C’est la première fois que cette loi de 1917 est brandie contre un journaliste, et ce en violation flagrante du premier amendement de la Constitution américaine, qui «interdit au Congrès des Etats-Unis d’adopter des lois limitant la liberté de religion et d’expression, la liberté de la presse ou le droit à “s’assembler pacifiquement”».

Quelle est la première chose que Julian Assange vous dit?
Il me dit qu’il est heureux de me rencontrer. Ce que je prends pour une grande courtoisie. Mais, après les quelque 90 minutes que dureront nos échanges, je serai persuadée qu’il est sincère. Tout récemment il a eu accès à une radio, et il est très réactif à la marche du monde. Julian Assange est conscient des soutiens très importants que lui apportent au quotidien des manifestations pour sa libération. Je lui confirme que pas un jour ne se passe sans que je ne reçoive photos, vidéos, textes, en abondance. Au-delà de la profession, des gouvernements, des chefs d’Etat, de nombreux parlementaires, des artistes et des multitudes de citoyen.ne.s se mobilisent, car il est le garant de leurs droits à être informés de façon honnête, complète et pluraliste.

Privé d’ordinateur, sans accès à Internet, ne pouvant sortir de sa cellule que quatre heures par jour… Que sait-on des conditions de sa détention, subit-il des tortures?
Dès son arrivée à Belmarsh, il a fait l’objet de tortures et de traitements inhumains et dégradants, ainsi que l'a dénoncé en 2020 Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture. Car Julian Assange a été mis à l’isolement et ne bénéficie pas d’une justice équitable, puisqu’on ne lui donne pas les moyens de se défendre correctement. Pas de visites pendant le confinement. Il est maintenant seul dans une très petite cellule disposant d’une étroite fenêtre pourvue de barreaux. Ayant reçu un «équipement» dont les touches étaient collées, il a eu ensuite une «machine» qui ne peut ni enregistrer ni transmettre –une réelle torture supplémentaire. Nous nous battons actuellement pour qu’il puisse disposer d’une machine à écrire!

Hormis la liberté, de quoi d’autre le fondateur de Wikileaks rêve-t-il?
Nous sommes convenus que je ne parlerai que du factuel, et pas des termes de notre entretien. Il faut se rendre compte que sa situation est plus que difficile. Toutes les rétorsions sont possibles. Julian Assange fait confiance à la France, patrie des droits de l’homme.

Ces derniers mois, plusieurs villes du monde ont attribué à Julian Assange la citoyenneté d’honneur. Cela peut-il empêcher l’actuelle menace qui pèse sur lui: son extradition vers les Etats-Unis?
Seule la mobilisation massive des opinions publiques peut aider à sa libération. Cela commence à prendre cette forme un peu partout.
Propos recueillis par Claudine Cordani

* La Fédération internationale des journalistes représente quelque 600 000 journalistes dans plus de 140 pays.