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INTERVIEW Laurent Baheux, photosensible à la cause animale

Véritable portraitiste de nos amies les bêtes, le Poitevin Laurent Baheux dédie sa vie à immortaliser la beauté de la faune sauvage. Ses clichés en noir et blanc nous rappellent l’urgence de la protéger. Rencontre avec un photographe engagé.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots?
Je suis Laurent Baheux, j’ai 43 ans et je suis photographe depuis une trentaine d’années. J’ai commencé par couvrir le sport en presse régionale et internationale. Puis, il y a vingt ans, j’ai pris la tangente et je suis parti en Afrique. Ça fait maintenant une dizaine d’années que j’ai complètement lâché les sports pour me consacrer aux animaux.

Pourquoi choisir le noir et blanc pour vos clichés?
Cela fait partie de mon histoire avec la photographie. Je suis autodidacte, j’ai tout appris au moment où l’on faisait encore de la photo argentique en noir et blanc dans le sport. J’ai tout appris au labo argentique et j’ai gardé ce goût-là. Je me suis aussi intéressé à l’histoire de la photographie, et je suis tombé sur les archives des grands maîtres de la photographie. Elles étaient pour la plupart en noir et blanc. Donc, pendant les trois quarts du XXᵉ siècle, les photographes ne se sont jamais posé la question. Cela m’a inspiré, c’est ce qui a nourri mon regard. Je prends beaucoup de plaisir à ne photographier qu’en noir et blanc.

Le noir et blanc serait un moyen de montrer que vos sujets sont en danger, comme s’ils appartenaient à une autre époque?
On peut y voir plein de choses. Effectivement, il peut avoir ce côté nostalgique d’une époque en train de disparaître. Cela donne aussi un côté intemporel aux images. Mais chacun peut y voir ce qu’il veut.

Vous êtes engagé pour la cause animale, quand avez-vous eu ce déclic?
J’ai eu la chance de grandir à la campagne entouré d’animaux. Mes parents s’intéressaient beaucoup à eux, on avait un peu une ferme exotique à la maison. J’ai toujours grandi avec ça, mais je ne sais pas si ma prise de conscience vient de là. Plus tard, j’ai commencé à voyager pour couvrir des événements sportifs. J’ai pris conscience que, partout sur la planète, on répétait les mêmes comportements et les mêmes excès. Partout où j’allais, je voyais l’humain qui se comportait de la même manière avec les animaux et l’environnement. Il y a une destruction en marche de manière massive et mondiale. Ensuite, cette idée s’est renforcée quand je me suis intéressé de près aux animaux, en allant les voir sur leur territoire, en Afrique. J’ai vu que partout où l’homme avançait la nature reculait. Les seuls endroits où les animaux étaient encore en paix, c’est là où il n’y a que très peu de présence humaine.

Pour vous, la photo est un bon moyen de sensibiliser à la cause?
J’aimerais pouvoir répondre oui, car c’est le choix que j’ai fait (et j’ai la chance d’en vivre). Mais je crois que, malheureusement, ça ne suffit pas. Tous les moyens sont bons pour essayer de faire prendre conscience aux gens que nos modes de vie et de consommation sont totalement délirants.

Est-ce que la photo contribue à ce que l’on se pose cette question? J’ai l’impression. A travers les retours que j’ai sur mon travail, sur mes livres, sur mes expositions, sur les conférences que j’anime, j’ai ce sentiment-là. Mais parfois j’ai l’impression de ne prêcher que des convertis, et qu’on a du mal à élargir le cercle. Il y a quand même des choses positives, des gens me disent: «Je ne m’intéressais pas spécialement à la cause animale avant et [votre travail] m’a fait prendre conscience de plein de choses.» Il y a donc du positif, malgré tout.

Vos sujets sont souvent des animaux sauvages, il vous arrive d’immortaliser également ceux de la ferme?
J’avais envie de photographier des animaux de ferme ou «de bouche», comme on dit. Je suis sensible à ça puisque je suis végétarien, et j’essaie d’aller vers le véganisme. J’ai pris conscience des ravages de l’élevage intensif sur les milieux sauvages, sur les écosystèmes. J’ai envie que les gens se posent les bonnes questions, et j’ai envie de changer le rapport à l’animal. C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’un côté, les magnifiques animaux sauvages qu’on admire et de l’autre, ceux qu’on considère juste comme des tranches de jambon sous vide. Ces derniers [les animaux de la ferme] sont sensibles et intelligents. Ça n’est qu’à travers notre culture et notre éducation qu’on les classe selon nos propres intérêts. Cela diffère selon le pays où l’on grandit. En ce moment, je vis en Afrique du Sud, on y trouve du pâté d’autruche, de crocodile ou d’impala, des espèces que je photographie à l’état sauvage. Mais là-bas ils font des élevages pour en faire du pâté. Ça en choque certains ici, mais selon l’endroit où l’on est on peut considérer n’importe quel animal comme «bon à manger». J’ai envie que les gens se posent toutes ces questions et, à terme, fassent évoluer leurs comportements et leurs habitudes alimentaires. Mais cela reste un doux rêve.

Vous photographiez les animaux en Afrique depuis vingt ans, avez-vous observé des changements dans la faune et la flore?
En Afrique de l’Est, je vois la pression démographique et l’augmentation des activités humaines qui s’exercent tout autour des zones préservées. Cette pression s’accroît et se resserre autour des espèces sauvages, qui voient leur habitat se réduire dangereusement. Aujourd’hui, on ne trouve les animaux sauvages que dans des zones qui sont vraiment protégées. En dehors, il n’y en a quasiment plus. Partout où l’homme avance, dans un prétendu progrès, la nature recule… et les animaux disparaissent.

Que pensez-vous des zoos qui gardent en captivité des animaux sauvages pour une prétendue «préservation»?
La captivité est une torture. Les zoos, par leur propagande, ont réussi à faire croire aux gens qu’ils faisaient de la préservation et qu’ils sauvaient des espèces. Mais, si ça marchait, ça se saurait. Toutes les initiatives qui marchent se réalisent in situ: c’est protéger les espaces naturels. Faire croire aux gens qu’ils œuvrent pour la préservation des animaux en visitant un zoo, c’est un mensonge.

Cependant, je pense qu’on va dans le bon sens: des ONG ont fait un travail remarquable vis-à-vis des mammifères marins comme les orques ou les dauphins. Je crois que les gens ont compris en grande majorité. Paradoxalement, ils n’ont pas compris que c’était la même torture pour les mammifères terrestres. J’espère que cette prise de conscience va vite arriver, mais, quand on voit la fréquentation des zoos comme celui de Beauval, on en est très loin. C’est assez terrible, car ces espèces ne seront jamais relâchées dans la nature. Une fois nourris par l’homme, les animaux sont pour la plupart incapables de se nourrir dans la nature. Ils se trouvent en concurrence avec les autres animaux sauvages, qui, eux, savent se débrouiller. Résultat: ils sont tués par eux ou meurent de faim très rapidement. Il faut arrêter de se faire de l’argent sur la crédulité des gens –et sur le dos des animaux.

Travaillez-vous sur un nouveau projet en Afrique du Sud?
J’accompagne de temps en temps des séjours photographiques. Mais je n’ai pas de projet spécifique à l’Afrique du Sud. Je poursuis mon travail de long terme sur les espèces africaines, qui fera sûrement l’objet d’autres expositions et, peut-être, d’un nouveau livre. Mais ce voyage n’est pas spécifique à l’Afrique du Sud parce que, pour moi, les frontières sont plutôt artificielles. Toute cette faune africaine, on la retrouve en Afrique de l’Est et en Afrique australe, indépendamment des pays et des frontières. C’est ça qui m’intéresse, c’est de montrer que le continent appartenait à l’origine aux animaux et qu’on a morcelé leur territoire.

S’il n’y a qu’un souvenir marquant de votre carrière, lequel est-ce?
Il y en a eu tellement en vingt ans! J’ai eu la chance de vivre tant de moments incroyables… Mais je pense que c’est avec l’espèce la plus emblématique, les lions. C’est un lion en Tanzanie qui, posé sur son rocher, contemple l’horizon. Partout où se porte son regard, ça lui appartient: c’est son royaume. Moi je suis là, en spectateur privilégié. Tout autour, c’est la grande savane herbeuse. C’est un souvenir très fort, et j’espère qu’il ne va pas disparaître trop vite, parce que les prévisions sont plutôt mauvaises. A l’horizon 2050, on risque de ne plus voir de lions à l’état sauvage. Et, s’il n’y a plus de lions en Afrique, c’est toutes les autres espèces qui seront forcément menacées.
Evann Hislers

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