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8 MARS (3/3) «À l’époque, les femmes se créent des espaces de liberté grâce au sport»

Si les inégalités de genre demeurent dans le sport comme ailleurs, il a joué un rôle majeur dans l’émancipation des femmes. Engouffrées dans un bastion longtemps réservé aux hommes, les sportives sont de fait féministes, gagnant progressivement le droit de pratiquer certains sports, puis d’autres. Jusqu’à pouvoir envisager des carrières d’athlète, de haut niveau. Entretien avec Marion Philippe, historienne spécialisée dans le sport.

On entend souvent que le sport est le reflet de la société.. Qu’en est-il aujourd’hui?
Marion Philippe: Je n’adhère pas vraiment à cette tournure, le sport est plutôt une sorte de loupe. Il n’échappe pas aux problèmes et aux enjeux que l’on retrouve dans d’autres espaces sociaux, mais il est plus médiatisé. Aucune sphère n’échappe, par exemple, aux violences sexistes et sexuelles. Dans le sport comme ailleurs la parole se libère, on ose plus dire les choses: les victimes commencent à intégrer qu’elles n’ont pas à avoir honte. Les premières prises de parole de sportives en France (la lanceuse de marteau Catherine Moyon de Baecque et la tenniswoman Isabelle Demongeot, NDLR) remontent à 1991, bien avant #MeToo.

C’est donc logiquement que les combats des sportives font échos à ceux des femmes en général…
Bien sûr, le combat pour l’égalité salariale menée par la Team USA de foot ou les Canadiennes, dernièrement, est un exemple. En France, il n’y a pas une telle lutte. Est-ce que les sportives ont peur? Est-ce qu’elles estiment qu’elles ont déjà de la chance d’être pros et ne veulent pas prendre de risques? Ce qui est sûr, c’est que certaines sont aussi bancables que leurs homologues masculins, et qu’elles pourraient tout à fait mener le même combat.

L’actualité de la réforme des retraites a permis de remettre sur la table les inégalités persistantes. La question de la maternité y est centrale, comme dans le monde sportif, où elle est régulièrement un frein dans la carrière des sportives...
Complètement, d’autant que le corps est central dans l’activité sportive: une athlète met son corps en jeu, c’est son outil de travail. Avec la maternité, il se transforme. On entend à longueur de journée que les femmes enceintes mettent du temps à retrouver leur corps d’avant, leur motricité, etc. Donc, on peut comprendre la réticence, notamment des clubs, vis-à-vis de la maternité. Il y a aussi ces idées persistant dans l’imaginaire qui veulent que la mère doit s’occuper de l’enfant, l’amener avec elle, comme s’il ne pouvait pas rester seul avec l’autre parent s’il y en a un.

Mais les clubs ne doivent pas oublier qu’ils ont des athlètes de haut niveau face à eux, et pas des femmes lambda. Certaines reviennent même de leur maternité plus fortes qu’avant. Des exemples il y en a: comme Kim Clijsters, Christine Arron ou Muriel Hurtis. Une femme enceinte serait d’ailleurs plus performante. En URSS et en Allemagne de l’Est, partant de ce constat, des entraîneurs ont écrit une page particulièrement sombre de leur histoire sportive en contraignant certaines athlètes à tomber enceintes, puis à avorter, et ce avant de grandes compétitions, pour profiter de la libération de certaines hormones.

(En 1994, la Russe Olga Kovalenko, championne olympique de gymnastique par équipe. témoignait: «Si j’avais refusé, je n’aurais pas eu le droit d’aller aux Jeux. Les médecins nous avaient dit qu’un corps de femme enceinte produit plus d’hormones masculines et peut devenir plus fort», NDLR)

En janvier 2023, l’ex-joueuse de l’Olympique lyonnais Sara Björk Gunnarsdóttir a dénoncé le comportement du club pendant sa grossesse –notamment des retards de paiement. La polémique a été d’autant plus grande que c’est un club précurseur dans le sport dit féminin.
Il l’a été en tout cas. Ce qui est intéressant, c’est de voir ce qui ressortira de cette affaire, s’ils ont appris depuis. C’est l’impression que donne le documentaire de Canal+ sur la grossesse plus récente d’Amel Majri (internationale française et joueuse de l’OL). Là où c’est difficile de leur en vouloir, c’est que les footballeuses pros tombent encore rarement enceintes pendant leur carrière. Il y a des chances que de nombreux clubs français aient découvert les règles de la Fifa qui encadrent le sujet grâce à cette polémique, elles sont récentes et encore méconnues.

La maternité a très souvent servi d’argument pour empêcher les femmes de faire du sport…
Pendant longtemps, dans certains pays, la pratique en était interdite parce qu’on pensait qu’elle aurait une incidence négative sur la maternité. On avançait que certains sports étaient trop violents, qu’ils «masculiniseraient» les femmes, les rendraient moins attirantes, modifieraient leur corps… et, donc, que la pratique du sport mettait en danger la procréation. On en revient toujours à la maternité. Il ne faut pas croire: au XIXe, quand Pierre de Coubertin lance les Jeux olympiques, à aucun moment il n’imagine qu’une femme puisse y participer…

Malgré tout, le sport finit par être un lieu privilégié d’émancipation au féminin…
Complètement, le basculement se fait après la Première Guerre mondiale. Les femmes ont montré qu’elles pouvaient être des atouts, et la pratique s’institutionnalise. Elles s’émancipent en lançant des associations multisports, elles pratiquent le sport qu’elles veulent, entre elles, même si elles peuvent parfois bien évidemment compter sur des alliés parmi les hommes, du foot, de la barette (l’ancêtre du rugby), de l’athlétisme, qui était alors un bastion 100% masculin, du sport auto... A l’époque, elles n’ont pas encore le droit de vote, mais se créent des espaces de liberté grâce au sport.

D’ailleurs, peu de personnes le savent, mais les Suffragettes sont des pionnières en sport aussi. Ce sont elles qui créent le tout premier club d’alpinisme pour femmes. C’est un sport très dangereux, alors, pour être à l’aise, elles mettent des pantalons. Une hérésie à l’époque… Car, si on commence à tolérer que les femmes fassent du sport, elles doivent rester féminines. Au foot, elles portent des bérets pour couvrir leurs cheveux. Grâce à Alice Milliat (sportive française et organisatrice des Jeux féminins mondiaux, NDLR), la présence des sportives aux Jeux olympiques de 1928 et leur succès populaire ont été un formidable accélérateur pour la pratique du sport par les femmes. La preuve qu’en plus de performer, les femmes pratiquant le sport ont leur public.

Aujourd’hui, les femmes n’ont toujours pas toutes accès de manière égale au sport. Pour certaines le plafond de verre est d’autant plus bas que les discriminations s’accumulent. Dernièrement, c’est le port du voile qui a privé certaines sportives de leur pratique. Une première alerte a été lancée il y a quelques années par les footballeuses du collectif Les Hijabeuses, le 26 janvier 2023 c’est une jeune basketteuse qui a dénoncé la situation.
A côté de ça je fais du hand et, tous les week-ends ou presque, j’affronte des handballeuses voilées, et ça ne pose de problème à personne. Sur beaucoup de sujets, je pense notamment à son appréhension des violences sexistes et sexuelles et à sa vitesse de réaction, La Fédération de hand est un exemple à suivre, contrairement à d’autres.

Que la France accueille les JO en 2024 et, donc, des athlètes voilées comme cela se fait depuis des années rend la situation particulièrement cocasse. En leur sein certaines fédérations sont en effet loin d’être des modèles d’intégration, et qu’elles empêchent même leurs licenciées ou de potentielles licenciées de pratiquer leur sport.

(Leurs règlements sont d’ailleurs souvent en contradiction avec ceux de leurs fédérations internationales respectives. La Fédération internationale de basket autorise quant à elle le port du voile, NDLR.)

En savoir plus, les recommandations de Marion: les livres des autrices Assia Hamdi et Béatrice Barbusse, les BD Alice Milliat, pionnière olympique et Violette Morris, à abattre par tous moyens, la biographie de Billie Jean King, le film Battle of the Sexes, les documentaires Team USA sur Netflix (gym), Toutes musclées sur Arte, Les Incorrectes sur Histoire TV.

Dossier en trois volets de Justine Saint-Sevin
Partie 1/3, un peu d’histoire
Partie 2/3, interview de Mathilde Larrère