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QUELLE FEMME ! Stéphanie Lisicki

Ce chariot roulant à poignées permet à l’un des pensionnaires de Suzy Handicap Animal, l’association créée par Stéphanie Lisicki, de suppléer à l’amputation de trois pattes de ce chien, dont les deux membres supérieurs. Ainsi accompagné par l’association, et par un.e adulte, ce chien peut quand même profiter de promenades en plein air à son rythme !

Refusés par des structures ou abandonnés, Stéphanie Lisicki assure une fin de vie digne aux animaux handicapés dans un «centre familial». Elle travaille à leur bien-être avec son association Suzy Handicap Animal, créée avec son conjoint en 2014 à Montreuil-au-Houlme, dans le Calvados (62). L’objectif, financer les soins et les appareillages de 300 animaux et leur faire vivre leurs dernières années à l’abri. Malgré la charge de travail et le manque de moyens, Stéphanie consacre sa vie à faire changer le regard des gens sur le handicap animalier. Et ça marche, le refuge installe prochainement sa propre clinique vétérinaire!

Pouvez-vous nous présenter Suzy Handicap Animal?
Nous sommes une association de la loi 1901 et un centre de soins vétérinaires créé il y a dix ans [en avril 2014]. Le but est de soigner les animaux qui sont rejetés par la plupart des établissements, soit parce que les gens n’en veulent pas, soit parce qu’ils nécessitent des soins beaucoup trop élevés pour eux et/ou besoin d’une présence jour et nuit pour pouvoir s’en occuper. On accueille du plus petit au plus grand, des souris aux chevaux, on essaie de faire un paradis pour eux. [Environ 300 animaux sont pris en charge par l’association: chiens, chats, lapins, cochons d’Inde, chevaux, poneys, ânes, vaches, moutons et chèvres, NDLR.]

Sur votre site, vous expliquez que la création du refuge est un hommage rendu à votre jument Suzy…
J’ai grandi avec des animaux qui sont physiquement différents depuis que je suis toute petite. C’est notamment dû à leur pathologie. On m’a toujours dit qu’il fallait plus de tolérance envers ces animaux-là et davantage les aider. J’ai été éduquée comme ça. En grandissant, j’ai voulu faire la même chose que mes parents mais à une plus grande échelle. J’ai travaillé longtemps dans une clinique vétérinaire, mais ce n’est pas toujours très gai, c’est l’envers du décor. Quand j’étais petite, j’avais une jument, Suzy, qui était lourdement handicapée. J’ai moi-même de graves soucis de santé. En voyant ma jument avec d’autres animaux, j’ai eu un déclic: ces animaux avec deux, trois pattes ou qui ont d’autres problèmes de santé, faisaient comme si de rien n’était, et étaient quand même joyeux! Ça m’a vraiment fait prendre conscience qu’il fallait faire quelque chose pour ces animaux-là. Ils ne perçoivent pas le handicap comme l’humain peut le percevoir, ils ne se plaignent pas comme l’humain, eux sont toujours contents et joyeux malgré tous leurs soucis.
Malheureusement, Suzy est décédée au bout de quinze années passées à mes côtés. Je me suis dit qu’il fallait créer quelque chose pour éviter l’euthanasie, pratiquée quotidiennement pour beaucoup de ces animaux. Car il n’existe pas de structures de soins. Il a fallu créer quelque chose pour l’ensemble des animaux handicapés. Le but est de créer un centre où on peut les accompagner, de A à Z, jusqu’à la fin de leur vie.
En créant ce lieu, on avait comme but de monter un centre familial. On ne voulait pas qu’il y ait des chiens enfermés en boxe ou des chats dans de petits espaces… On a donc réalisé une maison XXL, il y en a même plusieurs. C’est comme un petit village, avec même des noms de rues pour rendre cela plus gai! C’est vraiment très joyeux, ils se sentent vraiment chez eux. Le but c’est qu’on vive chez eux et non l’inverse. La quasi-totalité des animaux (98%) restent à vie à la maison, seulement une très petite partie d’entre-eux peut éventuellement être proposée en contrat «bonne-mère/bon-père» de famille, mais c’est extrêmement rare. On les compte sur les doigts d’une main car, vu la pathologie des animaux, c’est quasiment infaisable de les placer dans des familles «normales». Alors on les garde. C’est sécurisé, ils bénéficient d’accompagnement, d’affection et de soins jour et nuit. Ils ont un suivi médical très poussé. Et plus les années passent, plus on fait de l’accompagnement en fin de vie: les animaux arrivent pour quelques jours ou quelques mois.

Votre projet de créer votre propre clinique vétérinaire, où en est-il?
On est en train de monter une structure pour faire une clinique vétérinaire interne au centre, c’est-à-dire que les vétérinaires ne seront plus en dispensation [Ce qui doit améliorer la prescription et la délivrance des médicaments vétérinaires et le suivi des animaux, NDLR.]. Ils seront salariés pour pouvoir s’occuper des animaux, comme ils le font maintenant, mais sous une autre forme. Là on a déjà les salles de soins, on est très équipé.e.s au niveau médical. Le but est de créer chez nous la même structure qu’une clinique vétérinaire avec un bloc de chirurgie et tout ce qu’il faut.

Souhaitez-vous étendre ce concept et ouvrir d’autres centres et/ou que d’autres puissent le faire?
Il faut vraiment être médicalisé, c’est très important de savoir que si on créé ça, on n’a plus de vie, c’est du 7/7 jours. On ne ferme jamais: il faut être là jour et nuit. On voudrait faire un centre entièrement médicalisé et pouvoir s’ouvrir à des personnes extérieures qui ont des animaux handicapés pour pouvoir les aider. Créer d’autres centres ne fait pas partie de nos projets, parce qu’on a déjà tellement de travail en interne! On n’a pas de vie, donc, ce n’est pas notre but. Ce qu’on veut, c’est monter un pôle complet du handicap animalier où les gens puissent venir accompagner leur bêtes amputées ou invalides –et leur éviter l’abandon.
Si d’autres structures sont créées, je pense que ce doit être fait par des vétérinaires. J’ai travaillé en chirurgie comme assistante vétérinaire, je baigne dedans depuis que je suis toute petite, et nous travaillons avec des vétérinaires au quotidien. Si certains parmi eux se lancent dans la création d’un centre, ça peut être une très bonne idée, avec une organisation de roulement jour et nuit.

Chaque année, vos frais de fonctionnement s’élèvent à 700 000€. Comment faites-vous pour réunir cette somme?
C’est extrêmement compliqué, nous avons financé la structure à titre privé avec mon conjoint, pour créer le centre et acheter le terrain qui était à l’abandon, à l’époque. Il a fallu faire tous les travaux. Comme on n’a pas de financements, on crée tout nous-même, les travaux on les fait à la main, en famille. Mais il faut aussi gérer le centre, alors on essaie de demander des dons aux particuliers et de faire du mécénat auprès de différentes entreprises mais c’est extrêmement compliqué. La cause que l’on défend est encore taboue, alors on a beaucoup de mal à lever des fonds.
Beaucoup de gens nous suivent sur les réseaux sociaux par curiosité, pour voir à quoi correspond le handicap animalier, ça intrigue parce que c’est quelque chose que les gens ne connaissent pas. Mais de là à nous faire un don, c’est plus compliqué. J’arrive à trouver des sous, mais j’ai des dettes. Le but c’est d’arriver à soulever plus de fonds pour pouvoir souffler, parce que c’est un stress quotidien monstrueux. Le montant est très élevé. Quand un animal arrive, ça peut coûter de 2000 à plus de 10000€. Chacun a un budget mensuel dédié, mais il faut aussi compter les frais d’entretiens dont ceux de l’infrastructure, les charges des salarié.e.s, on est plus de dix au total. On veut sensibiliser les gens à ne pas systématiquement faire euthanasier leur animal handicapé, mais de réfléchir aux possibilités de les aider. Et aussi montrer qu’un animal peut ressentir de la peine, de la douleur, de la joie: ce n’est pas un objet mais un être vivant.

Comment et par qui sont réalisés les appareillages* des animaux dont vous vous occupez?
On travaille avec des orthoprothésistes, qui réalisent des prothèses pour animaux, et des sociétés qui font des orthèses –mais 90% de celles que nous avons, nous les avons nous-même créées, qu’elles soient en 3D ou en fibre de carbone, et destinées à un chat, un chien ou à un animal de la ferme.

Est-ce que les animaux s’adaptent facilement aux prothèses et autres?
Ça dépend des animaux, la plupart intègrent facilement la prothèse, on récupère aussi beaucoup d’animaux qui sont amputés, et certains n’en veulent pas. Ils ne supportent pas le contact avec le moignon à cause de la mauvaise expérience qu’ils ont vécu. Certains peuvent garder en mémoire la douleur fantôme du moignon, et n’accepterons pas la prothèse qui peut réveiller une douleur passée. Mais d’autres l’acceptent sans soucis (95%). On s’adapte à chaque animal. Les animaux vivent en groupe, ce qui facilite l’acceptation de la pathologie. L’animal accepte beaucoup mieux son handicap avec ses copains, et va les suivre. Quand un animal arrive, une fois qu’il a terminé sa quarantaine sanitaire, on l’intègre avec les autres. C’est lui qui va se mettre là où il en a envie, avec les animaux qu’il aime bien.
Quand on reçoit des visites, on fait attention parce qu’ils ne les connaissent pas. On demande aux personnes de faire très attention, de ne pas les déranger ou de forcer un animal à venir vers elles. On a énormément de demandes de visites, beaucoup de gens ne connaissent pas le handicap et viennent pour se rendre compte de ce que c’est. On fait aussi beaucoup de sensibilisation auprès des écoles parce qu’il y a beaucoup de maltraitance, malheureusement, de la part de jeunes enfants. On travaille également avec des personnes handicapées, on fait beaucoup de rencontres. Les gens doivent réaliser ce que l’humain a pu faire et à quel point l’animal peut vivre, et vivre mieux, même après avoir vécu l’enfer. C’est ce qu’on essaie de faire au quotidien, montrer qu’avec de la bonne volonté et une bonne équipe on peut arriver à rendre les animaux heureux malgré tout ce qu’ils ont pu vivre.
Des gens se disent qu’un animal handicapé égale un mouroir et de la tristesse. C’est vrai, quand un animal arrive, on voit des choses monstrueuses, mais on peut arriver à passer au-dessus et leur offrir plein de bonheur. Et pourquoi on va dépenser des milliers d’euros pour les soigner? Hé bien, parce qu’on part du principe que quelque soit l’animal (souris, cheval, rat, lapin…), on appliquera le même protocole peu importe le coût. Et ce, même si l’animal ne vivra pas longtemps: on doit soulager ses douleurs et l’aider jusqu’au bout. C’est encore tabou en France, on essaie de faire comprendre que les animaux, eux aussi, ont le droit à une fin de vie digne, au même titre que les humains.
Océane Laffay

* Prothèses, orthèses, attelles, ortho-prothèses…, il existe plusieurs solutions pour pallier au handicap animalier selon les pathologies, l’espèce, la taille et le poids.

En savoir plus
Si vous souhaitez rejoindre l’association comme membre, parrain.e, famille d’accueil, bénévole, adoptant.e, vous pouvez contacter Stéphanie Lisicki de différentes façons:
La contacter par téléphone : +33(0)6 64 72 21 55
Pour lui envoyer un mail
Lien vers le site de Suzy Handicap Animal