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AUX RACINES DE… La tache blanche des chats noirs

Associés à de prétendues sorcières, des chats noirs ont péri eux aussi dans les flammes de l’Inquisition menée jusqu’au XVIIIe siècle par l’Eglise avec la complicité de l’Etat. Heureusement, c’est une touffe de poils blancs qui en a sauvé certains. Voyons ce qu’il reste dans l’imaginaire collectif des croyances autour de ces charmantes et paisibles bêtes à quatre pattes.

En France, «la Fondation 30 Millions d’amis alerte contre le black syndrome», écrit l’association sur Twitter le 17 août 2022 à l’occasion de la Journée mondiale des chats noirs. Ce terme, qui vient des Etats-Unis, est utilisé pour désigner la crainte qu’ont encore certaines personnes des animaux noirs, vestige de superstitions historiques. Ce sont des traces de persécution indélébiles car encore perceptibles, dont les origines remontent au Moyen Age. Les chats noirs étaient mêlés aux affaires de sorcellerie et tués sans ménagement, notamment durant l’Inquisition (créée au XIIe siècle). Aujourd’hui, on constate en effet que la plupart de nos amis félins sont rarement tout noirs: ils possèdent (très) souvent une petite tache blanche sur la poitrine ou ailleurs! Un lien de cause à effet avec le passé?

Tout avait pourtant bien commencé en France, puisque avant le Moyen Age les chats noirs étaient appréciés pour –justement– leur couleur foncée. Elle leur assurait une discrétion inégalable la nuit pour chasser les rongeurs nocturnes, protégeant ainsi la nourriture des propriétaires pendant leur sommeil. Ainsi, la présence des chats noirs s’est généralisée en France et plus largement en Europe, jusqu’à la fin du Ve siècle et l’avènement de la France chrétienne.

Le chat noir diabolisé par l’église, qui prétend voir en lui «l’incarnation du Malin»

D’une quelconque couleur, le chat était considéré par l’église comme incarnant de nombreux vices comme la paresse, la gourmandise, l’orgueil ou encore la luxure. Le chat noir était vu plus particulièrement comme un animal dangereux qui attirait avec lui le malheur, et qu’on accusait même d’imiter les cris des enfants pour terroriser la population… Ben, voyons.

Ainsi et jusqu’au règne de Louis XIV, des sacs entiers de chats noirs sont brûlés vifs sur la place de l’hôtel de ville de Paris lors de la fête de la Saint-Jean. D’ailleurs, Colette Roy, présidente de l’association Chat d’Oc à Paris, constate qu’il persiste des restes de ces vieilles croyances chez certain.e.s adoptant.e.s potentiel.le.s qui se contentent d’un refus poli à l’adoption, sans l’étayer par leurs motivations superstitieuses.

Durant l’Inquisition, le chat couleur ébène est aussi supposé être l’incarnation du Malin, ou encore l’animal de compagnie des sorcières, avec lequel elles partagent leurs pouvoirs maléfiques. Selon la légende, elles possédaient même une troisième mamelle pour le nourrir… Un sacré délire. Plus encore, il se disait que les sorcières pouvaient se transformer en chat –mais seulement neuf fois. C’est pour cette raison qu’on aurait attribué au chat le pouvoir de se réincarner autant et de pouvoir vivre neuf vies.

Sans surprise, les femmes dites marginales comme les guérisseuses constituent les principales cibles de cette chasse aux sorcières, qui a duré du XIIe au XVIIIe siècle. Il suffisait qu’une de ces femmes nourrisse un chat noir des environs (sans le posséder) pour être mise au bûcher avec «son» animal. Peu après ces exécutions, des super-pouvoirs thérapeutiques contre certaines maladies ont été attribués aux félins de couleur sombre, mettant encore une fois leur vie en danger. Par exemple, en France, on prétendait que consommer les testicules d’un chat noir (avec du sel) permettait d’éloigner les démons. Au XIIe siècle, une légende disait qu’un cœur de chat noir placé au bras gauche du malade éloigne la douleur.

Une tache blanche qui va s’avérer salvatrice pour l’espèce féline

Seule manière pour les chats –et souvent leur maîtresse– d’échapper à la mort: ne pas être entièrement noir. Ou, autrement dit, avoir une tache blanche. Surnommée «marque de l’Ange» ou « doigt de Dieu », ces quelques poils blancs pouvaient sauver la bête d’une mort certaine. Selon un mythe breton, arracher le poil blanc unique d’un chat noir portait bonheur (au risque de rendre l’animal tout noir et de le condamner...). Voilà sûrement pourquoi, de nos jours, on trouve davantage de chats noirs à tache blanche que de chats entièrement noirs. Une sorte de sélection non naturelle en somme!

Aujourd’hui, nul doute que les chats noirs sont encore victimes de certaines superstitions. Mathilde, auxiliaire spécialisée vétérinaire (ASV) d’une clinique d’Ile-de-France, constate que les chats noirs sont encore des cas à part. «C’est quitte ou double, soit les gens adorent les chats tout noirs, soit ils les détestent parce qu’ils croient qu’ils portent malheur. Il y a rarement de juste milieu», déplore-t-elle. Fraîchement sortie de l’école, Mathilde se souvient d’un cas pratique en examen où il était question de chats noirs. Elle estime qu’il est important que les professions rattachées à l’ordre des vétérinaires soient toujours «sensibilisées aux problèmes que peuvent rencontrer ces chats».

Malheureusement pour eux, la mauvaise réputation des chats noirs ne s’arrête pas aux frontières françaises. En 2007, l’Association italienne pour la défense des animaux et de l’environnement (AIDAA) dénonçait la tuerie dont les chats couleur ébène étaient victimes dans le pays. En Italie, environ 60000 chats noirs étaient tués chaque année, victimes de superstitions persistantes. Au Brésil ou en Espagne, le chat noir est aussi de mauvais augure. Par exemple, si l’animal traverse la rue devant soi, ce serait le signe qu’un malheur est sur le point d’arriver.

Aux Etats-Unis, les chats noirs sont encore victimes de superstitions, mais la situation n’a rien à voir avec celle qu’a connue le pays dans le passé. Voilà l’occasion de rappeler la célèbre nouvelle d’Edgar Allan Poe The Black Cat, publiée en 1843. On y découvre l’histoire d’un personnage violent et alcoolique, propriétaire d’un chat noir symbole de perversité, qui représente dans l’histoire le «démon» rongeant le narrateur. L’antihéros torture ce chat avant de le tuer, et en adopte un autre qui, cette fois-ci, possède une tache blanche sur la poitrine. Et c’est ce chat bicolore qui va permettre à la police de résoudre une affaire de féminicide conjugal. L’animal va leur indiquer comment retrouver le corps caché de la femme du personnage principal dans la maison.

Quand le chat noir est considéré protecteur et porteur de chance dans le monde

Heureusement, le chat noir n’est pas associé au malheur et au diable dans le reste du monde. Vénéré dans l’Egypte antique, le chat est d’abord considéré comme l’avatar du dieu Rê, le créateur de l’univers. Sous la forme d’un chat noir, il est ensuite considéré comme étant une incarnation de Bastet, la déesse du Foyer et de la Protection. Dès lors, en posséder un chez soi est symbole de richesse et de prospérité. A cette époque, tuer un chat est même passible de la peine de mort!

Le Royaume-Uni a décrété le 27 octobre date fériée et dédiée aux chats noirs. Cette célébration intervient en plus de la Journée internationale du chat noir, le 17 août, dans le reste du monde. En Grande-Bretagne, le chat noir est particulièrement apprécié. Une légende populaire selon laquelle la décapitation du roi Charles 1er serait liée à la mort de son félin noir (survenue la veille) témoigne du rôle porte-bonheur qu’on attribuait alors à l’animal.

Du côté asiatique, on trouve le maneki neko («chat qui invite»), célèbre statuette japonaise figurant un chat dodu et souriant assis à la patte droite levée comme un salut de bienvenue, qui trouve sa place dans de nombreux foyers ou commerces. Le plus souvent blanche ou noire, cette petite statue est censée attirer la chance dans le premier cas (blanche), et éloigner des esprits maléfiques et les agresseurs dans le second (noire). Voilà une conception de ses qualités radicalement différente de ce qu’a connu la France, où le chat noir a été considéré comme l’incarnation du diable.

En Afrique, chez les Bantous**, le chat n’a pas de bienfait spécifique attribué, mais il est le seul animal à ne pas être soupçonné de sorcellerie. Et ce quelle que soit sa couleur.

En Floride, aux Etats-Unis, certains refuges animaliers comme le Palm Beach County Animal Care and Control ont décidé d’interdire l’adoption de chats noirs à l’approche d’Halloween pour éviter les maltraitances ou les abandons une fois la fête passée. Et pour cause, des personnes souhaitent en devenir propriétaires le temps d’une soirée pour… parfaire un déguisement de sorcière. Ce qui n’est pas sans rappeler, en France, les opérations d’adoption spéciales chats noirs de la SPA ou de l’association Seconde Chance à l’approche du 31 octobre.

En résumé, please keep calm and love black cats… (s’il te plaît, garde ton calme et aime les chats noirs…).

Cécile Moine

* Il s’agit d’un tribunal relevant de l’autorité du pape dont le but était de combattre les prétendu.e.s hérétiques, c’est-à-dire les personnes qui se revendiquaient chrétiens mais contrevenaient selon l’Eglise, à ses dogmes. L’Inquisition a été créée pour éviter l’arbitraire de la justice seigneuriale ou épiscopale –les aveux étaient le plus souvent obtenus sous la torture. En Europe, on estime le nombre de condamné.e.s à mort à 10000 ou 12000 personnes.

** Les Bantous parlent l’une des 400 langues bantoues pratiquées sur le continent africain. Ils sont répartis du Cameroun aux Comores et du Soudan à l’Afrique du Sud.