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AU BOULOT ! Carrière-salaire-retraite: le trio perdant des travailleuses

Le gouvernement français a annoncé les contours de sa réforme des retraites, qu’il souhaite faire adopter d’ici à la fin du 1er trimestre 2023 en vue d’une entrée en vigueur d’ici à la fin de l’été. Présentée comme plus «juste, notamment pour les femmes», elle comporte de nombreuses données indiquant pourtant le contraire.

«Nous on veut vivre, pas juste survivre…» Sur l’air de I Will Survive de Gloria Gaynor, Les Rosies, affublées de leur bleu de travail et de leur foulard noué en référence à Rosie la riveteuse, ont remis le couvert pour les manifestations contre la réforme des retraites. Collectif constitué d’une majorité de femmes, Les Rosies ont dansé et chanté «pour les femmes, qui triment, qui rament, l’égalité et la fin de la misère des salaires» pour dénoncer le report de l’âge légal de la retraite prévu par le gouvernement.

Car, oui, les chiffres sont bien défavorables aux femmes. Leurs salaires sont en moyenne toujours inférieurs de 22% à ceux des hommes (Insee). Côté retraite, c’est encore pire: leurs pensions de droits directs (c’est-à-dire sans droits dérivés comme la réversion après le décès d’un conjoint) sont inférieures de 40% à celles des hommes (Drees, service des statistiques du ministère du Travail). Les femmes sont aussi majoritaires parmi les personnes touchant les pensions les plus maigres, et le taux de pauvreté des femmes retraitées est sensiblement plus élevé que celui des hommes (10,4% contre 8,5%). Un écart qui a tendance à se creuser depuis 2012, d’après le rapport du Conseil d’orientation des retraites, un organisme consultatif du gouvernement.

Oui, les femmes sont pénalisées d’un bout à l’autre du spectre du travail. La réforme des retraites souhaitée par le gouvernement viendra-t-elle corriger ces injustices et leur sera-t-elle favorable? Rien n’est moins sûr. Pourtant, la Première ministre Élisabeth Borne le soutient: l’objectif est de proposer «une réforme juste, notamment pour les femmes»…

Travail et rémunération des femmes: est-ce que ce monde est sérieux?

La réalité est que les femmes perçoivent les plus bas salaires, ont les carrières les plus hachées, sont celles qui sont les plus contraintes aux temps partiels… Difficile pour elles de prétendre pouvoir partir à la retraite au nouvel âge légal, qui passerait de 62 ans à 64 ans, ET de parvenir à la durée de cotisation de 43 ans pour la percevoir à un taux plein. Ou il faudra accepter une décote, ou il faudra attendre 67 ans, l’âge d’annulation de la décote, qui, lui, est maintenu. Un maintien d’ailleurs utilisé comme l’un des premiers arguments en faveur des femmes par la Première ministre.
Mais «où est donc le progrès?», a répondu dans une tribune pour Le Monde Christiane Marty, ingénieure-chercheuse à EDF, membre du conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic, et coautrice de Retraites: l’alternative cachée (Syllepse, 2013). Actuellement, 60% des femmes parties en retraite l’ont fait après une carrière complète, contre 75% des hommes (Drees). Mais elles sont deux fois plus nombreuses qu’eux à continuer à travailler jusqu’à l’âge de la décote: 67 ans… «Tout recul de l’âge légal de départ signifiera une prolongation de la situation précaire que vivent de nombreuses personnes –parmi elles, une majorité de femmes– entre la fin de l’emploi et la liquidation de la retraite», souligne également la chercheuse et militante. En effet, 37% des femmes de la génération née en 1950 contre 28% des hommes n’étaient plus en emploi l’année précédant leur retraite (Drees), dont la moitié parce qu’elles étaient au chômage, en inactivité, en maladie ou encore en situation d’invalidité.

Que répond le gouvernement face à ces chiffres? Que la durée de carrière des femmes s’allonge progressivement et que les inégalités femmes/hommes se résorbent. Effectivement, l’écart se réduit au fil des générations: il y avait 54 trimestres d’écart entre les femmes et les hommes né.e.s en 1928, contre 33 trimestres pour les personnes nées en 1950 (Drees). Si l’on ajoute les trimestres validés au titre du chômage, de la maladie ou de la maternité, l’écart entre les femmes et les hommes se réduit encore. Il est passé de 41 trimestres pour la génération 1928 à 8 trimestres pour la génération 1950.

Malgré tout, cette réduction est très lente. Selon le Conseil d’orientation des retraites, la pension des femmes devrait atteindre 84% de la pension des hommes en 2037 et augmenter ensuite plus modérément… sans atteindre l’égalité: elle se stabiliserait autour de 90-92% à l’horizon 2070.

Des solutions justes pour enrayer la disparité des retraites

Face à ce constat chiffré, la question qui se pose est de savoir comment il est possible de parvenir à des conditions plus égalitaires pour les femmes à la retraite. Selon l’économiste Anaïs Henneguelle, pour cela «il faudrait agir à la fois en amont et en aval». En amont, «on peut stimuler le taux d’activité des femmes (dans ce cas, il faut agir sur les modes de garde, qui sont le principal frein actuel) ou on peut baisser celui des hommes (en les incitant à prendre des congés parentaux), et on peut lutter contre les discriminations salariales», écrit-elle dans la newsletter féministe Les Glorieuses. Encore aujourd’hui, une femme sur deux réduit ou cesse complètement son activité professionnelle à l’arrivée d’un enfant, quand c’est le cas pour seulement un homme sur neuf… En aval, «on peut calculer différemment les pensions pour mieux prendre en compte la situation inégalitaire vécue par les femmes sur le marché du travail, par exemple en majorant les périodes de temps partiel, ou on peut supprimer le mécanisme de la décote, qui conduit à une “double peine” pour les femmes», ajoute l’économiste.

Pour l’ingénieure-chercheuse Christiane Marty, il est aussi nécessaire de remettre en question le modèle économique: «On ne peut pas continuer comme ça, à dire qu’il faut travailler plus, plus longtemps, et qu’il faudrait produire plus pour redistribuer plus! La dégradation de la planète et du climat oblige à reconsidérer ce qu’on produit, à prioriser les productions utiles, celles qui répondent aux besoins sociaux et environnementaux, et à changer de vision. L’enjeu des retraites, c’est tout à fait lié à l’enjeu féministe et écologiste.»

Mathilde Doiezie