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VIOLENCES CONJUGALES Deux mois plus tard, la réaction de M6 face à l’affaire Stéphane Plaza divise toujours

Où en est l’affaire Stéphane Plaza? Ces dernières semaines, les révélations de Mediapart ont suscité de nombreuses réactions. Particulièrement scrutée, celle de la chaîne M6 a déçu, provoquant une mobilisation qui n’entend pas en rester là, même si la justice s’est désormais saisie du dossier. On fait le point deux mois après les accusations de violences conjugales par plusieurs femmes à l’encontre de l’animateur télé phare de la chaîne.

«Plaza agresseur, M6 complice». «Agent immobilier, agent impunité». «M6 protège les mecs cis». En France, rares sont les fois où des slogans de manifestant.e.s aucunement salarié.e.s de médias ont résonné devant le siège d’une chaîne de télévision. Pour retrouver des traces d’un rassemblement féministe, il faut remonter jusqu’en septembre 2011, lorsqu’une cinquantaine de personnes se retrouvent au pied de la tour TF1 pour protester contre une interview de l’homme politique Dominique Strauss-Kahn, alors accusé d’agression sexuelle, au JT de 20 heures de la chaîne ce soir-là. M6, elle, en a vu d’autres. En mai 2001, environ 200 manifestant.e.s déversent des poubelles devant son siège et endommagent son logo accroché sur la façade du bâtiment pour protester contre Loft Story et l’arrivée de la téléréalité en France. Bien plus calme, la manifestation du 10 octobre dernier devant le siège de la chaîne rejoint, malgré tout, ces rares moments de télévision française hors caméra.

Plusieurs accusations de violences conjugales à l’encontre d’un animateur télé phare de la chaîne M6

La polémique éclate le 21 septembre dernier. Ce jour-là, Mediapart publie les témoignages de trois anciennes compagnes de Stéphane Plaza, l’un des animateurs télé phares de M6, qui l’accusent de violences verbales, psychologiques et physiques.

Alors que les réseaux sociaux ne tardent pas à déterrer de vieilles séquences télé avec Stéphane Plaza qui interpellent (notamment une archive oubliée de «C’est quoi l’amour?» (TF1) datant de 2001), le groupe M6 réagit le jour même par un communiqué lapidaire: «A la suite des informations parues dans la presse, et après un entretien avec Stéphane Plaza, le groupe M6, particulièrement attaché aux valeurs de respect des personnes et garant de son code d’éthique et de déontologie, prend acte de la contestation formelle de Stéphane Plaza des faits qui lui sont reprochés et des contestations juridiques qu’il a engagées.»

Le signe que le groupe est embarrassé et pris de court? La seconde partie de l’enquête de Mediapart publiée dans la foulée vient mettre à mal ce communiqué. En effet, Mediapart révèle alors que Réservoir Prod, la société qui produit plusieurs émissions de Stéphane Plaza, a été alertée dès janvier 2023 par une ancienne participante de Recherche appartement ou maison, devenue ex-compagne de l’agent immobilier le plus célèbre du PAF, qu’il se servirait des programmes qu’il anime «pour séduire et tromper des femmes».

«Fais attention lors des tournages, car je sais que je ne suis pas la seule à avoir vécu ça», fait-elle savoir à la réalisatrice de l’émission Aurélie Bonenfant, qui lui répond que «la vie privée de Stéphane ne [la] regarde pas». Un collaborateur de l’émission témoigne, lui, anonymement, d’une «ambiance hypersexualisée» pendant les tournages, faite de drague lourde, de «propos sexistes» et d’«exhibition».

La discrétion du groupe M6 ne passe pas inaperçue

Depuis ce second article de Mediapart, rares sont les figures du groupe M6 à avoir apporté ouvertement leur soutien à Stéphane Plaza. Le premier à l’avoir fait est Laurent Ruquier, animateur des Grosses Têtes (RTL), où Stéphane Plaza officie en tant que chroniqueur depuis 2016. Moins d’une semaine après les révélations du média d’investigation en ligne, Laurent Ruquier déclare à Puremédias n’avoir «aucun doute sur sa probité» et demande à «laisser Stéphane tranquille pour qu’il puisse se défendre de ces accusations». «S’il a envie de revenir aux Grosses Têtes, il sera le bienvenu», ajoute-t-il. Un soutien trop rapidement apporté? Depuis, Laurent Ruquier ne semble plus l’assumer pleinement. «J’ai déjà répondu et tout a été déformé. C’est malhonnête. Vous n’aurez rien là-dessus», répond-il le 16 octobre dernier à Télé Star, lorsque le média veut l’interroger à son tour sur son chroniqueur.

Autre soutien de taille, apporté toutefois bien plus tardivement: celui de l’animatrice Karine Le Marchand, visage majeur de M6 et amie de Stéphane Plaza à la ville. Un mois après les révélations de Mediapart, Karine Le Marchand réagit dans Paris Match, déclarant notamment à propos de son collègue que, «à la limite, c’est un con, un goujat. Mais je ne l’ai jamais vu violent et il se met rarement en colère. Il est plus du genre à bouder dans son coin.» Avant d’ajouter: «Après, je n’ai jamais été en couple avec lui, je ne sais pas comment il se comporte avec ses maîtresses.»

Du côté de la direction, il faut attendre plus de six semaines avant que Nicolas de Tavernost, directeur général du groupe M6, ne prenne enfin officiellement la parole à ce sujet… sur BFM Business. L’occasion pour lui d’apporter un soutien sans ambiguïté à Stéphane Plaza. «Le soir même des révélations de la presse, nous avons commandité une enquête interne à M6 avec tous les gens qui travaillent avec Stéphane Plaza. La même chose a été faite chez Mediawan [propriétaire de Réservoir Prod]. Ces deux enquêtes n’ont donné aucun élément qui justifierait sur le plan professionnel une sanction contre Stéphane Plaza. Je dirais même, au contraire, que ses collègues l’appuient plutôt», déclare-t-il lors d’une interview accordée le 6 novembre dernier. A celles et ceux qui l’accusent de fermer les yeux sur les révélations de Mediapart, Nicolas de Tavernost répond que par le passé «il [leur] est arrivé de mettre des personnalités importantes hors de [leurs] antennes» pour ce genre d’affaire, donnant comme exemples, sans les citer, Gilbert Rozon, l’ancien juré emblématique du talent-show de M6 La France a un incroyable talent, et l’acteur Ary Abittan. «Ce qu’on pourrait nous reprocher, d’ailleurs, c’est peut-être d’être allés un peu vite, parce que ces deux personnes ont finalement obtenu un non-lieu», poursuit-il, avant d’assurer que Stéphane Plaza sera maintenu à l’antenne. Nicolas de Tavernost conclut: «En ce qui concerne la partie privée, avec les accusations et le dépôt de plainte dont il fait l’objet, il ne nous appartient pas de nous substituer à la police ni à la justice pour prendre une décision. Donc nous attendons les conclusions de cette affaire.»

En 2023, Stéphane Plaza pèse pour plus de 8% des recettes publicitaires de M6

L’Informé souligne que le groupe M6 perdrait très gros s’il devait se séparer de Stéphane Plaza. Engagé auprès de la chaîne depuis 2006, et jusqu’au moins 2028, celui qui a été désigné animateur télé préféré des Français.e.s a, à plusieurs reprises ces dernières années, fait gagner à ce jour environ 30 millions d’euros à M6 en 2023 avec ses différents programmes, soit 8% des recettes publicitaires de la chaîne. A cela s’ajoutent les dividendes apportés par Stéphane Plaza Immobilier, le réseau de 660 agences immobilières en France lancé en 2015 par Stéphane Plaza en partenariat avec M6, et qui s’élevaient, d’après France Info, à plus de 3 millions d’euros rien que pour la chaîne en 2020. Une affaire visiblement plus que rentable, puisque le groupe M6 est devenu l’actionnaire majoritaire de l’entreprise en 2022.

Du côté de la grille des programmes, M6 n’a en tout cas procédé à aucun changement depuis les révélations de Mediapart. Les samedis et dimanches après-midi de la six sont ainsi toujours meublés par des rediffusions de Chasseurs d’appart’, Maison à vendre ou Recherche appartement ou maison. Pis encore pour les manifestant.e.s, la chaîne a décidé de maintenir une soirée entièrement consacrée à Stéphane Plaza avec la diffusion d’un numéro inédit de Recherche appartement ou maison, suivie de Stéphane Plaza: voyage avec mon père, un documentaire intimiste du genre road trip sur l’animateur télé et agent immobilier. Depuis, un nouveau numéro inédit de Recherche appartement ou maison et de Tout changer ou déménager a été programmé en prime time le 10 novembre dernier et le 24 novembre prochain sur M6.

«A partir de quel montant a-t-on le droit de frapper les femmes?»

C’est un manque de respect manifeste pour la parole des femmes aux yeux de nombreuses personnes, qui se sont donc retrouvées le 10 octobre dernier devant le siège de M6 pour faire entendre leur voix, en réaction à l’appel lancé par Alice Coffin, élue écologiste au Conseil de Paris, et Mathilde Viot, initiatrice de #MeTooPolitique et cofondatrice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique.

«Ce qu’on nous dit, c’est que Stéphane Plaza rapporte trop à M6 pour qu’elle s’en sépare, que ça ne serait qu’une question d’argent. Mais à partir de quel montant a-t-on le droit de frapper les femmes? C’est scandaleux de penser comme ça!», déplore la journaliste Hélène Devynck, l’une des femmes à avoir pris la parole dans l’affaire PPDA.

Hasard du calendrier ou non, le parquet de Paris annonçait le jour même en début de soirée l’ouverture d’une enquête pour «violences sur conjoint» à l’encontre de Stéphane Plaza. «Deux courriers de femmes ont été reçus au parquet et reprochent à Stéphane Plaza des violences commises au cours de leur relation», précise alors le parquet, cité notamment par France Info.

En attendant les conclusions de la justice, les manifestant.e.s étaient une trentaine à protester devant le siège de la chaîne ce mardi 10 octobre. Un peu plus tard dans la soirée, plus de 1 million de personnes étaient sur M6 pour regarder le documentaire inédit consacré à Stéphane Plaza.

Continuer de mobiliser l’opinion pour faire pression sur M6 en attendant que justice se fasse

Et maintenant? Deux mois après les révélations de Mediapart, qu’attendre des prochains jours, semaines, voire mois? Les manifestant.e.s ne semblent pas avoir dit leur dernier mot. «Face à l’omerta, il faut plus. Face à l’absence de courage et à la vénalité des annonceurs, des chaînes, face à la solidarité masculine, il faut plus: des prises de position publiques et des manifestations pour espérer faire basculer les choses et faire plier les employeurs, les médias, les partis politiques», affirment plusieurs femmes, dont Alice Coffin, Hélène Devynck et Mathilde Viot, dans une tribune publiée le 26 septembre dernier dans Libération. Lors d’un discours à l’occasion du rassemblement du 10 octobre dernier, Alice Coffin évoquait également la possibilité, pour les prochaines actions, de «faire pression sur les marques pour voir si elles tiennent vraiment à être associées à un homme violent», en diffusant de la publicité sur M6 pendant les émissions de Stéphane Plaza.

«Aujourd’hui, on attend de M6 une réelle enquête interne, réclame Hélène Devynck. En attendant que lumière soit faite sur ce qui s’est passé, par mesure de précaution,les émissions de Stéphane Plaza devraient aussi être déprogrammées. Celles-ci s’adressent majoritairement à un public féminin. Or, ce sont des femmes qui peuvent également être victimes de violences dans leur intimité. Et là, en maintenant les émissions de Stéphane Plaza, on leur dit: taisez-vous!»

Pour acter l’absence de responsables du groupe M6 venu.e.s échanger avec les manifestant.e.s, les pancartes ont été symboliquement déposées au pied du bâtiment à la fin de la manifestation du 10 octobre dernier. A côté de l’entrée principale du siège de M6, un fourgon de police (avec à son bord pas moins de dix agent.e.s de police) stationnait non loin de l’affiche promotionnelle de L’amour est dans le pré, un des célèbres programmes de la chaîne. Ainsi, les manifestant.e.s pouvaient voir une Karine Le Marchand souriante tout au long de la soirée. Un contraste saisissant.
Thomas Pouilly