← Retour Publié le

LGBTQIA+ Les ateliers d’écriture inclusifs de Lou Gasparini

Diplômée d’un master de création littéraire, Lou Gasparini, 25 ans, a créé et anime des ateliers d’écriture d’un nouveau genre. Parce que Lou s’amuse de tout, elle joue des mots pour provoquer l’envie d’écrire chez les autres. Dans un cadre bienveillant, elle adapte les thèmes de ses ateliers (écologie, alimentation…) aux lieux qui l’accueillent. Et quand on lui demande ce qui l’anime, Lou répond: «Je veux écrire et faire la révolution.» Rencontre avec une jongleuse de mots engagée.

Qui êtes-vous, Lou Gasparini?
J’ai 25 ans, et j’ai lancé mes premiers ateliers d’écriture. Avant ça, j’ai eu mention «très bien» au bac, je suis allée en licence de lettres et en master, j’ai redoublé mon M2 (deuxième année de master), mais c’était pour faire un stage et un mémoire donc tout était très bien, et fait «dans les règles». J’ai été embauchée là où j’avais fait mon stage et j’ai «bien travaillé» comme «un bon petit soldat» pendant huit mois… Puis j’ai fait deux burn out.
Au bout d’un moment, je n’en pouvais plus et j’ai quitté mon emploi. Il fallait que je fasse ce que j’ai toujours voulu faire: écrire. Parce qu’on gagne rarement sa vie en écrivant, l’activité numéro un de l’écrivain.e est d’animer des ateliers d’écriture. Même quand on est publié.e, ce qui n’est pas encore mon cas. Pour me présenter: je veux écrire et faire la révolution.

Vous avez un master de création littéraire, qu’avez-vous appris?
Il existe trois masters de création littéraire en France. J’étais dans celui de la recherche en création littéraire. L’idée est d’améliorer son écriture, de s’inscrire dans une lignée d’écrivain.e.s ou dans un mouvement et, surtout, d’être en capacité de réfléchir à sa production, de pouvoir l’expliquer, et de savoir ce qu’on fait quand on écrit. Dans mon cursus, on a suivi des cours de littérature, de lettres et des ateliers d’écriture, et on a aussi eu une formation à l’atelier d’écriture. C’était très chouette. En groupe, on peut discuter avec les autres personnes qui écrivent. C’est un bon moyen de pratiquer et d’améliorer son écriture.

Pouvez-vous présenter vos ateliers?
Pour l’instant j’en ai quatre et bientôt je vais animer un atelier d’écriture pour les élèves de mon ancien lycée. Parmi les ateliers que je propose en ce moment, il y en a un sur le thème «Si le monde était queer, je lui prêterais ma voix», qui se déroule au Cabaret des Merveilles, un bar queer-féministe parisien qui a ouvert en mai 2023. C’est une équipe très chouette, qui m’a tout de suite fait confiance. L’objectif est de pouvoir écrire en non-mixité queer, de pouvoir se sentir libre d’écrire sans être jugé.e et de parler de nos sujets. D’ailleurs, j’ai organisé une séance d’écriture spéciale hier soir [le 15 janvier, NDLR]. C’était une séance sur le thème de l’érotisme car j’aborde un peu tous les sujets. Un autre de mes ateliers «Littérature et écologie, comment écrire de nouveaux récits?» va reprendre en février. J’en propose aussi un sur la nourriture. C’est très drôle d’écrire sur la nourriture! Il y a beaucoup de littérature sur le sujet, et ça m’a donné envie d’en créer un. Et puis je propose aussi l’atelier «Recycler les mots et les objets», pendant lequel on n’écrit pas tellement sur le recyclage, mais où on utilise des techniques de recyclage pour écrire. Par exemple, on travaille à partir de cadavres exquis qu’on fait sur place, ou bien j’imprime des textes et on les «caviarde». C’est-à-dire qu’on efface, qu’on supprime ou qu’on recouvre des parties du texte pour en conserver des petits bouts, et ça crée un autre texte.

Vous organisez des ateliers dans un bar queer en non-mixité et vous êtes vous-même lesbienne. Avez-vous ressenti le besoin de mener des ateliers dans ce contexte?
Oui. J’ai fait mon coming out à 15 ans, je suis «officiellement» lesbienne depuis que j’ai 17 ans, et j’ai toujours été entourée de personnes LGBT. Je n’ai jamais vraiment fait partie de la communauté dans le sens où je n’ai pas fréquenté les bars ou des espaces particulièrement queer, et ça me manquait un peu. Quand j’ai découvert que Le Cabaret des Merveilles venait d’ouvrir dans le 6e arrondissement (ce bar avait l’air super cool), j’ai envoyé des messages pour proposer un atelier d’écriture. J’ai donc animé mon premier atelier. Il y avait 8 personnes. J’étais hyper stressée, mais ça s’est hyper bien passé. C’était incroyablement génial.

Il y a une demande de ce type d’ateliers selon vous?
Oui. A la Mutinerie (Paris 3e), un autre bar lesbien parisien, il y a aussi un atelier d’écriture. Ce sont, à ma connaissance, les deux seuls ateliers du genre. Quand on participe à un atelier d’écriture, on le fait pour se mettre à l’écriture ou pour avoir un cadre. Les personnes qui viennent veulent s’assurer qu’à un moment elles vont pouvoir écrire. Elles sont super contentes de venir. Je pense à deux quinquas qui sont venues, et qui m’ont remerciée très chaleureusement. L’une d’elles écrit des textes érotiques, mais elle ne les partageait pas beaucoup jusqu’à maintenant parce qu’elle ne savait pas où les écrire et avec qui les lire. A cet âge-là, c’est un peu difficile d’écrire des textes érotiques car, déjà, ce n’est pas commun. Quand on est lesbienne, c’est encore plus difficile, parce qu’on n’est pas beaucoup représentées dans la culture ou dans l’histoire de l’art. Aussi parce que, pour lire ce genre de textes à haute voix, il faut pouvoir être sûre que tu ne vas pas être face à des homophobes ou à des gens qui vont te fétichiser. L’atelier devient un espace où chacun.e peut s’exprimer librement et se genrer de la manière souhaitée, sans avoir peur du jugement. Résultat, les participant.e.s sont content.e.s de pouvoir écrire ce qu’elles et ils ont dans la tête, et dans leur monde. On me dit attendre à chaque fois avec impatience de venir à mes ateliers, et ça me fait très plaisir!

Pourquoi et comment choisissez-vous les thèmes de vos ateliers?
L’été 2023, quand j’ai décidé de lancer cette activité, j’ai envoyé des mails partout en proposant des ateliers d’écriture. Au début, on m’a massivement répondu «non» dans des librairies et des bibliothèques. Alors, j’ai cherché des lieux de programmation culturelle. J’ai reçu des réponses positives, et quand on me questionnait sur les thèmes de mes ateliers, je répondais que je ce serait du sur-mesure. Dans un café associatif, qui est une recyclerie, j’ai proposé un atelier sur le recyclage. Pour un restaurant tourné vers l’alimentation durable, j’ai animé un atelier sur les thèmes de la nourriture et de la littérature. Pareil pour le café culturel et lieu écolo Mob Hôtel, j’ai créé l’atelier «Littérature et écologie, comment écrire de nouveaux récits?». Ça faisait longtemps que je voulais travailler sur les nouveaux récits, j’étais super contente. Pour le bar queer, je m’adapte aux lieux où je vais, et dans des endroits qui m’intéressent. Je ne vais pas n’importe où non plus. J’aime avoir à réfléchir sur différents thèmes et concevoir des consignes spécifiques. Je sais que les gens qui viennent sont intéressés par l’écriture ET par la thématique, et que ça promet des discussions captivantes et des textes intéressants.

Avez-vous eu un besoin d’écrire à un moment, et si oui, pourquoi?
J’écris depuis que j’ai 8 ans – et je sais lire depuis que j’ai un an et demi. J’ai toujours écrit, mais je ne lisais pas tant que ça. Au début, j’écrivais de petites histoires, puis des poèmes. Petit à petit, j’ai commencé à écrire des choses différentes. Ça m’est venu hyper naturellement. Je n’ai jamais arrêté d’écrire.

Ça m’a beaucoup aidée quand j’étais pré-ado, très déprimée et avec, parfois, des idées noires (pensées suicidaires). Ecrire m’a permis de sublimer tout ça. J’écrivais beaucoup de fictions, ça m’aidait à vivre autre chose et à gérer mes émotions parce que j’en ai trop, et je les gère très mal. Ecrire m’a permis de réunir tout ce qu’il y avait dans ma tête et de le noter quelque part. Ça fait taire mon cerveau quand j’écris: je fais quelque chose de tout ce qui sort de ma tête. Je ne m’arrête jamais d’écrire.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans vos ateliers?
Tout! Et comme j’ai du mal à écrire depuis quelque temps –je me remets de deux burn out–, j’écris en même temps que les gens dans mes ateliers en me concentrant moi aussi sur les consignes. Cela me permet d’écrire et j’en suis super contente. Et puis, j’adore rencontrer des gens, c’est une des passions de ma vie. Avec les ateliers, j’en rencontre plein, ce que je trouve enrichissant et passionnant. Et puis, j’adore inventer des challenges d’écriture (thèmes, consignes…). Il y en a que je lance juste parce que c’est drôle, comme les cadavres exquis. Je sais qu’on va s’éclater. J’aime bien jouer avec les consignes et voir ce que ça déclenche chez les autres, et j’aime aussi voir les gens se les réapproprier. Je trouve ça vraiment génial.

Qui sont les personnes qui viennent aux ateliers et celles que vous aimeriez y voir?
C’est assez éclectique. Des gens viennent parce qu’ils fréquentent le lieu et qu’ils voient passer l’information. De manière assez générale, ils ont de 20 à 30 ans. Ce sont des jeunes assez engagé.e.s, qui n’avaient jamais montré leurs textes auparavant. Sinon, je ne sais pas trop qui j’aimerais voir à mes ateliers. Je n’ai pas d’attente particulière hormis que les personnes aient vraiment envie d’écrire. L’objectif est d’arriver à un produit fini. Pour l’atelier «Si le monde était queer, je lui prêterais ma voix», on va bientôt faire une restitution publique de nos textes. Pour l’atelier sur l’écologie, un recueil manifeste sur le nouveau récit est prévu. Je souhaite que les personnes qui viennent soient également porteuses de projet. Je ne souhaite pas être la seule à faire cela: je ne suis pas prof, et ce n’est pas le but.

Comment préparez-vous vos ateliers d’écriture?
Dans les grandes lignes. J’envoie un dossier auquel je peux me reporter, qui comporte un texte d’introduction, des consignes, différents thèmes, etc. Pour l’atelier sur l’écologie, je reprends des consignes mises en exemple ou bien j’en crée d’autres. De manière générale, je me pose quelques jours avant ou le jour même de l’événement, je prends un carnet et je réfléchis à plusieurs choses: qui va venir, combien de personnes, si je les connais ou non, puis j’écris un texte d’introduction en choisissant un thème. Le dernier était, par exemple: «Inventer un nouveau langage avec les mots qu’on a déjà ». A chaque fois, je suis un fil conducteur.

En avez-vous déjà suivi vous-même?
J’étais en CM2 quand j’ai suivi mon premier atelier d’écriture. J’étais passionnée par ça. C’était génial, et j’en ai fait pendant deux ans. Après j’en ai beaucoup suivis à la fac, et avec des potes. J’ai toujours un stylo et un carnet sur moi. Si je vois un atelier d’écriture, je suis toujours prête à y aller!

Des projets?
Oui, des ateliers d’écriture qui doivent se tenir deux fois par semaine dans mon ancien lycée. Pour l’instant je travaille au développement de mon activité. J’aimerai animer des ateliers chaque semaine et me remettre à écrire –notamment sur mon projet de dictionnaire amoureux d’une génération militante.

Peut-on en savoir plus sur ce dictionnaire amoureux?
C’est une sorte d’encyclopédie du militantisme avec des définitions poétiques du cercle engagé dans lequel j’évolue ou j’ai évolué. Je l’ai commencée en master pour mon mémoire. L’idée est de faire ressortir l’esprit de communauté militante, et de la montrer telle quelle. Mon projet d’écriture absolu est de changer le regard de la société sur les militant.e.s et les jeunes. Le monde va droit dans le mur et, pour moi, les revendications des jeunes personnes engagées sont à écouter.

Quels sont les prochains ateliers?
Le 14 février, j’organise une session «Recycler les mots et les objets» au café-atelier La Trockette, à Paris 11e. L’atelier démarre à 19 heures et dure environ deux heures. Et le 19 février, je suis au Cabaret des Merveilles (Paris 6e), pour animer «Si le monde était queer, je lui prêterais ma voix», un atelier qui se déroule sur trois heures.
Océane Laffay, stagiaire

Contact pour les ateliers et tarifs
Pour vous tenir au courant de l’actualité de Lou Gasparini, vous pouvez vous inscrire sur son site unelouvedepapier.fr afin de recevoir sa newsletter. C’est nouveau! Le premier numéro vous sera envoyé en février. Vous pouvez aussi retrouver Lou sur Instagram: @lou_gasparini et/ou la contacter par mail: lougasparini1998@gmail.com

Du côté des tarifs pratiqués, l’atelier sur le recyclage et celui sur le thème «Si le monde était queer, je lui prêterais ma voix» sont à prix libre (participation minimum conseillée: 10€). Ceux sur la nourriture et l’écologie sont fixés, eux, à 12,50€ par atelier. Et si vous n’avez que peu ou pas d’argent du tout, vous pouvez en discuter par message avec Lou.