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AU PAYS DU HANDI De l’inégalité autour de la parentalité

«Alors, c’est pour quand le bébé?», «Tu sais, l’horloge biologique tourne!», ces phrases insupportables, nous, femmes handicapées, avons le douloureux privilège de ne jamais les entendre. Pourquoi douloureux? Parce qu’aussi intrusives soient-elles, ces paroles sont, par leur absence, révélatrices du malaise autour du handicap et de la parentalité.

Si la sexualité des personnes handicapées est souvent inconcevable aux yeux des valides («Comment pourraient-elles baiser alors qu’elles sont incapables de se gratter le nez?»), la question de la parentalité, elle, entraîne encore beaucoup de paternalisme: «Une grossesse dans votre état, ce n’est pas raisonnable!» Sans compter les tentatives pour nous dissuader d’avoir un enfant: « Une personne incapable de s’occuper d’elle-même ne devrait pas avoir d’enfants ! » En France, on appelle ça la «médecine prédictive».

En tant que femme handicapée, la grossesse a été pour moi l’occasion de faire valoir mon autonomie et de me réapproprier mon corps. Ce corps de myopathe, ce corps jugé malade, faible et difforme a été capable de construire intégralement un être vivant. Je n’ai jamais autant aimé mon corps que pendant ma grossesse, je me suis rarement sentie aussi puissante, c’était un sentiment très exaltant que peu comprenaient. Je ne me suis jamais sentie en danger quand j’étais enceinte, je me sentais parfaitement bien, en confiance, avec mon corps et mon bébé. Malgré tout, la pression de certains membres du corps médical était insupportable. Du fait de mon handicap, ils considéraient que cette grossesse n’avait pas de raison d’être, voire qu’elle risquait de me tuer. Je me souviens encore de la réaction de ce pneumologue qui jugeait les résultats de mes examens respiratoires tout à fait satisfaisants avant d’apprendre que j’étais enceinte de quatre mois. Je me souviens de sa phrase sans appel: «Ah, non Madame, là, ça va pas être possible!» Douche froide. Il a fallu trouver un autre praticien.

«Environ 33% des parent.e.s handicapé.e.s se voient retirer leur enfant par les services sociaux»

Le père ou la mère –surtout la mère!– handicapé.e est d’emblée invisibilisé.e. Ainsi, lorsque je me promène dans la rue avec mon enfant et une tierce personne comme ma mère ou mon auxiliaire, les gens ne parviennent pas à comprendre que c’est moi la mère de cette enfant. Ils s’adressent invariablement à la personne qui m’accompagne pour s’enquérir de l’âge ou de la santé de ma fille. Et ce peu importe l’âge ou l’apparence de mon accompagnatrice. Pire, les parent.e.s handicapé.e.s sont considéré.e.s comme déraisonnables, suspect.e.s. Souvent, nos familles sont l’objet d’une surveillance accrue. Il n’est pas rare que des membres de la Protection maternelle et infantile (PMI) soient missionné.e.s à notre domicile.

À la sortie de notre enfant du service de néonatologie, mon mari et moi avons été encouragé.e.s vivement à contacter la PMI. Dès que j’ai mentionné mon handicap, la personne au téléphone a modifié sa façon de parler de façon radicale, utilisant soudainement des formulations très simples et un débit de parole beaucoup plus lent. Elle a proposé de venir nous voir pour nous montrer comment donner le bain à notre bébé. Or, nous le faisions déjà depuis sa naissance, trois semaines auparavant… Cette conversation m’a effrayée: ressentant les préjugés de cette personne, j’ai décliné toute aide. En tant que parent.e handicapé.e, on a conscience que chacun de nos gestes sera scruté puis analysé, jugé enfin. En tant que parent.e handicapé.e, on sait qu’on a encore moins le droit à l’erreur par rapport aux valides. Et on a ce chiffre terrifiant en tête: environ 33% des parent.e.s handicapé.e.s se voient retirer leur enfant par les services sociaux. C’est-à-dire un tiers, soit un foyer sur trois.

Les parent.e.s handicapé.e.s subissent une pression constante en société

Alors, en public, on guette: est-ce que notre enfant a des habits assez neufs, assez propres, est-ce que son nez est bien mouché et ses ongles bien coupés? Oh non, mon enfant pleure au parc! Très vite, les regards se tournent vers nous… Que va-t-on penser? C’est une pression constante.
Certaines personnes semblent oublier que ce qui constitue un bon parent, ce ne sont pas les gestes effectués pour s’occuper de l’enfant, changer, laver, habiller…, souvent effectués machinalement d’ailleurs. Si c’était le cas, des robots programmés feraient d’excellent.e.s parent.e.s! Personnellement, je ne peux pas réaliser ces gestes. Je les délègue à mon mari ou à une auxiliaire. Mes bras sont trop faibles? L’auxiliaire me prête les siens pour que je m’occupe de ma fille. Je reste à côté, je supervise, je parle à mon enfant, je lui souris: le lien est bel et bien là, il existe, il est puissant, alors même que mon corps est faible.

Le fait d’être en retrait me permet d’observer plus attentivement et de mieux connaître ma petite. Je suis celle qui décrypte le mieux ses paroles confuses lorsqu’elle pleure, qui devine ses frustrations et ses petites douleurs. Elle et moi nous comprenons parfaitement. Nous avons des habitudes et des rituels qui nous sont propres! Être un.e bon.ne parent.e, ou du moins essayer de toutes ses forces de l’être, c’est communiquer, encourager, donner confiance, jouer, apprendre. Ce sont plein de choses qu’on peut faire avec n’importe quel handicap. Et ce choix d’avoir un enfant est tellement profond que personne n’a le droit de nous en priver, de décider à notre place. Personne.
Sushina Lagouj