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À LA PAGE Femme! Vie! Liberté!

L’ouvrage de l’anthropologue iranienne Chowra Makaremi est, du début à la fin, un hommage rendu aux victimes de l’automne insurrectionnel de 2022. Femme! Vie! Liberté! se fait l’écho d’un soulèvement révolutionnaire, en remontant l’histoire de la résistance du peuple d’Iran. Présentation.

Dans Femme! Vie! Liberté!, l’autrice Chowra Makaremi relate, sous la forme de chroniques écrites à distance, l’histoire d’une révolte de plus en Iran pour «permettre d’en identifier les genèses multiples, mais aussi de saisir le basculement irréversible qu’elle représente, quel qu’en soit le futur.» Dédicacé «Aux guerrières», l’ouvrage traite du soulèvement du peuple iranien au début de l’automne 2022 après l’assassinat de la jeune Kurde Jina Masha Amini. Jour après jour, du 15 septembre 2022 au 11 février 2023, les pages racontent les événements qui font écho à de multiples séquences de l’histoire iranienne. Parmi eux se trouvent la répression sanglante des années 1980, les bassidjis-enfants, petits soldats de la guerre contre l’Irak, les révoltes étudiantes de 1999, les soulèvements populaires entre 2017 et 2019, suivis de la répression du mouvement vert… Largement documenté par la chercheuse au CNRS, l’ouvrage permet de retracer le soulèvement du peuple d’Iran. Femme! Vie! Liberté! a bénéficié également d’un financement du Conseil européen de la recherche.

«L’Iran est le pays qui exécute le plus au monde (surtout des Kurdes et des Baloutches) et le deuxième en chiffre absolu, après la Chine»
Depuis maintenant un an, la violence des années 1980 ressurgit dans les esprits des plus ancien.ne.s. Tout a (re)commencé début septembre 2022 en Iran par un voile soi-disant trop relâché, attirant l’attention et la suspicion de la police des mœurs. Plus connue sous le nom de Masha Amini, la jeune Jina est embarquée. Signe du refus de l’administration iranienne à reconnaître l’identité et la culture kurdes, on apprend que Jina, son prénom kurde, n’a pas été enregistré à l’état-civil. Après son arrestation, sa famille ne la reverra pas: Jina Masha Amini meurt le 16 septembre à l’hôpital après trois jours passés dans le coma. Quand le monde entier la découvre, elle est morte. La jeune femme devient la figure emblématique du soulèvement.
Les manifestations s’enchaînent: en l’espace d’un mois, 14 000 personnes sont détenues. Au bas mot. Chowra Makaremi rappelle que «L’Iran est le pays qui exécute le plus au monde (surtout des Kurdes et des Baloutches) et le deuxième en chiffre absolu, après la Chine.»

Elle assène: «La surveillance des mœurs est l’une des principales propositions politiques du président Ebrahim Raïssi [élu en 2021, NDLR], qui en a très peu par ailleurs: ce bureaucrate est un exécutant fidèle du Guide suprême.» On découvre dans son livre que les hommes qui portent le pantacourt ou une autre tenue définie comme «non islamique» ne sont pas épargnés par les contrôles…
Ce sont les agissements arbitraires d’une morale d’un autre temps et la violence qui en découle qui mettent le feu aux poudres. Pour l’anthropologue, «[…] cette révolte sous la bannière “Femme Vie Liberté”, n’est pas un mouvement de femmes. C’est très visiblement un mouvement qui engage toutes les franges de la population: hommes et femmes des petites et grandes villes, des quartiers riches et des banlieues pauvres.»

«Avec ou sans voile, on marche vers la révolution»
Dans son livre, Chowa Makaremi explique en quoi «enlever ou brûler son voile en public est un acte politique qui affirme, avec la plus grande économie de moyens, qu’on monte au créneau et qu’on défie l’ordre établi.» Que la République islamique le veuille ou non, le corps des femmes occupe désormais l’espace lorsqu’elles scandent lors des manifestations: «Avec ou sans voile, on marche vers la révolution.»
Ce soulèvement du peuple iranien qui marche droit vers ses droits, ceux des femmes, des enfants, des hommes, de la planète, du vivant en somme, s’inscrit dans une révolution globale. L’autrice évoque la marche de Marivan, en 2016, où des milliers de Kurdes se sont regroupé.e.s en mémoire des quatre militants écologistes et ex-prisonniers politiques tués dans un incendie criminel.
La chercheuse précise que «C’est particulièrement le cas au Kurdistan, où les organisations écologistes forment un tissu dynamique et dense, engagé dans le travail de terrain qui a pour objectif de modifier en profondeur le rapport des habitants à l’environnement […]» Et de donner l’exemple du réseau Chya, «la plus large organisation écologiste de la province» qui, comme d’autres mouvements, «tient un rôle important dans les transformations du statut des femmes, et plusieurs d’entre eux défendent une ligne éco-féministe.» Une preuve de plus, s’il en manquait, de l’évolution en marche du peuple iranien, qui vit cette révolution –et en meurt– comme il reprend ses slogans de liberté : à pleins poumons.
Un long silence s’installe quand on termine de lire Femme! Vie! Liberté! Sur six pages, l’autrice a listé les noms de celles et de ceux ayant perdu la vie au moment où elle publiait son ouvrage.
Carmelita del Sol

Femme! Vie! Liberté! de Chowra Makaremi, est paru le 7 septembre 2023 aux éditions de La Découverte dans la collection «Cahiers libres», 350 pages, 21€.