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JUSTICE-CCD «Pour moi, le plus important est que l’audience soit la même que dans les cours d’assises classiques»

Avocat parisien pendant plus de quarante ans, Alain Mikowski est une des figures de la justice par son activité et ses engagements. Mitigé sur les cours criminelles départementales (CCD), l’homme de loi n’exclut pas de proposer ses services comme avocat honoraire. Dans cette interview, il nous explique pourquoi.

Merci de déployer les grandes lignes de votre expérience professionnelle de la justice…
J’ai été président de la commission liberté et droits de l’homme du Conseil national des barreaux, vice-président du Syndicat des avocats de France, également président de la commission nationale immigration de la Ligue des droits de l’homme. Avocat pendant quarante-deux ans, j’ai exercé à Paris avec une activité pénaliste assez importante.

Vous avez travaillé sur le droit des mineur.e.s…
Oui, au début de ma carrière (années 1980, NDLR), j’avais une activité spécifique sur le droit des mineur.e.s parce qu’à l’époque on considérait ça comme uniquement éducatif, le droit pénal des mineur.e.s. Et on avait tendance à se moquer pas mal du respect de la procédure pénale. Nous étions intervenus pour que les mineur.e.s soient traités au niveau de la procédure pénale comme un.e majeur.e. C’est-à-dire que s’il y a une nullité, il y a une nullité.

Comment avez-vous accueilli l’annonce du déploiement des cours criminelles départementales en France au 1er janvier dernier?
Je suis assez mitigé. Il y a évidemment un aspect négatif, car la justice criminelle est la seule justice à laquelle le peuple participe directement par l’intermédiaire des juré.e.s. Evidemment, c’est un point important. Mais dans la réalité, j’ai toujours considéré que parmi les juré.e.s, il y a quand même un effet «loterie». Il peut être intéressant pour un certain nombre d’affaires qu’elles soient jugées par des professionnel.le.s pour éviter tout aléa. En effet, il peut arriver que pour le même type de dossier, un accusé prenne le maximum un jour, et qu’un autre s’en tire miraculeusement bien le lendemain… tout ça à cause d’un tirage au sort.

Justement, en parlant de tirage au sort, est-ce que l’identité ou la profession des juré.e.s est connue?
Il y a eu une évolution. Anciennement, on connaissait l’adresse et la profession des juré.e.s. Sur une liste remise au début de l’audience, figuraient leurs nom, âge, profession et adresse. Cela a été restreint et, maintenant, on n’a plus tous ces éléments. Donc, la récusation se fait de façon complètement aléatoire: à la tête du client… Quand je défendais un accusé, j’avais horreur de ça. Je me disais: “Ça se trouve, j’ai gardé le plus féroce et récusé la plus gentille.”

La présence de magistrat.e.s professionnel.le.s constitue-t-elle une garantie?
Actuellement, le président de la cour peut influencer sérieusement les juré.e.s.

Les juré.e.s n’ont pas l’expérience, c’est normal, ni la pratique, et ne connaissent pas la jurisprudence… le tarif, quoi: combien doit prendre un type. J’ai connu des affaires où le président, justement, s’agissant d’un accusé mineur au moment des faits, expliquait aux juré.e.s, que le mineur condamné à deux, trois, quatre ou cinq années de prison n’allait pas aller dans une véritable prison, mais dans une espèce de centre éducatif. Ce qui était faux! Et donc, évidemment, les juré.e.s le croient… Dans l’absolu, les juré.e.s c’est parfait. En réalité, cela pose pas mal de problèmes.

Où trouver aujourd’hui les deux juges supplémentaires pour fonctionner en CCD, qui en exige cinq au total?
La loi a permis à des magistrat.e.s honoraires (en retraite, NDLR) et à des avocat.e.s honoraires de siéger à la cour d’assise. Par exemple, je peux demander à être avocat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles dans la cour. Dans ce cas-là, il y aurait trois magistrat.e.s en activité, un.e quatrième comme honoraire, et un avocat honoraire lui aussi. Peu de gens l’évoquent mais c’est ce qui a été fait, des avocat.e.s honoraires ont été recruté.e.s. Je trouve que c’est pas si mal d’avoir un.e ancien.ne avocat.e qui siège dans la cour.

Avocat honoraire, ça vous tente?
Je n’exclus pas de le faire, mais peut-être pas tout de suite. Dans le passé, j’ai déjà «complété la cour», c’est-à-dire que j’ai remplacé un juge absent, comme la loi le permet. J’ai trouvé que c’était une expérience intéressante. Je peux dire que si je devais siéger dans une cour d’assise, je ne serai pas influençable par le président ou les autres magistrat.e.s. En plus, j’ai une certaine expertise qui permettrait de corriger d’éventuelles dérives – que n’ont pas évidemment les juré.e.s. Ces derniers n’ont pas forcément envie de passer plusieurs jours payés des clopinettes à siéger toute la journée. Il y autre chose, c’est que les juré.e.s de Paris, par exemple, ce n’est pas pareil que les juré.e.s de certaines villes de Province. Il faut savoir qu’il vaut mieux être jugé en Corse pour certains crimes, et ce, pour des raisons faciles à comprendre: les juré.e.s corses sont malheureusement plus ou moins susceptibles de subir des pressions. D’un autre côté, à Angers, par exemple, pour une agression contre des biens, l’accusé risque d’être sévèrement condamné.

C’est pas l’idée qu’on se fait de la justice…
C’est parce qu’on idéalise la justice. Rappelez-vous, dans les affaires de légitime défense, de l’histoire de la boulangère (Marie-Joëlle Garnier tire sur des voleurs le 12 février 1989. Elle sera acquittée en 1992. Découvrir l’affaire «la boulangère de Reims», NDLR). Des cambrioleurs ont été abattus par des personnes qui n’étaient absolument pas en légitime défense, et qui ont été acquitté.e.s probablement grâce aux juré.e.s.

J’ai eu l’affaire d’un policier qui avait abattu dans le dos un jeune maghrébin aux Mureaux (78). Déjà, on a réussi à ce que l’affaire passe aux assises –et ça n’a pas été facile. La légitime défense quand on tire dans le dos, vous voyez, ce n’est pas évident… Eh ben, figurez-vous que cela a été le plus mauvais résultat de toute ma carrière: le policier a été acquitté… J’ai la faiblesse de penser qu’il ne l’aurait pas forcément été avec cinq juges. A mon avis, il y avait des juré.e.s qui étaient très, très favorables à la police et très très peu favorables à des Maghrébins du département.

Pour les CCD, cela ne va pas concerner toutes les affaires, pour environ 80% d’entre elles ça va être des affaires de viol et de coups mortels.

Une des raisons pour lesquelles la cour criminelle départementale a été créée, c’est pour retenir la qualification criminelle en matière d’agressions sexuelles. Le délai d’audiencement aux assises classiques était trop long. N’oublions pas que s’il est fait appel de la décision de la cour criminelle départementale, l’affaire sera jugée devant une cour d’assise classique avec des juré.e.s.

Que peuvent penser les victimes de viol si la justice les considère comme des «victimes de seconde zone»?
C’est un risque, mais il faudra être pédagogue.

Est-ce que la pédagogie suffit, les mêmes moyens sont-ils donnés lors d’une instruction dans le cadre d’une cour d’assise que pour une CCD?
Une affaire qui passe en cour départementale ou en cour d’assise, c’est exactement la même chose. Simplement, c’est plus rapide car on ne passe pas une demi-journée à tirer au sort les jur.é.e.s, et que le délibéré va plus vite. Le président a affaire à des pros et ne se sent pas obligé d’expliquer le tout. Pour le reste, tout est pareil. Autrement, ce serait un scancale: je serais le premier à le dire. On n’en discute même pas! Là, ce serait de la seconde classe. La seconde classe, c’est quand l’affaire est jugée en correctionnelle en deux heures. En CCD, ça se passerait en deux jours.

A-t-on pensé aux conséquences qu’une telle décision (juger en CCD) pourrait avoir sur les victimes de viol dans leur reconstruction ?
Je pense que le fait que ce soit plus rapide est important, parce que les victimes n’aiment pas attendre des années. Je ne suis pas sûr que ça ira beaucoup plus vite mais, normalement, cela devrait. Ça, c’est positif.

Une audience de cour criminelle départementale pour une affaire de viol sera jugée de la même manière que devant une cour d’assise classique. A la limite, cela évite d’avoir un juré relou, un misogyne, un juré excessif: qui tape trop fort, etc. Je ne parle pas uniquement des victimes, je parle aussi des accusés. Les juré.e.s, c’est un très beau principe, c’est très bien, je suis complètement pour. Mais ça veut dire d’avoir des juré.e.s investi.e.s. Alors, ça arrive très souvent, mais pas tout le temps.

On rappelle que les magistrat.e.s sont indépendant.e.s en France…
Oui, absolument. Là, il y en aura quatre ou cinq.

Deux magistrat.e.s supplémentaires ou un.e magistrat.e supplémentaire et un.e avocat.e honoraire?
Oui, c’est une possibilité mais ce n’est pas obligatoire. Vous le disiez tout à l’heure et vous aviez raison: ça va être difficile de trouver plus de juges. C’est pour ça qu’il y a cette option. C’est important.

Un exemple, imaginons que Maître Szpiner, qui est contre les CCD, prenne sa retraite et se retrouve comme avocat honoraire dans une affaire. Le président aura beau remuer ciel et terre, on ne peut pas influencer un avocat comme Szpiner. Il fera comme il en a envie, avec son expérience d’avocat.

Pensez-vous que la justice française possède ou puisse se donner aujourd’hui les moyens d’appliquer de manière efficace cette évolution judiciaire?
Sur le papier, je pense que oui. Recruter des avocat.e.s honoraires, cela ne doit pas être très compliqué, des magistrat.e.s honoraires non plus. Pour le reste, il reste trois juges, c’est comme avant: il n’y a pas de changement. Et ça ne coûte pas plus cher, donc… ça coûte même plutôt moins cher. Pour moi, le plus important est que l’audience –je dis bien l’audience– soit la même que dans les cours d’assises classiques. C’est ça le vrai problème pour moi: que ce ne soit pas fait à toute vitesse sous prétexte que c’est de la deuxième classe. Il faut que cela aille plus vite dans l’audiencement, qu’on juge plus d’affaires et qu’on correctionnalise moins. Il faut qu’on traite ces dossiers en disposant de tout le temps qu’on prenait en cour d’assise classique.

Avez-vous quelque chose à préciser, un mot de conclusion?
Qui vivra verra.

Propos recueillis par Claudine Cordani

En savoir plus
– Sur le film documentaire Cours criminelles de Laetitia Ohnona (50 min, France, 2022).