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À LA PAGE La Clinique de la dignité

Dans son dernier essai, La Clinique de la dignité, la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury questionne et analyse l’exigence de dignité, cette promesse de la modernité bafouée par le «devenir indigne» du monde. La dignité, ce droit fondamentalement mis à mal.

Depuis sa chaire de philosophie à l’hôpital Sainte-Anne, Cynthia Fleury se penche sur le mal-vivre de plus en plus présent dans notre société, dont la brutalisation fait voler en éclats le droit le plus fondamental de toutes et tous.
A priori, la dignité est ce qui reste quand on a tout perdu, quand le vieil Œdipe réalise: «C’est donc quand je ne suis plus rien que je deviens un homme.» C’est aussi une constante depuis le Timée de Platon: associer la dignité à l’être affaibli.
Il aura fallu attendre 1948 pour inscrire la dignité comme un droit fondamental. Plus tard il sera mentionné dans l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que «la dignité humaine est inviolable». Et pourtant, de l’abbé Pierre en 1954 à l’essai Indignez-vous! de Stéphane Hessel en 2010, l’indignation reste le ferment de l’esprit de résistance. La notion de dignité est évoquée face à nombre de situations: conséquences diverses du réchauffement climatique, déplacement de populations, Black Lives Matter, communauté LGBT+, EHPAD, condition animale… autant d’indignités et de discriminations contraires aux promesses de la modernité, autant de crimes contre l’humanité. Sans parler, pour aujourd’hui et pour demain, des jeunes, qui savent bien que «la crise climatique va impacter leurs destins de façon violente et inéquitable, leur imposant des renoncements sans possibilité de sublimation». On peut alors poser la question: ce sont nos institutions politiques qui se comportent en fabrique de l’indignité?

Le triptyque de la dignité: reconnaissance-respect-sollicitude
La dignité, cette valeur absolue, universelle et inaliénable qui s’applique à la personne tout entière, corps y compris, a trois exigences: la reconnaissance, le respect et la sollicitude. Cette notion s’impose d’autant plus qu’elle se trouve remise en cause. Malgré les conquêtes sociales, il reste dans notre monde moderne qui se veut démocratique des atteintes constantes, une dégradation des conditions de vie.
Face à ces situations d’indignité qui se multiplient, la violence est-elle une solution? Pour Cynthia Fleury, l’obtention de nouveaux droits ou le retour des droits perdus sont moins le mobile de la violence dans la conquête de la dignité que la lutte pour l’institution des droits. Car «reconquérir sa dignité par la violence est le fantasme posé par l’honneur perdu […] même si le cadre de la légitime défense existe».
Commentant les Damnés de la terre de Frantz Fanon, l’autrice aborde le pari «sur la dignité de la violence, son pouvoir de purification», le risque de la «violence permanente, […] sans autre but qu’elle-même». Pour Cynthia Fleury, le premier pas d’une clinique et d’une politique de la dignité se définit par la sublimation de la violence. Mais elle note cette difficulté: «Pour les peuples, et pour les individus, il n’est jamais aisé de dire, après tant de soumission à l’indignité, où (re)commence enfin la dignité.» Surtout lorsque «des régimes d’invisibilisation et de dévalorisation des plus vulnérables (leur définition se modifiant constamment) perdurent malgré un discours et des pratiques revendiquant de bonne foi l’inverse.»
Face à tant de situations et de menaces d’un «devenir indigne» de nos sociétés, la philosophe pose les jalons d’une clinique de la dignité, pour établir un diagnostic philosophique et des solutions thérapeutiques au chevet des vies indignes. Cynthia Fleury convoque aussi bien les écrits de James Baldwin, les théories du care, que les approches postcoloniales, et invite ici à ne pas se résigner à l’inaction ou à la déploration.
Ne pas passer à côté de la dernière partie, qui prolonge cet essai sur près de quatre-vingts pages avec Rebonds et explorations, dont les textes de Claire Hédon, défenseure des droits, Benoît Berthelier, Catherine Tourette-Turgis et Benjamin Lévy questionnent à leur tour dignité et indignité.
Bruno Domercq

La Clinique de la dignité de Cynthia Fleury est paru aux éditions du Seuil le 25 août 2023, 224 pages, 19,50€.