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À LA FERME Mathilde Roger-Louët, paysanne écoféministe

De gauche à droite: Inès de Rancourt, éleveuse de chèvres dans la Drôme (26) Emilie Serpossian, chargée de production des films Hector Nestor et Mathilde Roger-Louët, paysanne glacière à Avessac (44).

Portrait Mathilde Roger-Louët, paysanne écoféministe
C’est avec un talent naturel que Mathilde Roger-Louët, 36 ans, transforme le lait de ses vaches en glaces et en crèmes dessert depuis sa ferme-laboratoire familiale à Avessac, en Loire-Atlantique. Elle était de la 1re édition du Salon des agricultrices, qui s’est tenue les 4 et 5 mars à Pantin (Île-de-France). La paysanne glacière y animait l’atelier ciné-débat sur le documentaire Croquantes qui traite de la condition des agricultrices et des paysannes en France. Elle est l’une des protagonistes du film.

Si vous demandez à Mathilde Roger-Louët ce qu’elle pense du métier de paysanne, elle vous répondra avec entrain: «C’est trop chouette!» A 10km de Redon, dans la région d’Avessac, la ferme Saint-Yves voit s’épanouir un troupeau d’une soixantaine de vaches laitières et… leurs propriétaires. Mathilde et son mari Yohann Louët sont connus dans la région pour leurs glaces, sorbets et pâtisseries maison. Convertie au bio en 2009, la ferme familiale est voisine du laboratoire où Mathilde transforme le lait de ses vaches en produits finis. «Au départ, c’est Yohann qui a eu l’idée de passer la ferme en bio. Puis quand je l’ai rejoint, en 2018, j’ai eu envie de lier notre activité à la pâtisserie et à la glacerie, car ça m’a toujours intéressée», explique la jeune femme en réajustant son bonnet. Titulaire d’un BTS dans le transport routier de marchandises, Mathilde n’est certes pas issue du monde agricole, mais elle côtoie le secteur de la glacerie depuis l’époque des jobs étudiants.

La ferme Saint-Yves vend ses crèmes dessert dans le cadre de la restauration collective. C’est-à-dire aux EHPAD, aux CHU et aux écoles. «A côté de chez moi, une école est à 60% de produits locaux et bios. Passer de 60% à 100%, c’est faisable!», s’exclame la paysanne. Et d’ajouter: «L’idée est de prouver que, malgré la cherté du bio, la carte des restaurants collectifs peut être 100 % bio et locale.» Et même si Mathilde et son mari livrent occasionnellement sur la côte guérandaise, le couple privilégie les restaurants locaux. La paysanne est également membre du réseau Manger bio 44, une communauté de producteurs du département nantais qui fournit les cuisines de restauration collective de plusieurs départements.

Le matin, du côté d’Avessac, Mathilde se lève vers 6h30 pour passer un peu de temps avec son aînée avant qu’elle prenne la route pour le collège. La paysanne réalise ensuite quelques tâches ménagères pendant que son mari s’occupe de traire les vaches. Dernière étape avant de s’installer dans son laboratoire, elle s’occupe de la cadette et la dépose au car.

«Je ne suis pas là pour exploiter mais pour travailler avec du vivant, dans le bien-être des animaux et des salarié.e.s»

Lorsqu’on lui demande la différence entre agricultrice et paysanne, Mathilde ne peut pas s’empêcher de sourire. «C’est le sujet de grand débat dans les instances agricoles», déplore-t-elle. Yoann, son mari, s’est même vu reprocher l’utilisation du terme “paysanne” par des collègues qui le trouvaient dégradant et dépassé. Mathilde n’a pas peur, bien au contraire, de dire qu’elle en est une. Si les méthodes utilisées par les agriculteurs et les paysans ne s’opposent pas forcément (par exemple, les deux peuvent décider de cultiver la nourriture de leurs bêtes directement à la ferme), c’est plutôt la philosophie du métier qui diffère: «C’est l’idée d’être “cheffe d’exploitation” qui me gêne. Je ne suis pas là pour exploiter mais pour travailler avec du vivant, dans le bien-être des animaux et des salarié.e.s. Je me revendique complètement paysanne écoféministe», conclut-elle.

Loin de se cramponner aux mots sans agir, la glacière se montre aussi très active dans la lutte pour une valorisation du travail des femmes dans le monde agricole. Ça commence, naturellement, par la volonté d’être formée au même titre que les hommes, ce qui n’est pas forcément le cas actuellement. «Quand on est issue d’une famille agricole, les garçons sont plus sollicités pour aider le père que les filles, donc elles arrivent en formation avec moins de compétences», raconte Mathilde, qui le constate lorsqu’elle se rend dans des lycées agricoles pour échanger sur le métier. Dans la continuité du problème, il n’y a pas de module «conduite de tracteur» dans les formations agricoles. «Et, alors que les garçons ont appris au côté du père, les filles arrivent et en sortent souvent sans savoir le faire», déplore-t-elle. Pour faire bouger les choses, Mathilde et ses congénères membres du groupe Femmes du Civam 44 (Centre d’initiative pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) organisent des ateliers en non-mixité et y participent. Récemment, elles ont créé un «module conduite de tracteur» au cours duquel les femmes ont pu apprendre la maîtrise de l’engin ou la perfectionner. Les avantages de ces ateliers 100% féminins vont de la libre parole à la bienveillance, en passant par l’absence de jugement et de paternalisme.

En plus de ces activités, la paysanne écoféministe est très fière d’avoir contribué à certaines modifications de pratiques à la ferme Saint-Yves: «Quand je suis arrivée, j’ai tout de suite voulu apporter une valorisation, c’est-à-dire transformer le lait de nos vaches en produit fini.» Par ailleurs, elle a préféré remplacer les anesthésies générales de ses veaux par des anesthésies locales afin de les écorner sans risque majeur pour leur santé. Les apports de la paysanne à sa ferme confirment les résultats de l’étude du Civam «Contribution des agricultrices au renouvellement des métiers agricoles» de 2015, selon laquelle les femmes n’hésitent pas à combiner plusieurs activités tout en conservant une sensibilité qui leur est propre. Toujours soucieuse du bien-être de ses animaux, Mathilde est partie se former le 13 mars en acupuncture, deuxième session le 11 avril, pour pouvoir écorner les veaux le plus naturellement possible.

Elles échangent sur la faible reconnaissance de leur travail par la profession à l’occasion de réunions mensuelles en groupe de travail non mixte

C’est précisément au sujet de ces apports propres aux femmes et de leur considération au sein du corps professionnel que Mathilde est venue au Salon des agricultrices (et non pour vendre ses produits) le weed-end du 4 mars. Avec d’autres femmes travaillant dans le milieu agricole, elle a répondu aux questions posées par le public après la projection du documentaire Croquantes auquel elle a participé. Le film a été réalisé par Tesslye Lopez et Isabelle Mandin. Produit par les films Hector Nestor, il suit l’aventure de dix agricultrices de générations différentes en Loire-Atlantique. Elles échangent sur la faible reconnaissance de leur travail par la profession à l’occasion de réunions mensuelles en groupe de travail non mixte. Avec la volonté de mettre en avant les femmes et les habitant.e.s du monde rural, les deux réalisatrices n’ont pas hésité à solliciter la chorale de femmes Plurielles et les musiciens de l’Anglais pour la bande-son du documentaire.

Non disponible sur les plateformes, le film, d’environ une heure, est projeté à l’occasion des rencontres ciné-débat organisées partout en France par l’équipe de réalisation. Environ 80 dates sont arrêtées pour 2023, chacun pourra ensuite faire part de ses remarques ou poser des questions aux intervenantes venues pour l’occasion. Juste après la séance du dimanche 5 mars au Salon des agricultrices, c’est avec le sourire aux lèvres que Mathilde a discuté de la rencontre avec les spectateurs du jour, accompagnée d’Emilie Serpossian, chargée de production des films Hector Nestor, et d’Inès de Rancourt, paysanne présidente du Civam de la Drôme. «Les questions posées par les spectateurs sont toujours très intéressantes. Par exemple, ils nous demandent souvent l’intérêt des groupes en non mixité. On essaie de leur faire comprendre qu’ils sont fondamentaux pour les femmes souhaitant acquérir des compétences techniques sans être jugées par des hommes.» Et tout le monde y gagne, selon Mathilde: «Quand nos homologues masculins voient ce qu’on a appris à faire en non-mixité, ce sont eux qui nous poussent à refaire des formations entre femmes.»

Cécile Moine