← Retour Publié le

5 QUESTIONS ET + À… Camélia Kheiredine, journaliste

A 28 ans, Camélia Kheiredine, ex-rédactrice en cheffe d’Etiquette sur France TVSlash fait déjà une pause de son métier passion, le journalisme. Elle témoigne le 30 novembre aux premiers Etats généraux de la presse indépendante de son expérience malgré elle des CDDU, ces contrats hors la loi dont elle ne veut plus.

1) Tu peux te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Camélia Kheiredine, j’ai 28 ans, j’habite depuis toujours dans le 94. Concernant mon parcours, j’ai passé cinq ans en fac dans le domaine de la recherche sur les médias. J’ai toujours voulu être journaliste dans un coin de ma tête, mais je n’avais pas le réseau nécessaire, les moyens… alors j’ai toujours retardé le moment de me dire: «OK, Camélia. Maintenant, tu peux y aller.» Après ces cinq ans passé en fac, je me suis dit qu’il fallait que je pratique. Je me suis inscrite en école de journalisme –bien sûr en alternance, car je n’avais pas les moyens de me payer une école. C’est comme ça que j’ai intégré la formation de journaliste-reporter du CFPJ (Centre de formation professionnelle des journalistes): j’étais en alternance chez France TVSlash, la plateforme numérique de France Télévisions dédié aux jeunes adultes. J’y suis restée quatre ans, jusqu’à juillet dernier. J’ai eu d’autres expériences, mais la principale reste celle chez France TVSlash.

2) Quand tu dis que tu as toujours rêvé de devenir journaliste, tu te souviens du moment exact ?
C’est à la fac que j’ai commencé à développer mon esprit critique. J’étais à Paris-8, c’est une fac ultra engagée, ultra politisée. C’était la première fois que je mettais des mots sur ce que je vivais, sur les discriminations, mes oppressions… Ce sont des profs, excellents, qui m’ont poussée vers l’écriture. C’est quelque chose que j’adorais.

En réalité, je rêve d’être journaliste depuis toujours. Au collège, j’avais déjà ça en tête. Parce que issue de quartiers populaires, parce que je voyais bien que le rapport entre les jeunes de quartiers et les médias est ultra méfiant –des deux côtés. Le déclic s’est fait quand j’étais au lycée. Le mien était très mal réputé dans le 94, et on faisait souvent les unes des journaux mais du côté faits divers. Le traitement médiatique était toujours catastrophique. A un moment donné, je me suis dit: «Bah, pour qu’on parle mieux de nous, il faut peut-être que j’intègre ce milieu-là.»

3) En parlant d’engagement, tu as rejoins l’AJAR, association de journalistes antiracistes et racisé.e.s…
Oui, j’ai rejoint l’association rapidement. Cela s’est fait naturellement. De manière générale, je prends souvent la parole sur mes réseaux sociaux. Notamment sur X, où je suis très suivie par des plus jeunes, issu.e.s de quartiers populaires ou très pauvres. Sur les réseaux, j’ai témoigné plusieurs fois d’un certain mépris de classe, de discriminations venant du fait que je viens d’un quartier populaire. J’ai eu la chance de ne pas avoir entendu beaucoup de paroles racistes parce que je suis Maghrébine. Mais tout est lié, c’est intersectionnel, quand on va me parler de mon «accent de banlieue», me définir comme une «wesh wesh» [qui ponctue toutes ses phrases par «wesh»], je sais qu’on me parle de tout un imaginaire derrière.

Très vite, j’ai rejoint l’association parce qu’on en avait besoin [dans le métier]. Le fait de se retrouver entre journalistes racisé.e.s fait du bien parce qu’on est généralement isolé.e.s dans les rédactions, qui sont souvent constituées de personnes blanches et bourgeoises. A l’AJAR, le fait de libérer la parole sur les commentaires racistes et sur le traitement médiatique qui peut être raciste fait du bien. C’est un espace très sain.

4) J’ai lu quelque part qu’on t’appelait «la journaliste des invisibles»…
Ça me flatte beaucoup. Ça vient de ma manière de concevoir le journalisme: donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas dans les médias traditionnels. Je suis très tournée vers les réseaux sociaux et la vidéo. J’ai cette envie d’aller rendre visite [aux gens] et de raconter des histoires qu’on ne raconte pas. La surreprésentation de certaines catégories de personnes dans les médias traditionnels est largement faite, on n’a plus besoin de ça. La cible qui m’intéresse ce sont les jeunes. Et ils attendent aujourd’hui de voir des personnes qui leur ressemblent. Quand on allume la télé, qu’on écoute la radio ou qu’on lit un article, elles sont parfois décrites de façon cliché.

5) Tu es contactée sur les réseaux sociaux par beaucoup de jeunes qui te questionnent sur le métier…
Je suis assez suivie sur X par «les gens d’en bas», si je peux dire ça comme ça. Ceux qu’on va critiquer, qu’on va moquer, ceux dont on va critiquer l’accent, la manière de parler. Parmi ces jeunes, il y a pas mal de jeunes journalistes ou de jeunes qui veulent le devenir. Je reçois au minimum deux DM [message direct] par jour qui me questionnent sur le métier, sur les angoisses liées. Parfois, on m’appelle «la grande sœur» parce qu’il n’y a aucun souci pour moi de conseiller et de discuter avec ces jeunes. Je trouve que l’information doit être partagée. Or on n’est pas informé.e.s sur nos droits. Et chercher ce genre d’informations n’est pas un réflexe chez tout le monde. Les jeunes qui vont être le plus informé.e.s sur leurs droits, cela reste une catégorie de jeunes assez privilégié.e.s. Les autres viennent me contacter en DM. Je fais au mieux pour les aiguiller.

6) Pour les aiguiller, il y a aussi les syndicats de la profession dont la mission est de protéger le métier de journaliste…
La difficulté quand on est jeune, qu’on débarque dans un milieu, et qu’on est une «anomalie» dans le paysage, on n’ose pas toujours dire les choses. Si on le fait, on entend: «Ah ouais, mais t’es jeune, mais tu ouvres déjà ta bouche?!», «Tu veux te faire cramer dans le milieu»… C’est ce qu’on m’a dit. Je sais que ça en étonnait certain.e.s quand, avec d’autres jeunes journaliste, on tentait de s’informer sur nos droits –alors que je n’étais pas en CDI. Alors, je peux comprendre que des jeunes ne vont pas se syndiquer parce qu’ils se disent: «Je viens de débarquer, je ne vais pas mettre la casquette de celui qui connait ses droits…», mais ça ne devrait pas être le cas.

7) De toute façon, quand tu te syndiques, tu n’es pas obligé.e de le dire. Moi, il m’est arrivé de ne pas être embauchée dans un journal parce qu’une consœur avait balancé à la direction que j’étais syndiquée au SNJ…
C’est nul, parce qu’en fait il s’agit de nos droits à toutes et tous. Quel message on renvoie en disant: «Faut pas trop défendre tes droits»? C’est ultra violent.

8) J’aimerai évoquer les écoles de journalisme, où je me demande si on informe les futur.e.s journalistes sur leurs droits…
Franchement, non. Je me souviens avoir eu un petit module en fin d’année [au CFPJ], histoire de. Un module d’une heure pour parler du Pôle emploi! Alors, déjà, merci, ça annonce la couleur… super! [Elle se marre.] On n’a pas été informé.e.s sur la suite de l’aventure journalistique. Et on n’a pas été informé.e.s sur les contrats: ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Du coup, quand tu signes des contrats, tu signes sans vraiment comprendre ce que cela implique.

Si j’ai envie de prendre la parole aujourd’hui, c’est parce que [informer sur nos droits] il faut commencer dès l’école à nous expliquer les types de contrats, ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, et insister là-dessus. Il y a des contrats illégaux –qui ne sont pas seulement acceptés par les jeunes, il faut le savoir. On doit connaître nos recours, et on doit connaître la convention collective des journalistes.

9) En parlant de contrats, on va parler de la différence entre un CDD et un CDDU (contrat à durée déterminée d’usage), lequel se trouve hors la loi selon la convention collective des journalistes. Signer un CDDU, c’est se passer de plus de 20% de son salaire…
Le CDDU est un contrat utilisé dans d’autres corps de métiers pour couvrir une mission temporaire. Quand on est journaliste et qu’on travaille dans une structure, notre mission n’est pas temporaire.

Chez France Télévisions Studio, filiale de production de FTV, on nous a parlé d’un CDD. Mais quand la fiche de salaire est arrivée, on a vu CDDU dessus…, et on a commencé à s’interroger. Personne n’était au courant de ce que ça voulait dire. Je ne le savais pas, et les journalistes de ma rédaction ne le savaient pas non plus… parce qu’on sortait toutes et tous d’école [de journalisme]!

10) Donc, ça vous a été présenté oralement comme un CDD, mais c’était en réalité un CDDU…
Oui. Résultat, tu n’as pas de congés payés, pas de 13e mois, et pas de prime de précarité [10% du salaire]. J’ai signé des contrats de saison et, à la fin de la saison, je n’avais rien hormis une attestation Pôle emploi. Ce qui n’était pas le cas de mes collègues en CDD. Pourtant, on faisait toutes et tous partie de la même maison. Quand on voit qu’il y a une différence de contrats selon les médias, les structures, ça fait mal au cœur. A la rédaction, on s’est dit: «Ah ouais, en fait, tout le monde s’en fiche qu’on ait des contrats illégaux.»

11) Ça veut dire aussi qu’au sein d’un même groupe, il y a des journalistes dont les vacances sont payées et d’autres pas…
Exactement. Une différence est faite entre les rédactions où on veut mettre des moyens et celles où on ne veut pas en mettre. Généralement, ce sont les jeunes sur qui on va moins investir.

12) Combien de contrats CDDU as-tu signé et en combien de temps?
J’ai enchaîné pour ma part deux contrats en CDDU sur une période deux ans. J’aurais pu continuer, mais j’ai décidé d’arrêter. La problématique qui se pose porte sur la temporalité, car le CDDU est renouvelable à l’infini. Le truc, c’est qu’à tout moment on peut te dire: «Bye, bye!» car rien ne te protège. Absolument rien. J’ai préféré anticiper.

13) Justement, que fais-tu depuis que tu as arrêté de travailler pour France Télévisions?
J’ai 28 ans, bac +5 et deux masters, j’ai envie d’avoir une certaine stabilité. Je ne dis pas que je veux signer un CDI –mais au moins un contrat légal si ce n’est pas trop demander.

Je dissocie mon expérience professionnelle que j’ai adorée avec ce côté administratif. Oui, je kiffe mon métier, mais ce métier passion ne va pas payer mes pâtes avec ce statut-là [CDDU]. C’est pour ça que j’ai pris la décision de quitter France TVSlash. Certain.e.s étaient étonné.e.s de mon part, me disant: «Mais pourtant, tu kiffais trop…» Oui, je kiffais trop, mais jusqu’à quand on continue à se taire et à laisser bafouer nos droits?

J’ai préféré être au chômage plutôt que de continuer dans cette précarité –alors que j’adore mon travail. Je ne travaille plus depuis septembre.

14) Quels sont tes projets?
En ce moment, je questionne beaucoup ma place dans ce milieu. La précarité m’angoisse, et il n’y a pas un milliard de structures, de médias, qui m’intéressent et dont les valeurs et le fonctionnement me plaisent. Je trouve qu’il y a énormément de mépris envers les jeunes journalistes. C’est quelque chose qui me démotive. Je parle de moi, mais c’est aussi ce que me disent les jeunes journalistes qui me contactent sur les réseaux. C’est un sentiment partagé.

Pourtant, j’ai encore des choses à faire, et j’ai plein d’idées! Pour moi, c’est une période de questionnements.

15) Une dernière question qui n’a rien à voir avec notre métier. Camélia, ça fait quoi de porter un prénom de fleur?
Ma mère a toujours voulu avoir une fille du prénom de Camélia, parce que son livre préféré est La Dame aux camélias*. Sinon, de s’appeler Camélia ça booste un peu l’ego: je suis une fleur.
Propos recueillis par Claudine Cordani

* La Dame aux camélias est un roman d’Alexandre Dumas paru en 1848.