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ZOOM SUR… Les 8e Rencontres des lanceurs d’alerte

Alertes et lanceurs d’alerte: qui? quoi? comment? La 8e édition des Rencontres des lanceurs d’alerte y a répondu du 10 au 12 novembre. L’entrée était gratuite. L’événement s’est déroulé à la Maison des sciences de l’homme à la Plaine-Saint-Denis (93). Des conférences-débats, des films et des cartes blanches donnaient la parole à celles et ceux qui donnent l’alerte, la traitent et la défendent. Un rendez-vous incontournable pour prendre la mesure des dangers qui menacent l’humanité.

Ce rendez-vous annuel reste une occasion unique et exceptionnelle pour le public de rencontrer et de pouvoir échanger avec des lanceuses et des lanceurs d’alerte, des chercheuses et des chercheurs universitaires, des journalistes, des associations. Objectif: partager les expériences, mutualiser les savoirs et débattre. Toujours ancrées dans l’actualité, ces rencontres posaient la question centrale: comment notre société, cette institution et ses organisations doivent-elles prendre en compte l’alerte et agir ensuite?

Dans cette 8e édition, il était question de: fraude («Evasion fiscale: toujours plus!», de santé («Défaillances de l’homologation des pesticides», «Les psychotropes en question»), de sécurité («Police: frères d’armes ou garants des droits de l’homme?»), de justice («Alertes: que faut-il faire pour qu’elles soient instruites?», «Comment faut-il le dire pour qu’elles soient écoutées?», «Alerte et défaillance de la puissance publique»), de biodiversité («L’alouette n’est plus sur la branche…»), de libertés d’expression et associative («L’ordre et la liberté font-ils bon ménage?»), de pauvreté («Un business financé par l’Etat»), de politique («Alerte: laïcité et fait religieux»).

Entre deux tables rondes, nous avons assisté à la projection d’Ithaka, le documentaire coup de poing, sorti en 2021, sur l’incarcération de Julian Assange, journaliste accusé d’espionnage.

«La qualité d’une société dépend des informations auxquelles elle a accès», Julian Assange, journaliste australien

D’une durée de 1 h 46, le film a été réalisé par Ben Lawrence, distribué par Stella Assange, et produit par Gabriel Shipton, demi-frère de Julian Assange.

Après s’être réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres de 2012 à 2019, le créateur de WikiLeaks est détenu dans la prison de haute sécurité de Belmarsh depuis cinq ans. Son crime? Journaliste, il a eu l’idée de créer la plateforme WikiLeaks, garante de la sécurité des lanceuses et des lanceurs d’alerte –anonymes– qui y déposaient des documents. WikiLeaks se chargeant bien sûr de faire authentifier lesdits documents.

Aujourd’hui, il risque l’extradition vers les Etats-Unis, où il encourt une peine de 175 ans de prison. Dans le film, Julian Assange nous rappelle que «la qualité d’une société dépend des informations auxquelles elle a accès».

Très présent dans ce documentaire, le père de Julian, John Shipton dit: «Notre fils est dans la merde, et je veux l’en sortir.» Film dans lequel on apprend qu’il a vendu sa maison pour pouvoir assumer des frais de défense et ses voyages dans le monde liés à la détention de son fils. John Shipton rappelle à un moment: «S’il tombe, le journalisme tombera avec lui.»

Très présente bien sûr, l’avocate Stella Assange, qui est devenue la femme de Julian lorsqu’il était sous la protection de l’ambassade d’Equateur à Londres: «Nous n’accepterons jamais que le journalisme [soit considéré comme] un crime. J’aime Julian. J’aime son courage et je serai toujours à ses côtés.»

«La punition, pour le journaliste, c’est la procédure», Dominique Pradalié, présidente de la FIJ

Ces dernières années, la campagne de décrédibilisation des Etats-Unis a fonctionné. Il se trouve des gens qui croient encore Julian coupable de quelque chose. Sauf qu’un journaliste qui fait son travail n’a rien à faire en prison. Dans l’auditorium, Dominique Pradalié, la présidente de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), brandit la carte de presse de Julian Assange. Oui, l’homme qui reste enfermé dans sa cellule de la prison anglaise de Belmarsh vingt-trois heures sur vingt-quatre est bien journaliste. Et la présidente de la FIJ de rappeler que «la punition, pour le journaliste, c’est la procédure».

Quand on retrace l’histoire de la détention de Julian Assange, l’air vient à manquer. On regarde le film en apnée. En sortant de la salle, un voisin spectateur encore sous le choc de la projection lâche: «C’est un film irrespirable.»

C’est bien le moment de rappeler que dans cette affaire certains médias qui calomnient Julian Assange et sa qualité de journaliste devraient plutôt faire des sujets sur son parcours et sur sa situation. Le journalisme n’est pas un crime. Il n’a rien à faire en prison: sauvez Julian Assange.

«Cette mer n’est même pas un cimetière, mais une fosse commune où les cadavres des noyé.e.s finissent en plancton dont se nourrissent les petits poissons, puis les gros que nous retrouvons dans nos assiettes, ce qui fait de nous par là même des cannibales», Erri De Luca, auteur italien

Pourquoi sauver de la noyade des personnes fuyant par la mer, la guerre ou des contrées devenues invivables? Pour être conforme aux valeurs de fraternité de la République. Que la vie des personnes soit, au titre des valeurs européennes, supérieure à toute autre considération. Quelles sont nos prétendues valeurs morales dans tout ça?

Alors que des milliers de mort.e.s sont décompté.e.s en Méditerranée, et que la fraternité républicaine est mise à mal dans sa dimension universelle, qu’est devenu le sens du mot «frère»? C’était le thème de la table ronde «SOS Méditerranée: la fraternité nous oblige» avec Sophie Beau, cofondatrice de l’association, Jean-Marie Laclavetine, écrivain, les auteurs Erri De Luca et Daniel Pennac, et Marie-Christine Blandin, ex-sénatrice, qui animait la rencontre. L’écrivain italien, engagé avec SOS Méditerranée, a participé au texte collectif SOS Méditerranée, les écrivants s’engagent.

Erri De Luca le précise d’emblée: «Je ne suis pas un écrivain engagé: comme citoyen, j’ai pris des engagements. Nous avons ce sentiment de la justice qui nous anime. La justice, c’est un sentiment. Le sentiment de justice n’a rien à voir avec la légalité. […] Le secours n’est pas une option, le secours est obligatoire.»

Sur le chapitre du droit maritime, on trouve sur le site de SOS Méditerranée «Recherche et sauvegarde en mer: une obligation légale internationale pour les Etats et les capitaines de navires» dont voici le lien.

Erri De Luca, qui a passé plusieurs semaines à bord du navire de secours l’Ocean Viking, raconte: «Je voyais monter des femmes avec des bébés…» Et l’homme engagé de se demander ce qu’il se passe dans la tête d’une mère pour faire prendre un tel risque à son bébé, la noyade. Pour lui, «c’est l’extrême désespoir qui est la force motrice du désespoir». L’auteur évoque son texte Mal de mer, qui raconte la nécessité de se sauver et de quitter son pays.

«Cette mer n’est même pas un cimetière, mais une fosse commune où les cadavres des noyé.e.s finissent en plancton dont se nourrissent les petits poissons, puis les gros que nous retrouvons dans nos assiettes, ce qui fait de nous par là même des cannibales.»

Il confie: «Je me suis senti responsable de la situation biochimique de la mer. Elle m’a changé physiquement. J’ai une incapacité à regarder la mer comme avant. Je la regarde aujourd’hui comme une fosse commune.» Erri De Luca assène: «Nous sommes des cannibales de second ordre.»

Sophie Beau, de SOS Méditerranée, informe qu’une journée en mer coûte 24000 euros. Que les soutiens financiers de l’association sont privés à hauteur de 92%, et que les collectivités territoriales ne concernent que la part restante, 8%. La femme engagée évoque le harcèlement administratif et l’acharnement des autorités à envoyer les bateaux débarquer leurs cargaisons de survivant.e.s toujours plus loin vers le nord (Gênes, Venise,…), et dénonce: «La traite des êtres humains rapporte des milliards [aux trafiquants].»
Claudine Cordani et Geronemo

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